By Jean-François Cahay et Olivier Mullens*
Dans une carte blanche, Jean-François Cahay et Olivier Mullens dénoncent un réflexe colonial au sein de la Commission « Congo » sensée décoloniser les esprits.
Avant même d’avoir entamé son travail, les objectifs de la Commission « Congo » semblent avoir été tués dans l’œuf. Si l’opacité et l’absence de dialogue avec les diasporas africaines ayant accompagné sa mise en place avaient d’emblée semé le doute sur leur volonté affichée d’établir un dialogue inclusif, la désignation incompréhensible d’un “expert” qui n’en n’est pas un pour le Rwanda a confirmé que la commission ne semble être qu’une entreprise cosmétique et politisée qui ne sera pas en mesure de favoriser une réflexion constructive et apaisée sur l’histoire coloniale de la Belgique. Retour sur un acte manqué.
Il est unanimement reconnu que l’exacerbation et l’instrumentalisation des identités ethniques a été la principale caractéristique de l’entreprise coloniale Belge au Rwanda. En se basant sur les théories anthropologiques racistes de l’époque, la Belgique avait profondément déstructuré l’organisation étatique rwandaise de l’époque, et transformé des identités sociales et changeantes – la notion de Hutu et Tutsi – en “races” qu’il était possible de dresser les unes contre les autres.
Cette entreprise commença avec la propagation d’idées telles que le mythe hamitique prêtant aux Tutsi une origine étrangère au Rwanda, puis l’instauration de cartes d’identité ethniques dès les années 1930, et se poursuivit avec l’instrumentalisation des identités ainsi devenues « ethniques » dans la révolution dite sociale de 1959. Il est regrettable de constater que cette idéologie ethniciste coloniale, qui planta les germes de l’idéologie raciste qui culmina en 1994 par le génocide contre les Tutsi, semble s’être perpétuée en 2020 au sein même du parlement belge.
En effet, on pouvait lire dans le journal Le Soir du 1er août : «Le nom de Laure Uwase, avocate, représentante l’ASBL Jambo News, a également été cité mais suscite le débat dans la communauté rwandaise. Dans l’esprit des équilibres «à la belge» où toutes choses étant considérées comme égales par ailleurs, cette présence controversée entraînerait celle d’un représentant de l’ASBL Ibuka, qui représente les victimes du génocide des Tutsi au Rwanda.» Cette idée d’équilibre « à la belge » suggère donc que la Commission aurait sciemment décidé de sélectionner un membre de chaque « ethnie », à l’heure où le Rwanda a supprimé toute notion ethnique sur les cartes identité afin de dépasser ces notions clivantes. Il est impensable qu’une commission s’étant fixé comme mission de “décoloniser les esprits” ait succombé à ce réflexe néocolonial d’un autre âge.
Un processus de sélection opaque et incompréhensible
Le 6 août, le président de la Commission Wouter Devriendt partageait sur Twitter la composition, semble-t-il définitive de la liste d’experts chargés de soutenir son travail.
Au milieu de professeurs, d’universitaires, de chercheurs reconnus et d’experts figure un nom suscitant la surprise et l’incompréhension : Laure Uwase, avocate d’origine rwandaise, membre active du CD&V et n’ayant jamais écrit de rapport ou d’article académique sur le sujet. Une décision d’autant plus incompréhensible qu’en parallèle de son manque de qualifications, Mme Uwase a déjà annoncé sa future prestation de serment en 2022 au parlement flamand suite à un accord.
Enfin et surtout, Laure Uwase est membre de l’association Jambo asbl, plus que controversée sur la question du Rwanda en raison de ses revendications ethniques « hutues » et ses publications révisionnistes sur le génocide contre les Tutsi, comme le rappelait encore dans un communiqué ce samedi l’asbl Ibuka représentant les rescapés du génocide. Pour rappel, le président de Jambo asbl avait été exclu des listes communales Défi en 2018 pour négationnisme, et le trésorier de l’association, candidat sur une liste CD&V-cdH fut quant à lui prié de prendre congé de ses fonctions au sein de l’association jusqu’au scrutin.
Il est incompréhensible qu’une personne étant non seulement membre active d’un parti politique belge, mais ne disposant en outre d’aucun titre académique et ne pouvant se prévaloir d’une quelconque expertise en matière d’histoire de la colonisation, ait été sélectionnée – et ce d’autant plus que nombres d’experts reconnus et non politisés vivent et travaillent en Belgique. Ce choix visiblement politique est inconciliable avec la mission et l’indépendance académique attendues des experts.
Enfin, la tolérance accordée par la Commission aux positions extrémistes et inacceptables de l’association représentée par Mme Uwase contribuera à décrédibiliser le travail de la Commission, dont les débuts paraissent peu encourageants.
Manque de dialogue avec la communauté rwandaise de Belgique
Dès la fuite, à la fin du mois de juin, de la première composition de la liste des experts chargés de soutenir les travaux de la commission spéciale, la communauté rwandaise de Belgique avait tenté d’exprimer ses inquiétudes. Dans une lettre du 8 juillet, deux associations rwandaises (Diaspora Rwandaise de Belgique «DRB» et Ibuka) avaient exprimé leurs craintes auprès des parlementaires et, à l’instar d’autres associations des diasporas africaines de Belgique, avaient dénoncé la composition peu équilibrée de la liste d’experts, qui n’incluait alors aucun expert d’origine rwandaise.
Aucune réponse ne leur fut accordée. Dans une approche constructive, ces mêmes associations avaient rapidement proposé à la Commission une liste d’experts académiques reconnus pour leurs travaux sur l’histoire coloniale au Rwanda et disponibles pour participer aux travaux de la Commission. A nouveau, la communauté rwandaise fut confrontée à un silence assourdissant de la part des parlementaires.
Le 4 août dernier, dans une lettre adressée au président de la Commission Wouter Devriendt, Ibuka et la DRB demandaient une audience et rappelaient la nécessité pour le succès de la Commission d’inclure également la voix des membres de la diaspora rwandaise, et surtout, de privilégier l’expertise d’académiciens, des chercheurs rwandais et des associations rwandaises plutôt que de laisser libre court aux manœuvres politiques clairement à l’œuvre dans la sélection des experts.
Las que leur appels et inquiétudes restent sans réponses, les deux associations diffusaient, samedi 8 août, un communiqué de presse, dénonçant vigoureusement la présence d’un membre d’une association aux contenus négationnistes parmi les experts et le refus de dialogue de la part de la Commission.
L’absence de réaction aux multiples mains tendues par la communauté rwandaise de Belgique apparaît d’autant plus inexplicable au vu des objectifs affichés par la Commission d’écouter et d’inclure les voix de la diaspora et du monde associatif à la discussion.
Les parlementaires de la Commission «Congo» ont non seulement ignoré les appels répétés et propositions des associations rwandaises, mais ils ont également gravement crispé le débat par leur choix injustifiable d’une candidate liée à la mouvance négationniste du génocide des Tutsi.
Malgré ces débuts peu prometteurs, la Commission n’a pas encore entamé de travail de fond. A l’heure où les questions de mémoire collective et de réconciliation sont à l’ordre du jour à travers le monde, cette cruciale occasion ne doit pas être gâchée, au risque de crisper les relations entre les différentes composantes de la population belge pour les années à venir. Il n’est pas trop tard pour corriger le tir. (Fin).
* Jean-François Cahay, ingénieur, citoyen concerné par l’histoire coloniale de la Belgique
Olivier Mullens, médecin généraliste belgo-rwandais