De gauche à droite: Térence Mpozenzi, Egide Harerimana, Agnès Ndirubusa et Christine Kamikazi en route pour leur audience au tribunal de Bubanza, dans l’ouest du Burundi, le 6 mai 2020. © 2020 Iwacu
By Lewis Mudge*
Au moment où beaucoup croyaient que la liberté de la presse avait touché le fond au Burundi, la cérémonie de remise de prix aux médias organisée cette semaine par le Conseil national de la communication (CNC), organe contrôlé par le gouvernement, a montré qu’il était possible de tomber encore plus bas.
La cérémonie de cette année avait pour thème le « rôle des médias dans l’assainissement du contexte des élections de 2020 au Burundi » et a distingué un candidat inattendu avec le premier prix dans la catégorie télévision : l’équipe de communication de la police nationale burundaise.
Outre l’évidente étrangeté de cette situation – des forces de sécurité se voyant décerner une récompense médiatique – il faut rappeler que la police du Burundi a été impliquée dans d’innombrables exactions, dont des meurtres, un recours excessif à la force, des arrestations arbitraires et des actes de torture à l’encontre de personnes soupçonnées d’être des opposants politiques, et qu’elle s’est régulièrement livrée à des actes de harcèlement contre des journalistes qui tentaient d’informer sur ces crimes.
Le vainqueur dans la catégorie presse écrite est Edouard Nkurunziza, un journaliste d’Iwacu, le dernier organe de presse indépendant au Burundi. Il a déclaré à Human Rights Watch qu’il n’avait pas pu aller recevoir son prix car il vit dans la clandestinité depuis qu’il a été menacé en mars par un député. Nkurunziza affirme que depuis lors, il continue à recevoir des menaces. Iwacu a écrit au président de l’Assemblée nationale une lettre évoquant cette affaire, qui est restée sans réponse.
Nkurunziza a de bonnes raisons d’avoir peur. Quatre de ses collègues ont comparu devant un tribunal pour faire appel de leur condamnation sur base d’accusations inventées de toutes pièces à deux ans et demi de prison. Ils ont été arrêtés en octobre 2019 lors d’un reportage sur des affrontements entre les forces de sécurité burundaises à un groupe rebelle et, à l’issue d’un procès entaché d’irrégularités, ont été condamnés pour tentative d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État. Ses collègues et lui restent aussi sans nouvelles de Jean Bigirimana, porté disparu depuis un déplacement pour un reportage en juillet 2016. Selon des informations non confirmées, Bigirimana a été arrêté par des membres des services de renseignement burundais.
À quelques semaines seulement de la prochaine élection présidentielle au Burundi, de fausses récompenses de la part de l’organe étatique de contrôle des médias viennent ajouter une pointe d’ironie cruelle aux menaces et aux attaques que les journalistes indépendants continuent de subir au Burundi. En ces temps critiques, les journalistes sont plus que jamais nécessaires pour dévoiler les abus et faire éclater la vérité. (Fin).
* Lewis Mudge est Directeur à la division Afrique centrale de Human Rights Watch, une organisation internationale de défense des droits humains basée à New York.