Immaculée Songa, survivante du génocide contre les Tutsis au Rwanda en 1994. Pendant le génocide, elle a perdu son mari, ses deux filles Raissa, âgée de 3 ans, et Clarisse, âgée de 5 ans. Photo : ONU Info/Florence Westergard
Immaculée Songa, survivante du génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda, témoigne de sa douleur dans un entretien accordé à ONU Info à l’occasion de l’exposition « Histoires de survie et de souvenir – Un appel à l’action pour la prévention du génocide », actuellement présentée au siège de l’ONU à New York.
Pendant le génocide au Rwanda, Immaculée Songa a perdu son mari, ses deux filles Raissa, âgée de 3 ans, et Clarisse, âgée de 5 ans, ainsi que de nombreux parents et amis.
Les objets présentés à cette exposition reflètent la vie de leurs anciens propriétaires. Ces objets ont survécu à l’Holocauste, au génocide et à d’autres crimes atroces au Cambodge, à Srebrenica (Bosnie Herzégovine) et au Rwanda. Ces objets content des histoires personnelles et intimes : des vêtements, des jouets, des photographies, des lettres, des recettes et d’autres objets apparemment ordinaires auxquels les survivants du génocide – ou leurs proches – ont réussi à s’accrocher.
Immaculée Songa a apporté à l’exposition la robe de sa fille Raissa Umotoni, la robe et le gilet de sa fille Clarisse Uwonkunda, ainsi qu’un album de photos de famille.
« Ces vêtements sont très importants pour moi, ainsi que les autres objets présentés dans cette exposition, car ils nous rappellent la vie, les expériences des nôtres qui sont partis, qui ne sont plus ici », a-t-elle expliqué. « Mais s’ils ne sont plus ici, c’est à nous d’en parler et de raconter leur histoire et comment leurs vies ont été enlevées ».
Elle se pose la question : « Comment des gens s’engagent-ils dans des tueries et tuent des gens qu’ils ne connaissent même pas, surtout des enfants ? C’est incroyable. Il n’y a pas de description ».
En 2017, vingt-trois ans après le génocide, elle est retournée au Rwanda pour rechercher les restes de sa famille. Dans une fosse commune, elle a reconnu les robes que ses filles portaient au dernier moment de leur vie. Ces habits étaient collés à leurs corps. « Alors je me suis dit : c’est ce qui reste de mes enfants, je vais les garder. C’est tout ce qui me reste de mes enfants ». Immaculée Songa les a donc pris avec elle.
Grâce à une exposition au musée de l’Holocauste d’Illinois, aux Etats-Unis, elle a pu exposer pour la première fois les vêtements de ses filles qui « racontent l’histoire », souligne-t-elle. « Même s’ils ont été lavés, vous pouvez voir les taches de sang sur ces vêtements, et vous pouvez imaginer comment elles sont mortes. C’est très grave pour notre société ».
La prévention des génocides toujours aussi importante aujourd’hui
Les Nations Unies ont été créées il y a plus de 75 ans en réponse aux crimes atroces commis pendant la Seconde Guerre mondiale. La prévention du génocide est toujours aussi importante aujourd’hui. Cette exposition est un appel à l’action et rappelle la nécessité de construire un monde où la justice prévaut et où tous les peuples sont égaux en dignité et en droits.
L’exposition porte sur les risques de génocide et d’autres crimes d’atrocité, sur l’importance de s’attaquer de façon proactive à ces risques et sur les conséquences des crimes d’atrocité pour les victimes et les survivants.
Pour Immaculée Songa, « Nous avons la responsabilité de dire au monde que l’injustice existe, que des gens meurent à cause de l’injustice et que le génocide au Rwanda a été planifié et exécuté par des personnes très intelligentes qui ont recruté des militants et les ont convaincus de tuer ».
