Kigali: La recherche menée par la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG) sur l’histoire du génocide dans l’ancienne préfecture de Kibungo, indique que le 25 septembre 1961, lors que le Rwanda se préparait aux élections de référendum, le PARMEHUTU créait souvent, avant ces élections qui ont eu lieu du 23 au 28 aout 1961, des violences contre les Tutsi dans des régions à forte prépondérance tutsi, comme Kibungo et Astrida. Durant cette période, la tension régnait en Territoire de Kibungo depuis plusieurs semaines et qui avait occasionné des violences contre les Tutsi. Cela s’est brusquement aggravé à partir du 25 août 1961.
Dans une lettre écrite par le Comité National de l’UNAR au Résident du Ruanda, on y lit ce qui suit : « Après les territoires de Kibuye, Kigali, Nyanza, Gitarama et Astrida, le Territoire de Kibungo est à la veille des classiques incidents qui, depuis bientôt 2 ans, ensanglantent le Rwanda. Le Territoire de Kibungo va sous peu s’inscrire 6ème territoire à souffrir du terrorisme, de l’intimidation, des troubles et de tueries ».
Dans la même Lettre, on peut y lire que depuis l’arrivée de la Commission des Nations Unies sur le sol du Ruanda, venue pour superviser ces élections nationales qui devaient se dérouler dans le calme et la paix, les Tutsi furent les victimes d’actes de violence, de destructions et de pillages de leurs biens et d’atrocités de toutes sortes.
Dans une lettre adressée à l’Administrateur G. De Weerd alias Macumuyinda, les Tutsi de la Commune Nyarubuye avait dénoncé leur persécution dans la Commune de Nyarubuye par le Bourgmestre et ses Conseillers.
Dans cette lettre, il est évoqué la réunion du 28 mai 196 à la Centrale Catholique de Gituku où le Bourgmestre Mpabanzi s’est adressé aux habitants d’une autre Commune en ces termes : « Poursuivez les jeunes filles tutsi partout où vous les trouvez, au besoin mettez-les à la merci des soldats!!! »
A un mois et 7 jours des élections, le calme que l’administration de tutelle promet tous les jours n’est pas encore revenu, par contre les troubles se propagent dans le Territoire de Kibungo, le seul territoire qui jusqu’à ce jour n’avait pas connu les incendies, les pillages et massacres qui ont ravagé tout le pays au cours de 20 derniers mois.
Une fois de plus, la complicité de l’Administration de Tutelle est manifeste. La part active de ses agents de toutes catégories, le silence complice des principaux responsables de l’Administration du Ruanda sont autant de preuves de sa complicité. Plus que jamais, les Représentants de la Tutelle se sont rangés aux côtés du parti PARMEHUTU dans la réalisation de ce plan concerté qui consiste à obliger les populations ruandaises, par la violence, d’adhérer au PARMEHUTU.
La mise en exécution de ce projet, visait à réduire au silence ou à l’impuissance les militants et les dirigeants de l’UNAR. Les autorités visaient aussi la suppression physique des Unaristes. Dans cette partie du territoire de Kibungo, le 1 août 1961, une réunion de toute la population fut tenue à Rutonde dans la Commune de Rwamagana au cours de laquelle Mr Isidore Sebazungu, Secrétaire d’Etat à la Défense, prenant la parole, y déclara ouvertement « Qu’on allait supprimer les grands militants de l’UNAR (pour la plupart des Tutsi) habitant la région de Rwamagana pour arriver à bout de ce maudit parti. Il a aussi affirmé qu’au besoin il emploierait l’armée ».
Comme les habitants de la Préfecture de Kibungo avaient la réputation de ne pas s’engager dans des tueries contre les Tutsi, les autorités de cette région complotèrent pour assassiner Jean Népomuscène Kajangwe, député tutsi du parti PARMEHUTU. En fait, l’UNAR et le PARMEHUTU se faisaient toujours le bras de fer. Ainsi, des membres du parti PARMEHUTU complotèrent en vue d’assassiner le député Jean Népomuscène Kajangwe pour provoquer la colère des Hutu du Gisaka afin que ceux-ci tuent les Tutsi.
