Denis Mukwege : «Le viol est une arme de guerre.»
«Ne trahissez pas le testament d’Alfred Nobel – Ne quittez pas la cour des grands hommes au service des criminels xénophobes ». Lettre rédigée par Tristan R. Kalikera
Cher Dr. Denis Mukwege,
C’est avec grand plaisir et beaucoup d’enthousiasme que j’ai appris de nouvelle sur votre récompense par le prix Nobel de la paix 2018. Deux raisons justifiaient mon émerveillement. Premièrement, parce que le hasard a fait que je sois né à l’hôpital de Lemera pendant que vous y exerciez votre noble métier de médecin. Maman me parlait souvent de vous et ne tarissait pas d’éloges et d’admiration à votre endroit. Deuxièmement, parce que le sort nous unit par la patrie que nous avons en commun. Vous êtes mon compatriote, et de surcroit originaire de Kaziba à quelques pieds de Rurambo-village et terre de mes ancêtres.
Vous avez ainsi fait ma fierté, notre fierté, chacun se faisant à l’idée que vous deveniez depuis 2018, le modèle qui devrait inspirer les ressortissants de ce grand et beau pays, qu’est la RDC. Un pays qui attend beaucoup de votre influence et de votre talent pour sa reconstruction. Toutes mes félicitations Docteur.
Votre récompense a redoré l’image de notre pays ternie par une histoire marquée de nombreux échecs. Dans un pays très divisé qu’est la RDC, vous êtes le seul messager de la paix, de l’amour du prochain et de la cohésion sociale. Vous êtes l’homme qui se tient au milieu du village pour rassembler toutes les filles et tous les fils de ce pays sans la moindre exclusion. Hélas, le silence par lequel vous vous êtes illustré face à la crise qui sévit dans les Hauts-Plateaux d’Uvira, Fizi et Mwenga depuis 2017 m’a surpris. Par crise, je fais allusion à la qualification de ce conflit telle que retenue par le Groupe d’Experts sur la République démocratique du Congo (S/2019/974). Pire encore, votre silence observé vis-à-vis d’actes de viol dont ont été victimes trois femmes originaires de la Communauté Banyamulenge, à Minembwe en avril 2020 et dont le monde entier a appris l’horreur m’a ahuri. En effet, et comme vous le savez, ces femmes ont été violées, leurs seins et organes génitaux mutilés. Elles n’étaient pas réparables même si elles vous seraient parvenues tellement les violeurs et coupeurs de seins se sont résolus de boucler leur macabre forfait par leur ôter la vie sur les champs, après les avoirs sauvagement violées.
Si votre silence m’a laissé perplexe, votre récente sortie et prise de position face à l’attaque de Kipupu, QG des criminels présumés (violeurs et tueurs) de ces trois femmes Banyamulenge, m’ont tout simplement sidéré. Comment est-il possible que cela émane d’un prix Nobel de la paix, combattant pour la dignité des femmes, comme certains vous qualifient, et de surcroît d’un gynécologue-obstétricien congolais ayant choisi de dédier son prix à toutes les victimes de violences sexuelles dans le monde ? Que diront les enfants allaités par les seins de ces mamans victimes de viol quand, à leur âge de raison, ils prendront connaissance de votre Tweet condamnant l’attaque contre le camp des criminels ayant réussi, après leur forfait, à regagner leur bastion en toute quiétude et en toute impunité ? Quel jugement feront-ils de vous lorsqu’ils apprendront votre silence couplé de votre prise de position partiale et cauteleuse ? Ne dit-on pas qu’en grandissant, le cerveau de l’enfant se construit en miroir de celui de ses parents ! Vous n’y ’avez peut- être pas pensé. Peut-être que votre chargé de communication vous a suggéré un mauvais texte. Je n’arrive pas à comprendre. Vos prédécesseurs lauréats du même prix y auraient certainement pensé avant d’entreprendre quelque initiative que ce soit. A votre place Martin Luther King Jr. répéterait ce qu’il l’a déjà dit, à savoir, je cite : “une injustice commise quelque part dans le monde est une menace à la justice partout ailleurs”. Comme pour dire qu’il n’oserait pas exclure les Banyamulenges en général, et les femmes violées en particulier. Le président Nelson Mandela ne nous a-t-il pas édifié par sa sagesse en nous rappelant que « c’est facile de tout casser et de détruire, les héros sont ceux qui font la paix et qui construisent » !
Voilà ce que nous attendons d’un prix Nobel : engager les belligérants sur le chemin de la paix et de la réconciliation. « (…) Les gens doivent apprendre la haine et on peut leur apprendre à aimer car l’amour naît plus naturellement dans le cœur de l’homme que son contraire » (Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté (1996)). Vous donc aussi, puisque vous êtes environnés d’une si grande nuée de témoins, rejetez tout fardeau et le péché qui vous enveloppe si facilement, et courez avec persévérance dans la carrière qui vous est ouverte, celle des prix Nobel de la Paix (Hébreux 12 :1).
Pour finir, je tiens à vous rappeler que le prix Nobel de la paix récompense entre autres, la personnalité ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples selon les volontés, définies par le testament, d’Alfred Nobel. Ne le décevez surtout pas, ne décevez pas la compagnie des grands hommes dont vous fêtes désormais parti. Ne décevez pas le pasteur Mukwege (paix à son âme) qui a prêché l’amour entre les communautés et qui a logé beaucoup d’élèves Banyamulenge chez-lui. N’agissez pas en politicien ordinaire qui court vers des intérêts sordides mais plutôt en homme de paix. A l’instar de Mahatma Gandhi, nul homme qui aime son pays ne peut l’aider à progresser s’il ose négliger le moindre de ses compatriotes. Les Banyamulenges sont vos compatriotes, ils auraient également aimé vous entendre crier pour leur secours et justice. Ils sont aussi des humains, leur vie est aussi sacrée comme toute autre vie sur terre – Banyamulenge Lives matter. Œuvrez pour la paix et l’amour, ce qui est digne d’un prix Nobel de la paix et le monde vous en sera reconnaissant comme il l’a déjà fait lorsqu’il vous a distingué. Quant à mon peuple, le Dieu de la Bible est toujours du côté des opprimés, sans ou avec vous, ils seront secourus.
Que l’amour et la paix de Dieu soient avec vous cher Prix Nobel.
Votre compatriote et voisin de Rurambo
Tristan R. Kalikera