Elle a ajouté que les gouvernements, les personnes influentes et les Nations Unies sont responsables de la prévention du génocide. « De notre côté, nous jouons également notre rôle. Par exemple, nous organisons des commémorations et des journées d’éducation pour expliquer au public ce qui peut arriver si les gens ne font pas attention. Car le génocide peut être évité », a-t-elle insisté.
Il est très difficile d’arrêter un génocide. « Savez-vous quelles sont les phases d’un génocide ? » a-t-elle demandé. « La dernière phase est le déni. Aujourd’hui, les gens nient les génocides. Ils sont là, dans le monde entier ; on leur a donné des tribunes, ils écrivent des livres et disent que le génocide n’a pas eu lieu ».
Les faits ne mentent pas
Elle a indiqué qu’il était important de voir ces objets personnels à l’exposition car « Les faits ne mentent pas. Donc, si les gens voient les faits… quand ils voient les vêtements de mes enfants, il n’y a pas d’erreur. Les gens ont dit que des enfants avaient été tués, et maintenant je vois que c’est vrai », a-t-elle expliqué.
Cette exposition a ainsi permis aux récits autobiographiques de se transformer en une histoire collective.
Immaculée Songa explique que « par exemple, nous parlons de millions de Rwandais, de Tutsis tués pendant le génocide, et nous avons l’impression d’oublier les individus. Alors, cette exposition est là aussi pour ne pas oublier l’histoire de chaque individu, et le tout combiné ça devient ‘le génocide au Rwanda’. Et elle parle, elle parle haut et fort ».
Ne pas laisser mes filles dans l’oubli
Interrogée sur le message qu’elle adresserait à ses filles, Immaculée a répondu en pleurant : « Je ne les ai pas oubliées, je les aime beaucoup et j’ai beaucoup parlé d’elles parce qu’elles ont connu une mort atroce qu’elles ne méritaient pas ».
« Je suis une maman qui n’a pas péri, une femme qui pleure beaucoup », a-t-elle continué. « Je me dis qu’il doit y avoir une raison. Dieu m’a gardé, Dieu m’a sauvé pour une raison, pour me donner la force de parler d’elles et de faire en sorte qu’elles ne soient pas oubliées ».
Pour elle, la future génération a une grande responsabilité pour qu’il y ait une paix durable. « Ce n’est pas un individu, ce n’est pas un gouvernement, c’est une force commune de la population, des jeunes. Et pour que cela ne se répète pas, il faut engager tout le monde », a-t-elle insisté.
L’éducation est cruciale pour Immaculée Songa : « Allez dans les écoles, allez enseigner la paix. Parce que je vous le dis, j’ai des photos d’élèves, j’ai des élèves, je peux les voir changer quand nous en parlons. Cela fait une différence ».
Elle conclut : « Je pense qu’au Rwanda, 95% de la population n’était pas éduquée et qu’il était très facile de la convaincre de tuer. Je pense que si les gens ont accès à l’éducation nécessaire pour émerger et être autonomes, ils plaideront pour la paix ».
Journée de réflexion sur le génocide de 1994
L’exposition a lieu l’année du 75e anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Elle a été inaugurée quelques jours avant la célébration de la Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda, dans la salle de l’Assemblée générale, le vendredi 14 avril.
Dans son message, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a appelé tous les États membres à devenir parties à la Convention sur le génocide sans délai et à concrétiser leurs engagements par des actes.
« Ensemble, soyons fermes face à la montée de l’intolérance. Soyons toujours vigilants – et toujours prêts à agir », a-t-il dit. « Et honorons vraiment la mémoire de tous les Rwandais qui ont péri en construisant un avenir de dignité, de sécurité, de justice et de droits de l’homme pour tous ».
Le Président de l’Assemblée générale, Csaba Kőrösi, a quant à lui appelé à rester déterminé « à faire respecter les droits de chaque individu et à nous attaquer aux moteurs du discours de haine, en ligne et hors ligne ». « Nous devons nous opposer fermement à toute forme de discrimination. Et continuons à mettre l’accent sur l’éducation », a-t-il ajouté. (Fin)