Dr Jean-Damascène Bizimana
Pendant que le gouvernement génocidaire organisait la population et donnait des instructions précises sur l’élimination systématique et généralisée des Tutsi, les Nations Unies continuaient de tergiverser sur la vraie nature des massacres qui étaient perpétrés contre les Tutsi.
Le gouvernement génocidaire avait émis une directive le 25 mai 1994 à tous les préfets pour fournir des plans détaillés de protection civile. Le monde étant mieux informé sur les massacres systématiques et généralisés contre les Tutsi, il y avait un désir de rendre les massacres moins visibles.
Le Premier ministre du gouvernement génocidaire, Jean Kambanda, a appelé les gens à participer activement aux tueries. Les populations civiles devaient être utilisées avec organisation et formation militaire pour traquer et tuer les Tutsi.
Le capitaine sénégalais de la MINUAR, Mbaye Diagne, a été foudroyé par un obus sur une barrière en protégeant des Tutsi que les miliciens voulaient extirper des véhicules de la MINUAR en vue de les assassiner.
DES TERGIVERSATIONS AU SEIN DU CONSEIL DE SECURITE SUR LES MASSACRES DE TUTSI ONT PERMIS AUX TUEURS DE CONTINUER L’EXTERMINATION DE TUTSI
Saisie par l’urgence et la gravité des massacres au Rwanda, le 24 mai 1994, la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies a tenu une réunion d’urgence à Genève, convoquée par le Canada. Au bout de cette réunion, une résolution a été adoptée le 25 mai 1994 reconnaissant que des actes à caractère de génocide ont été commis au Rwanda et a conclu sur la nécessité d’une enquête internationale sur les massacres de Tutsi au Rwanda.
La première reconnaissance officielle du génocide est finalement intervenue dans un rapport au Conseil de sécurité du 31 mai 1994. Il était basé sur les informations fournies par Iqbal Riza et Maurice Baril, le conseiller militaire du Secrétaire général qui a effectué une visite au Rwanda entre le 22 et le 27 Mai 1994.
Le Conseil de Sécurité de l’ONU avait continué à ignorer la question du Génocide qui, depuis le 7 avril 1994, était perpétré contre les Tutsi. Rappelons quelques faits :
Le 21 avril 1994, le Conseil de Sécurité de l’ONU, dans sa résolution 912, a réduit le mandat de la MINUAR à sa plus simple expression, ne lui laissant seulement que 250 militaires. Pourtant le General Dallaire qui était à la tête de la MINUAR, envoyait chaque jour des rapports à l’ONU sur l’ampleur de massacres de Tutsi au Rwanda.
Le 24 avril 1994, pour la première fois, le Conseil de Sécurité de l’ONU a donc étudié la question du Génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda. Le président du Conseil de Sécurité voulait mettre les pays qui en étaient membres, devant leur responsabilité de porter secours s’il était confirmé qu’un Génocide était commis au Rwanda, conformément à ce qui est prévu par la Convention Internationale sur la Prévention et la Répression du crime de Génocide (1948).
Le 28 avril 1994, l’Ambassadeur de la République Tchèque, Karel Kovanda, a demandé au Conseil de Sécurité d’étudier la question du génocide contre les Tutsi sans succès. Se basant sur des informations relayées par des organisations de protection des droits de l’homme, l’Ambassadeur Kovanda a affirmé que le gouvernement en place au Rwanda était en train de commettre un Génocide contre les Tutsi. Certaines grandes puissances ayant un siège permanent au Conseil de Sécurité se sont attaquées à lui sous le prétexte fallacieux que le langage qu’il avait utilisé n’avait pas sa place au sein du Conseil de Sécurité.
Celui qui présidait le Conseil de Sécurité, l’Ambassadeur Colin Keating, a lui aussi fait état d’informations selon lesquelles des actes d’extrême violence et des meurtres étaient commis contre les Tutsi.
Certaines grandes puissances ayant un siège permanent au conseil de sécurité, les USA en tête, se sont opposées à l’utilisation du mot génocide. Or, à partir du 7 avril 1994, des Tutsi, des enfants, des femmes et des hommes, jeunes et personnes âgées étaient tués systématiquement au grand jour, et continuaient dans certaines régions du Rwanda sous le contrôle du gouvernement génocidaire, pour le seul motif qu’ils étaient des Tutsi.
Lors de la réunion du 25 mai 1994 de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, les délégués ont conclu que le génocide était en cours et devait faire l’objet d’une enquête.
Le même jour, cette Commission a adopté la résolution 1994 S-3/1, par laquelle un rapporteur spécial a été nommé, et chargé d’enquêter sur place sur les massacres perpétrés contre les Tutsi qui étaient en cours.
Précédemment, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme, M. Ayala Lasso, nouvellement nommé, avait effectué une mission au Rwanda être le 11-12 mai 1994. Son rapport faisait état de massacres systématiques et généralisés dont les Tutsi faisaient l’objet.
CONCLUSION
Depuis le mois de janvier 1994, le général Romeo Dallaire, commandant de la MINUAR n’a cessé d’alerter les instances onusiennes sur la préparation du génocide par le régime en place. Pour des raisons encore non encore élucidées, les organes onusiens qui devaient prendre une décision pour prévenir et arrêter le génocide ont tergiversé et laissé faire.
Certaines grandes puissances qui ont un siège permanant au conseil de sécurité auraient pu prédire le génocide, et tenir compte des avertissements significatifs qui montraient qu’un génocide était imminent. Cela remet en cause le rôle de certains membres permanents du Conseil de sécurité. Au lieu de prévenir ou d’intervenir, ils ont tout fait pour faire obstruction au renforcement du mandat de la MINUAR.
Les membres permanents du conseil de sécurité savaient qu’au cours des deux semaines d’avril 1994 qu’un génocide était apparent, les informations provenaient de sources réfutables, MUNUAR, le CICR et OXFAM.Au contraire, certains membres ont continué à dépeindre le génocide comme des massacres liés à la guerre civile, ce qui n’a fait qu’obscurcir la réalité du génocide perpétré contre les Tutsi et l’obligation d’intervenir.
L’opinion internationale refusait de voir la réalité de ce qui se passait au Rwanda à partir du 7 avril 1994. Il fallut attendre la mi-mai 1994 pour que le mot génocide soit employé sur le plan international. (Fin)
Fait à Kigali, le 31/5/2020
*Dr Bizimana Jean-Damascène, Secrétaire Exécutif/Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG).