Kigali: La Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG) continue de mettre en lumière certaines des actions qui ont été menées dans le cadre de la planification du Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994. Les actions concernées ont eu lieu entre le 23 et le 29 Février, 1991-1994
1. Lancement du parti extrémiste CDR
Le parti extrémiste qui s’est autoproclamé Coalition pour la défense de la République (CDR) a joué un grand rôle dans propagande génocidaire, que ce soit dans sa préparation, que ce soit en appelant les Hutu à se coaliser en vue d’exterminer les Tutsi. L’idée de créer la CDR est née de différentes réunions qui se sont tenues à l’Université Nationale du Rwanda, campus de Nyakinama, entre le 22/10/1991 et 17/1/1992.
Ces réunions ont rassemblé des extrémistes hutu originaires de Ruhengeri et Gisenyi et qui étaient dans l’administration publique, unies par la haine des Tutsi. Ce groupuscule s’est donné le nom de Cercle des Républicains Progressistes, dirigé par Charles Ndereyehe Ntahontuye, originaire de l’ancienne commune de Cyabingo à Ruhengeri. Il dirigeait le projet agricole de Gikongoro (PDAG = Projet de développement agricole de Gikongoro).
Le22/02/1992, la réunion de validation de la structure du parti CDR s’est déroulée à l’hôtel Urugwiro à Kigali, réunissant 10 membres les plus extrémistes qui proclamèrent qu’ils créent la « Coalition pour la Défense de la République (CDR) » en français ; en kinyarwanda ils adoptèrent le nom d’« Impuzamugambi Ziharanira Repubulika». Ces personnes qui ont créé la CDR sont les suivantes : Bucyana Martin, Nahimana Théoneste, Misago Rutegesha Antoine, Mugimba Jean Baptiste, Uwamariya Béatrice, Higiro Céléstin, Nzaramba Céléstin, Akimanizanye Emmanuel, Hitimama Athanase et Simbizi Stanislas. L’on se souviendra toujours de ces personnes qui se sont distinguées dans la méchanceté la plus abjecte, en créant le parti extrémiste qui a organisé le génocide ayant emporté plus d’un million de victimes entre avril et juillet 1994
2. Marcel DEBARGE, Ministre français de la Coopération a appelé tous les opposants au président Habyarimana de se rassembler dans la lutte contre le FPR
Le 28 février 1993, la France a envoyé au Rwanda son ministre de coopération, Marcel DEBARGE. Lors de sa visite, il a rencontré le président Habyarimana ainsi que les responsables des partis principaux d’opposition au président Habyarimana. Lors de son entrevue avec les membres de l’opposition, il leur conseilla de cesser leurs revendications contre le président Habyarimana, mais plutôt de faire un “front commun” de toutes les forces de l’opposition contre le FPR. Cette déclaration entrait dans la logique de s’opposer à la mise en application des institutions de transition telles qu’elles avaient été établies par l’Accord de paix d’Arusha. Avec cette déclaration d’un ministre français, les radicaux du régime rwandais ont compris que la France les soutenait en tous points de vue et ont accéléré les préparatifs de l’exécution du génocide, tout en écartant toute solution pacifique du conflit.
Le jour même de cet appel à l’union des partis d’opposition autour du président Habyarimana, des assassinats visant des Tutsi et autres violences eurent lieu dans de nombreux endroits de la ville de Kigali, poussant des civils à quitter leurs domiciles et à chercher refuge auprès de la MINUAR. Celle-ci ouvrit alors deux sites d’accueil, l’un à côté du stade national AMAHORO; l’autre dans les entrepôts de MAGERWA à Gikondo.
3. Un groupe de citoyens français a dénoncé en vain l’engagement français dans le soutien au régime criminel rwandais
Le 23 février 1993 la “Fédération des Français à l’étranger”, section du Burundi, a fait parvenir au Parti Socialiste du président Mitterrand, une protestation écrite dénonçant le soutien de la France au régime criminel rwandais: (…) Le Rwanda est plus que jamais à feue t à sang. Des organisations internationales ont mis à jour plusieurs charniers. Les milices du général Habyarimana recommencent à massacrer les populations tutsies en toute impunité. (…) Ainsi l’intervention militaire française au Rwanda n’aura réussi ni à éviter les massacres, ni à rétablir la paix dans la région. Pire, il paraît aujourd’hui que la présence militaire française dans ce pays aura surtout permis à Habyarimana d’ordonner les atrocités que l’on sait sous couvert d’une protection internationale”.
Le 23 février 1993, le parti républicain français, un parti de droite, sortait un autre communiqué dénonçant le même engagement : “Le Parti Républicain s’inquiète des missions, qui pourraient apparaître comme politiques, confiées aux forces militaires françaises, et est particulièrement préoccupé de la spirale dans laquelle le Gouvernement Français s’enferme en envoyant, de jour en jour, des troupes de plus en plus nombreuses. […]Le Parti Républicain attire l’attention du Gouvernement Français sur le fait qu’il serait préjudiciable à l’image de la France en Afrique d’aider au maintien d’un régime qui ne jouerait pas le jeu de la démocratie, sous couvert de la sécurité des ressortissants français”.
Le 28 février 1993, le secrétariat international du Parti Socialiste fit parvenir à l’Agence France Presse (AFP) cette déclaration signé par Gérard Fuchs: “Je m’interroge sur la décision d’envoyer de nouvelles troupes françaises au Rwanda, alors que les violations des Droits de l’Homme par le régime du général Habyarimana ne cessent de se multiplier. J’espère que soit notre ministre de la coopération trouvera à Kigali des raisons convaincantes à une présence militaire qui apparaît aujourd’hui comme un secours au régime dictatorial aux abois, soit il sera mis fin à cette présence”.
Le 24/2/1993, quatre associations rwandaises de défense des droits de l’homme ont écrit au Président français, François Mitterrand, en lui demandant de faire pression sur le régime sanguinaire de Habyarimana. Au lieu de leur répondre, ses conseillers lui ont dit d’appuyer fortement l’armée rwandaise, en lui fournissant des conseillers militaires, et des armes de manière qu’elle devienne plus puissante que le FPR.
4. Des hauts cadres politiques français se sont désolidarisés de la politique de soutien de la France au Rwanda
Deux ministres, l’ancien premier ministre Michel Rocard et l’ancien ministre de la défense Pierre Joxe, se sont officiellement montrés distants de la politique de la France au Rwanda dès le début de l’année 1993. Dans une note du 23 février 1993 adressée au président Mitterrand, le ministre Pierre Joxe exprima ses réserves vis -à –vis de la politique menée au Rwanda dans des termes dénués de toute ambiguïté: “Je reste préoccupé par notre position au Rwanda et par le rôle dans lequel nos 690 militaires peuvent se trouver entraînés, car l’armée rwandaise, de fait, ne se bat plus guère. […] Quant à Habyarimana, l’envoi de deux compagnies supplémentaires, après beaucoup d’autres démonstrations de soutien, fait qu’il se sent à présent l’un des dirigeants africains les mieux protégés par la France. Ce n’est pas la meilleure façon de l’amener à faire des concessions nécessaires. Or, il est, par son intransigeance politique, et par son incapacité politique à mobiliser sa propre armée, largement responsable. Si le FPR reprend son avance, nos soldats peuvent, au bout de quelques heures, se retrouver face aux rebelles. Le seul moyen de pression un peu fort qui nous reste, l’intervention directe étant exclue, me semble l’éventualité de notre désengagement”.
Tout ceci montre que tous les Français, y compris ceux qui étaient dans les organes dirigeants de la France, n’étaient pas d’accord avec le président Mitterrand sur l’aide militaire, politique, financier et diplomatique que ce pays donnait au Rwanda. Ils doivent être remerciés pour cet engagement citoyen.
5. Création du Hutu Power dans les partis MRND, MDR, PSD et PL
Le 25 février 1994, une importante réunion des chefs des Interahamwe s’est tenue sous l’autorité de son président Robert KAJUGA au cours de laquelle il a été décidé d’avertir tous les Interahamwe d’avoir une extrême vigilance à l’égard des Tutsi, notamment ceux de Kigali, dont les listes existaient déjà; puis de se tenir prêts à entrer en action à tout moment en recourant aux armes à feu et autres instruments. Une autre recommandation a été celle d’agir ensemble avec les Impuzamugambi de la CDR et les membres de la tendance Hutu Power des principaux partis politiques de l’époque: MDR,PSD et PL. Cette union de forces rejoignait celle des petits partis alliés au MRND, à savoir le PECO (Parti Ecologiste), PDI (Parti Démocrate Islamique), PADER (Parti Démocratique Rwandais), RTD (Rassemblement Travailliste pour la Démocratie), MFBP ( Mouvement des Femmes et du Bas Peuple) et PPJR (Parti Progressiste de la Jeunesse Rwandaise).
