Le directeur du Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’Homme (BCNUDH), Abdoul Aziz Thioye, lance un appel en vue du renforcement des mécanismes pour la prévention, la lutte et la répression des discours de haine en RDC. Photo MONUSCO / Blaise Ndongala
Depuis quelques mois, on observe une prolifération de propos que l’on peut qualifier de discours incitatifs à la haine non seulement à l’égard des étrangers mais aussi entre les citoyens congolais de différentes provenances ethniques. Ces propos haineux se sont amplifiés depuis la reprise des combats entre l’armée congolaise et les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) dans la province du Nord-Kivu.
Le directeur du Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’Homme (BCNUDH), Abdoul Aziz Thioye, a lancé un appel en vue du renforcement des mécanismes pour la prévention, la lutte et la répression des discours de haine en RDC. M. Thioye a participé jeudi 10 juin dernier à l’émission radiophonique ‘’Dialogue entre Congolais’’ diffusée sur les antennes de radio Okapi, la radio de la MONUSCO, sur le thème : “Que faire pour prévenir les discours de haine en RDC ?”
L’officier onusien était co-débateur dans cette émission sur la lutte contre les discours de haine en RDC, avec le ministre de la Communication et des médias et porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya et le professeur Naupess Kibiswa, docteur en analyse et résolution de conflits, maître en études de paix et justice.
Tout en reconnaissant qu’il y a aujourd’hui des efforts au niveau national de la part des autorités pour avoir des dispositions qui préviennent, luttent et répriment tout ce qui est discours de haine, xénophobie et également tribalisme, le directeur du BCNUDH regrette cependant que cela reste difficile que des auteurs de ce genre de discours puissent faire face à des poursuites judiciaires.
Il convient de « responsabiliser les faiseurs d’opinion, les diffuseurs, pour qu’ils respectent davantage les cahiers des charges et identifient les lignes rouges à ne pas dépasser pour éviter de se retrouver dans des situations où on serait en train de diffuser ou de donner libre cours à la diffusion de messages de haine », a-t-il soutenu.
Selon Abdoul Aziz Thioye, son bureau travaille en collaboration avec les mécanismes nationaux de régulation et d’autorégulation, tels que l’ARPTC, le Cesac ou encore l’UNPC, bureau avec lequel la MONUSCO a organisé de nombreuses formations, en collaboration avec le ministère de la Communication, afin de sensibiliser aux discours de haine.
Résurgence des discours haineux
A l’occasion des affrontements entre l’armée congolaise et le groupe rebelle M23, « nous avons vu effectivement surgir et proliférer des discours qu’on peut qualifier d’incitatifs à la haine, à la violence et à la discrimination », a expliqué Aziz Thioye. Il affirme que les terrains d’expression de ces discours de haine sont autant les espaces physiques, tels que les journaux ou les médias audiovisuels, que les espaces virtuels dont notamment les réseaux sociaux qui servent aujourd’hui de lieu d’expression et de diffusion de ces messages haineux.
« S’il est plus facile, dans un espace physique qui a pour cadre un territoire, et où il y a des autorités qui peuvent mettre en action des règles de procédure, de pourvoir sanctionner ce genre de discours, il est d’autant plus difficile de le faire dans l’espace virtuel », explique-t-il.
Abdoul Aziz Thioye dit noter que la majorité des discours de haine dans l’espace médiatique congolais sont diffusés par des membres de la diaspora qui, pour la plupart, vivent dans des pays où ces messages sont érigés en infraction. « Pour beaucoup, ce sont les Congolais de la diaspora qui sont identifiés comme les auteurs les plus actifs de ces messages-là. Dans les pays à partir desquels ils diffusent ces messages, ces messages sont érigés en infractions. Donc, ils peuvent réellement faire face à des procédures judiciaires », a-t-il expliqué.
Préserver la liberté d’expression
Tout en luttant contre les discours de haine, le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’Homme veut s’assurer que la liberté d’expression soit préservée. « Ce qui nous intéresse au niveau des Nations Unies, c’est de nous assurer que, sous prétexte de lutter contre les discours extrémistes, xénophobes, haineux, qu’on n’en vienne pas à limiter la liberté d’expression », a-t-il expliqué.
Ainsi donc, l’action des Nations Unies aujourd’hui est de plaider pour que les Etats légifèrent afin de permettre de prévenir, lutter et réprimer ce type de messages. Bien que le BCNUDH n’ait pas la possibilité de contraindre un Etat en cette matière, son directeur rappelle toutefois qu’il est possible pour un individu ou un groupe, qui se sent plus ou moins visé par ce type de messages, de saisir les mécanismes internationaux qui surveillent les conventions auxquelles la plupart des Etats ont souscrits, dont le pacte international pour les droits civiques et politiques.
Stratégie des Nations Unies contre les discours de haine
Au cours de cette même émission, M. Aziz Thioye a aussi rappelé que la RDC a été le premier pays à abriter le colloque international contre les discours de haine, initié par les Nations Unies du 22 au 24 septembre 2021 à Kinshasa. Ce colloque a permis d’obtenir une feuille d’engagement sur base de laquelle des ateliers sur le même sujet ont aussi été organisés dans d’autres pays africains, comme le Cameroun, la Centrafrique et bientôt le Tchad.
La dernière étape aura lieu à Kinshasa où sera organisé du 21 au 24 juin prochain le forum régional de lutte contre les discours de haine.
Découvrez les détails de cette stratégie ici : https://www.un.org/fr/genocideprevention/documents/advising-and-mobilizing/Action_plan_on_hate_speech_FR.pdf
Le gouvernement congolais engagé dans la lutte contre les discours de haine.
De son côté, le ministre Patrick Muyaya a rappelé que, malheureusement, dans son histoire, la RDC a déjà expérimenté des violences générées par les discours de haine. Il a notamment évoqué l’épuration ethnique qui s’est déroulée dans l’ex-Katanga vers les années 90.
Alors que de nouvelles migrations depuis l’ex-grande province du Kasaï vers l’ex-Katanga ont de plus en plus lieu, provoquant l’inquiétude des autochtones, le gouvernement s’évertue à prévenir de potentiels épisodes de violence. « C’est le rôle du gouvernement de réunir les différents gouverneurs des cinq provinces du Kasaï et des quatre provinces de l’ex-Katanga pour qu’ensemble ils puissent adresser le problème. Identifier les causes des colères, c’est-à-dire pourquoi les populations se déplacent et voir dans quelle mesure on peut commencer à y répondre pour donner des solutions durables », explique-t-il.
Patrick Muyaya souligne que « l’extrémisme ou le recours au discours de haine ne règle aucun problème ».
« Au contraire, [les discours de haine] nous retardent parce que le Congo, pour son développement, a besoin de d’unité et cohésion. C’est pour cela que le gouvernement de la République, avec le président de la République en tête, passe le message de paix à chacune des occasions et invite les uns et les autres à toujours transcender les divergences et les clivages pour aller vers le centre et nous permettre de trouver des solutions et de voir comment, ensemble, on règle les problèmes de nos populations », a-t-il conclu. (Fin)