Kigali: L’étude menée par la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG) sur l’histoire du génocide perpétré contre les Tutsi dans l’ancienne préfecture de Kibungo indique que le régime Grégoire Kayibanda a été caractérisé par des massacres cycliques de Tutsi.
Des réfugiés tutsi qui avaient fui les massacres contre des Tutsi en 1959 ont à plusieurs reprises, organisé des raids armés à partir des pays limitrophes, surtout le Burundi. Ces attaques étaient suivies de représailles contre les Tutsi qui vivaient resté à l’intérieur du pays. Parmi ces incursions, celle du 21 décembre 1963 fut particulièrement déterminante. Elle provenait du Burundi et était commandée notamment par François Rukeba, Kayitare, Nzamwita, Kabalira et Sayinzoga.
La fin de l’année 1963 et le début de celle de 1964 furent marquées par les massacres contre des Tutsi. Ces massacres qui visaient à exterminer les Tutsi furent qualifiés de « génocide » par différentes personnalités comme le Pape Paul VI et le philosophe Bertrand Russel.
Concernant ces massacres contre des Tutsi, un témoin de la Commune Rutonde a avancé ce qu’ « après l’investiture de Grégoire Kayibanda en 1961, chaque fois que les Inyenzi attaquaient le pays, les autorités rwandaises profitaient de cette occasion pour emprisonner et tuer des Tutsi de l’intérieur notamment en les jetant dans les chutes de Rusumo. En 1963, les Inyenzi ont attaqué le Rwanda à partir du Burundi et ont pris le Camp Militaire de Gako ».
L’attaque a eu lieu vers la fin de l’année 1963, et a connu, au début, un succès remarquable. Mais ces Inyenzi furent arrêtés et repoussés en dehors des frontières rwandaises par l’Armée Nationale sous le commandement d’officiers belges. Après cette attaque de Bugesera, des milliers de Tutsi qui résidaient au Rwanda furent tués, jetés en prison ou contraints à l’exil.
Le Président Grégoire Kayibanda, lui-même, donna à ses Ministres l’ordre de se rendre chacun dans sa préfecture d’origine pour organiser des comités civils d’auto-défense afin de faire face aux Inyenzi. C’était, en d’autres termes, un ordre donné aux civils de tuer tout tutsi en utilisant des mots codés, puisqu’ils étaient supposés être des complices des Inyenzi.
Dans la Préfecture de Kibungo, il avait envoyé le Ministre des Finances Gaspard Cyimana, originaire de Kigali.
Le gouvernement rwandais cherchait toujours des prétextes pour tuer les Tutsi de l’intérieur du pays, surtout les politiciens et les Tutsi aisés. Les leaders du PARMEHUTU inventèrent une prétendue liste que la Garde Nationale aurait trouvée sur le cadavre d’un Inyenzi. Cette liste reprenait les noms des dirigeants des partis qui composeraient le gouvernement après la victoire des Inyenzi.
Cette machination donna suite à l’arrestation des leaders des partis UNAR et RADER. Toutefois, Alexis Kagame doute de la véracité de la supposée complicité de ces leaders avec les Inyenzi : « La supposition est peu probable, puisque les leaders de l’UNAR, et à plus forte raison du RADER, étaient des excommuniés aux yeux des Inyenzi ».
A propos de ces massacres, un témoin de la Commune Rusumo raconte que « Chaque fois qu’ils voulaient tuer les Tutsi, les autorités disaient que les Inyenzi avaient attaqué le pays. Je me souviens qu’en 1963, elles avaient rassemblé les Tutsi et les faisaient monter dans des camions pour aller les jeter dans les chutes de Rusumo. A Rukumberi, des Tutsi s’étaient réfugiés au bureau préfectoral, et d’autres y ont été conduits le 24 décembre 1963 par les autorités. Mais le soir du même jour, ils furent tous emmenés aux chutes de Rusumo où ils ont été jetés ».
Un témoin de la Commune Rutonde a déclaré qu’après que les Inyenzi furent vaincu par l’armée gouvernementale en 1963, les autorités ont ordonné de tuer les Tutsi. C’est à cette période que les Tutsi de la Préfecture de Kibungo, à Rukumberi, à Rwamagana et dans d’autres Communes, ont été emprisonnés, torturés et d’autres massacrés, fusillés ou jetés vivants dans les chutes de Rusumo sous l’instigateur du Sous-Préfet Justin Temahagari.
