C’est à ce moment que des rescapés du génocide ont détaillé devant les médias et le public la participation directe de soldats blancs au plus grand massacre de masse anti-Tutsi.
Bisesero est une région montagneuse de l’ouest rwandais. Elle fut le lieu de la grande résistance civile au génocide perpétré en 1994 contre les Tutsi du Rwanda et au cours de laquelle plus de cinquante mille civils sans arme s’organisèrent pour faire face à leurs génocidaires.
C’est la première fois que des Basesero racontent devant un large public, ainsi que devant les media, les circonstances dans lesquelles des soldats blancs ont directement pris part au massacre qui, le 13 mai 1994, a fait quarante mille victimes tutsi sur les collines de Bisesero.
Leur intervention a été précédée de celle de l’écrivain français Serge Farnel, auteur du livre « Bisesero. Le ghetto de Varsovie rwandais », qui sortira en France aux éditions Aviso à la mi-mai 2014, soit vingt ans après le grand massacre de Bisesero du 13 mai 1994.
Farnel a déclaré, en parlant des trois Basesero, souhaiter « à l’avenir progressivement s’effacer devant eux, devant vous [le public], devant les futurs enquêteurs et devant la justice, n’en doutons pas ».
Serge Farnel a préalablement rappelé qu’il « porte depuis maintenant cinq ans un pan de notre histoire commune, une partie bien sensible de l’histoire du Rwanda, mais aussi de l’Histoire de France ».
Il a ajouté n’avoir eu de cesse de « consolider cette parole, conscient de la responsabilité qui était [sienne] à compter de l’instant où [lui] avait été confié ce pan de l’Histoire humaine ».
Il a fait savoir qu’il lui a fallu tout ce temps « veiller à protéger cette parole contre ses prédateurs ».
Il a rappelé le travail d’enquête de l’écrivain français Bruno Boudiguet, « un homme aussi déterminé que moi ». « A nous deux », a-t-il ajouté, « nous totalisons aujourd’hui plus de cinquante témoignages de la participation de soldats blancs au massacre du 13 Mai.
Plus de quatre-vingt témoins de la présence de soldats blancs dans la préfecture de Kibuye entre le 15 Avril 1994 et le 22 Juin 1994, à une époque où aucune opération française ne justifiait leur presence. Nous avons obtenu des recoupements de témoignages indépendants attestant qu’un hélicoptère a atterri au milieu des cadavres du stade Gatwaro de Kibuye suite au massacre du 18 Avril 1994 qui avait fait près de dix mille victimes avant que ces dernières n’eurent toutes été enterrées », ajoutant que « des soldats blancs sont sortis de cet hélicoptère, ont inspecté les cadavres et la fosse commune ».
Farnel a poursuivi: « Nous avons recueilli nombre de témoignages de la collaboration entre les hélicoptères français de l’opération Turquoise et les génocidaires s’agissant de débusquer les Tutsi qui se découvraient en pensant que ces hélicoptères les protégeraient ».
Farnel a conclu son intervention par un hommage rendu au chef de la résistance des Basesero, Aminadabu Birara.
Le premier habitant de Bisesero à intervenir devant le public au mémorial du génocide de Kigali fut Emmanuel Karibana. Il s’est mis debout face à l’auditoire:
« J’ai vu de mes propres yeux des soldats blancs larguer des bombes sur nos enfants, nos femmes et nos familles ».
Il a ajouté que « les obus arrachaient les branches des arbres et tombaient sur les victimes ».
L’homme joint d’amples gestes à la parole pour expliquer ce qu’il a vu : « Ces soldats blancs avaient de lourdes armes ».
L’homme est en colère : « Les miliciens attendaient que les obus lancés tombent sur les Tutsi. Puis ils se ruaient sur ces victimes pour les achever à coups de machettes, de gourdins et de piquets pointus ».
C’est au tour de Sylvain Nyakayiro de prendre la parole. Il reste assis. Il parle également de la présence active, à Bisesero, des Blancs le 13 Mai 1994 au côté des autorités locales génocidaires.
Il précise que « sur les collines de Bisesero et autour de la colline de Muyira, les assaillants étaient en nombre illimité, trop nombreux ».
Sa voix est calme. Il est déterminé: « Les miliciens étaient couverts de feuilles de bananiers et portaient des machettes ainsi que d’autres armes. Ils tuaient avec une brutalité et une violence sans égales.
Les Tutsi étaient encerclés de toutes parts, et ne pouvaient même pas aller se jeter dans le lac Kivu ».
Sylvain Nyakayiro fait également savoir que pendant Turquoise, « un hélicoptère débusquait des Tutsi cachés qui, dès lors, pensaient être sauvés. Les tueurs en profitaient ainsi, et localisaient des victimes sur lesquelles ils se ruaient pour les achever. »
A l’instar du premier témoin, Jean Baptiste Hakizimana, alias Pylone, se lève. Il fait savoir, concernant les soldats blancs qui les ont massacrés :
« Nous aimerions que ces Blancs tueurs soient également jugés. Et qu’ils nous demandent pardon pour les nôtres qu’ils ont exterminés. Juste comme l’on fait les ex-miliciens repentis qui vivent actuellement en paix avec nous ».
Il ajoute par ailleurs : « Il importe que les bons Blancs se désolidarisent des mauvais Blancs impliqués dans le génocide contre les Tutsi ».
Et de demander aux « bons Blancs de faire en sorte de traduire en justice les soldats blancs qui nous ont massacrés. Ce sera une preuve irréfutable que tous les Blancs ne sont pas mauvais, comme le sont ceux qui ont tué les nôtres ».
Emmanuel Karibina avait, un peu plus tôt, fait savoir que Serge Farnel et Bruno Boudiguet avaient été les premiers Blancs en qui ils avaient eu confiance après le génocide.
L’accusation de participation directe de soldats blancs, français pour des témoins clés, au génocide du 13 Mai 1994 à Bisesero est portée depuis plusieurs années par l’écrivain français Serge Farnel.
En 2010, le Wall Street journal avait été le premier média à faire état de cette participation. La journaliste du grand quotidien américain avait alors accompagné l’enquêteur français sur les collines de Bisesero afin de couvrir la deuxième partie de son enquête, ainsi que de poser elle-même des questions aux témoins.
L’enquête de Serge Farnel a été poursuivie par Bruno Boudiguet, auteur de « Vendredi 13 à Bisesero » paru fin Mars 2014 aux éditions Aviso. Le dernier livre de Yolande Mukagasana, « L’ONU et le chagrin d’une négresse », sort, lui, en France en Juin prochain.
C’est la première fois que des Basesero s’adressent directement au public sur la question de cette participation directe de soldats blancs au grand massacre de Bisesero. C’est également la première fois qu’ils en font état directement aux médias. La télévision nationale rwandaise était sur place pour couvrir cette conférence.
Cette accusation publique intervient quelques jours après celle du Président rwandais, Paul Kagamé, qui a fait savoir que des soldats français avaient directement pris part aux massacres de Bisesero, une accusation qui a été à l’origine d’un incident diplomatique entre la France et le Rwanda.
Le livre de Serge Farnel, « Bisesero. Le ghetto de Varsovie rwandais », qui raconte les cent jours de génocide dans la région de Bisesero, mais plus généralement dans la préfecture de Kibuye où se trouve Bisesero, est lu chaque jour depuis le 7 Avril sur les deux grandes radios du Rwanda, Radio 10 et Contact FM, et sera ainsi lu tout le long des cent jours de commémoration. (Fin)