Dans un rapport du 16 septembre 1961 concernant les événements du Buganza Sud du Territoire de Kibungo et de l’assassinat du député Jean Népomuscène Kajangwe, l’agent Territorial Principal, Jean Dupuis a dit ceci : « Il faut noter d’abord que depuis quelque temps déjà les Bahutu étaient assez excités contre les Batutsi ». Cela montre que les autorités ont fait tout pour semer la zizanie entre les Rwandais.
En 1961, Jean Népomuscène Kajangwe et Isidore Sebazungu étaient des députés du PARMEHUTU à Kibungo. Avant d’être député, pour ensuite devenir sous-préfet, Jean Népomuscène Kajangwe avait été Chef du Buganza Sud avant 1959.
L’administrateur du territoire de Kibungo, G. De Weerd, avait d’abord proposé au député Jean Népomuscène Kajangwe de tuer Isidore Sebazungu pour soulever la colère des Hutu contre les Tutsi, mais ce dernier avait refusé. Face au rejet de sa proposition, G. De Weerd, changea de stratégie et fit la même proposition à Isidore Sebazungu qui l’accueillit avec enthousiasme. Ils complotèrent ainsi pour assassiner le député Jean Népomuscène Kajangwe.
Avant 1961 les Hutu ne tuaient pas les Tutsi dans ce Territoire de Kibungo, mais ils pillaient leurs biens. L’administrateur G. De Weerd n’était pas du tout content de cette unité qu’affichaient les habitants de Kibungo, lesquels vivaient ensemble en paix. Alors en réunion à Gitarama, l’administrateur G. De Weerd, avait proposé de tuer tous les chefs tutsi. Chaque fois, les autorités cherchaient un élément de discorde entre les Hutu et les Tutsi. C’est ainsi qu’elles décidèrent de tuer le député Jean Népomuscène Kajangwe et de jeter la responsabilité de ce crime sur les Tutsi. Après cet assassinat, la plupart de Hutu tuèrent des Tutsi.
L’assassinat de Jean Népomuscène Kajangwe, organisé par le Secrétaire d’Etat à la Défense, Isidore Sebazungu et l’administrateur belge G. De Weerd, est survenu le 12 septembre 1961 et a provoqué alors des massacres contre des Tutsi dont la plupart ont fui vers les pays limitrophes.
Dans le rapport concernant les événements du Buganza Sud du Territoire de Kibungo, l’agent Territorial Principal, Jean Dupuis, parle de l’assassinat du député Jean Népomuscène Kajangwe et donne un élément important qui montre que le Colonel Guy Logiest et le Colonel Naegels se sont rendus à Kibungo pour superviser les massacres. Dans ce rapport il est clair que des massacres et des violences ont commencé dès l’arrivée des Colonels Guy Logiest et Naegel.
Cette fausse information selon laquelle les Tutsi avaient tué le député Jean Népomuscène Kajangwe poussa des Hutu à tuer les Tutsi en commençant par ceux qui étaient chez son parrain le même jour : Joseph Karara, Rwamiheto, Munyagihe et Sebinyenzi. Ces derniers habitaient dans la même localité que le député Jean Népomuscène Kajangwe à Kitazigurwa.
Depuis 1959, année durant laquelle les massacres contre des Tutsi avaient commencé dans tout le pays, le député Jean Népomuscène Kajangwe fut la première personne qui a été tuée à Kibungo le 26 septembre 1961. Durant cette période de crise en 1961, ce sont les autorités et des religieux qui téléguidaient ces massacres.
Suite à cet assassinat, les Tutsi ont été massacrés en grand nombre dans cette région ; certains d’entre eux ont été même brûlés vifs, enfermés dans des maisons préalablement obstruées, d’autres ont été tués à la machette ou transpercés par des lances. Ce qui provoqua un exil massif vers les pays voisins, le Burundi, l’Ouganda et la Tanzanie.
Un grand nombre de Tutsi se sont également réfugiés à l’Eglise protestante de Gahini, mais l’administrateur G. De Weerd accusa cette Eglise de les héberger.
Enfin, une lettre de l’Administrateur G. De Weerd adressée à Monsieur le Résident du Ruanda, montre le nombre total des réfugiés qui étaient à l’intérieur du pays. Il y est dit que le nombre total des réfugiés à charge de l’Administration et hébergés dans les différents centres d’accueil s’élevait, le 20 octobre 1961, à onze mille personnes. (Fin)