Selon un témoin de la Commune Mugesera, au cours de cette période, le Bourgmestre Chrysanthin Habimana établissait la liste des Tutsi à tuer. Ces derniers étaient mis dans des sacs et emmenés dans des véhicules pour être jetés dans les chutes de Rusumo. Il faisait tout cela en complicité avec un européen nommé Cousin-Ville alias Byuname et avec le Préfet Christophe Bahutiraho.
Un autre témoin, l’abbé Laurent Rutinduka de la Commune Murambi, Secteur de Kiziguro, Préfecture de Byumba a relaté que les massacres contre des Tutsi en 1963 se sont étendus à toute la Préfecture de Kibungo, même à Rukumberi où les Tutsi furent tués alors qu’ils étaient encore dans des camps de réfugiés.
Selon l’abbé Oreste Incimatata, au cours de cette période il était écolier à Kibungo et vivait chez son oncle. Lorsqu’il rentra de l’école, il vit les autorités venir fouiller les maisons des Tutsi, y compris celle de son oncle, sous prétexte de rechercher des armes. Après quoi, elles sont allées perquisitionner également chez les prêtres de la Paroisse de Kibungo.
Durant cette période, les Tutsi étaient jetés dans les chutes de Rusumo, comme le relate un témoin de la Commune Kabarondo, ancienne Directrice de l’Ecole Primaire de Kabarondo.
«Le régime Grégoire Kayibanda était caractérisé par la persécution et la torture contre les Tutsi. Pendant les massacres contre des Tutsi en 1963-1964, les Tutsi de Rwinkwavu ont été transportés pour aller être jetés dans les chutes de Rusumo. Ils ont été tués parce qu’ils étaient de l’ethnie tutsi, et c’était la seule raison ».
A la suite des attaques des Inyenzi en 1963, les Tutsi de Kibungo, et plus particulièrement ceux de Rukumberi, ont été tués sous prétexte qu’ils collaboraient avec les Inyenzi. La plupart des Tutsi de Kibungo ont été fusillés à Rusumo et jetés dans la rivière Akagera et d’autres dans les chutes de Rusumo ; d’autres encore ont été emprisonnés pendant plus de six mois, sans espoir de retourner chez eux.
L’abbé Oreste Incimatata a confirmé qu’en 1963 le Gouvernement rwandais tuait en priorité les intellectuels, les commerçants et autres tutsi aisés.
Un témoin de la Commune Rukira raconte que, parmi les Tutsi qui ont été tués, surtout les intellectuels, il y a Charles Sahundwa qui était enseignant à Gituku, le chef Védaste Karasi, Thaddée Sadara, enseignant et Elie Rwagakoco, assistant médical. Selon le témoin, ces derniers furent emmenés par les policiers, les mains liées, et ensuite jetés dans les chutes de Rusumo, c’était la veille de Noël. C’est pourquoi ce Noël a été baptisé « le Noël sanglant ». De tous ceux qui ont été emmenés, personne n’est revenu.
Selon Alfred Nkubili, même en juin 1966, les Tutsi furent persécutés, torturés et massacrés après l’attaque des Inyenzi. .Selon le même témoin, les Inyenzi avaient attaqué le Rwanda à partir de Butamwa ; le lendemain de l’attaque, il a vu une personne qui distribuait des lettres aux habitants de sa localité. Comme ces personnes ne savaient pas lire, ils lui avaient demandé de les lire et leur dire ce qu’elles contiennent ; on pouvait y lire dans ces lettres : « Les Inyenzi ont attaqué, rappelez-vous de surveiller ceux qui sont avec vous ». Le témoin leur mentit en leur disant que c’était une invitation à une réunion. En effet, c’était sa famille qui était signalée dans les lettres comme devait être surveillée.
Face à cette attaque des Inyenzi à Butama en 1966, les Tutsi ont été accusés faussement qu’ils étaient des Inyenzi. C’est ainsi qu’ils ont été arrêtés, emprisonnés ou tués par après.
Les massacres contre des Tutsi se généralisèrent dans tout le pays, particulièrement à Gikongoro, Cyangugu, Gisenyi et Kibungo. Il est difficile d’évaluer avec certitude le nombre des victimes de ces massacres. Cependant certaines sources font état de vingt milles (20.000). A cet égard, des observateurs parlent de « début de génocide » contre les Tutsi. (Fin)