A la même date, l’association des volontaires de la paix (AVP), une organisation rwandaise de défense des droits de la personne humaine publia une déclaration dans laquelle elle dénonçait l’existence d’un plan de massacres, l’appel à la haine diffusé par la RTLM, dressait la liste des victimes des violences orchestrées par le régime, notamment à Kigali et lançait un appel pressant à la MINUAR pour mettre fin à ce climat de violence d’Etat.
Le 27/2/1994, des responsables des Interahamwe, ainsi que d’autres hauts cadres du MRND dont Michel Bagaragaza, Joseph Nzirorera, Augustin Ngirabatware, Claver Mvuyekure, Pasteur Musabe, Séraphin Rwabukumba et Kajuga Robert, se sont réunis à l’hôtel Rebero et ont décidé de créer et de financer une force chargée d’exterminer les Tutsi.
6. Poursuite de l’achat d’armes contre l’embargo de l’ONU
Le 27 février 1994, une note des services de renseignements belges signale la poursuite du trafic d’armes au profit de l’armée rwandaise et de ses milices, en violation de l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ces sources indiquaient que ces armes avaient été achetées par le Rwanda à l’Unita (une rébellion angolaise) , transitaient par la base militaire de Kamina en République Démocratique du Congo (RDC, à l’époque Zaïre), étaient ensuite acheminées à l’aéroport de Goma, pour être en fin livrées aux forces armées rwandaises par le poste frontalier de Gisenyi. C’est donc par différentes voies illégales que les armes ayant été utilisées pour exécuter le génocide ont continué à être livrées aux tueurs malgré la présence de la MINUAR et la connaissance par des puissances occidentales de ce réseau occulte d’approvisionnements.
Ce même jour, le général DALLAIRE demande à nouveau l’autorisation de confisquer des armes et exprima des craintes sérieuses d’une guerre civile. Lea nations Unies lui rappelèrent que son mandat ne se limitait qu’à la supervision de la mise en place des institutions de transition.
Entre 25-28 février 1994, des massacres et violences à l’encontre des Tutsi leur poussent à chercher refuge auprès de la MINUAR. C’est ainsi que celle-ci ouvrit alors deux sites d’accueil, l’un à côté du stade national AMAHORO; l’autre dans les entrepôts de MAGERWA à Gikondo
7. Achat de 581 tonnes de machettes utilisées pendant le génocide
En février 1994, un employé de la société CHILLINGTON, affirma que son entreprise avait vendu au Rwanda en quelques mois, une grosse quantité de machettes qui dépasse de loin celle qui avait été commandée pendant toute l’année 1993. Des demandes de licences d’importations examinées par Human Rights Watch entre janvier 1993 et mars 1994, montre que 581 tonnes de machettes furent importées au Rwanda. Ces machettes ont été commandées pour un montant de 95 millions de francs rwandais par le financier du génocide Félicien KABUGA.
Le journal britanique, The Sunday Times du 24 novembre 1996 révéla qu’entre août et décembre 1993, la société CHILLINGTON avait vendu un lot de 1600 machettes à deux employés de la société RWANDEX, Eugène Mbarushimana et François BURASA. MBARUSHIMANA qui était un agent de RWANDEX était également gendre de KABUGA et était en même temps secrétaire général des miliciens INTERAHAMWE au niveau national. Quant à la personnalité de François BURASA, c’était un ancien militaire membre du parti extrémiste hutu, CDR, et était le frère d’un des leaders de ce parti, Jean-Bosco BARAYAGWIZA. L’achat et la distribution de machettes aux populations civiles ayant reçu un entraînement militaire faisaient partie du plan d’auto-défense civile révélé dans l’agenda du colonel Bagosora. Il y était noté qu’une partie des membres de cette organisation recevraient des armes à feu et qu’une autre recevra des armes blanches dont des machettes.
Conclusion
Toutes ces événements montrent que Habyarimana et son régime ont planifié le génocide contre les Tutsi, créé des structures criminelles et leur ont fourni des moyens. La planification s’est faite au grand jour, appuyée par certains Etats étrangers, sans que quelqu’un intervienne pour faire avorter ce plan d’extermination. (Fin)
*Dr BIZIMANA Jean-Damascène, Secrétaire Exécutif de la CNLG.