Kigali: La recherche menée par la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG) sur l’histoire du génocide perpétré contre les Tutsi dans l’ancienne préfecture de Kibungo, indique qu’au cours de la Première République, les massacres répétitifs contre les Tutsi des années 1961,1963 et 1966 ont caractérisé ce régime, jusqu’à la fin de celui-ci quand en 1973 des Tutsi furent expulsés des Ecoles Secondaires, de l’Université et des services publics tandis que d’autres étaient tués.
Selon un informateur de la Commune Rutonde, le Président Grégoire Kayibanda avait adopté la stratégie qu’il pensait pouvoir lui permettre de prolonger son mandat : dire que les Tutsi étaient nombreux dans les écoles et les services publics pour qu’ils soient expulsés à partir de listes préalablement établies.
Les élèves tutsi furent chassés partout: à Zaza le 26 février 1973, à Gahini et Rwamagana, le lendemain. Au total, 167 Tutsi, c’est-à-dire 28% des 671 élèves qui fréquentaient ces établissements furent expulsés. Plus de douze professeurs furent également chassés : à Gahini, il s’agissait notamment de Karamage, Bangambiki, et Gasana. Ces massacres et ces expulsions des Tutsi ont eu lieu peu avant le coup d’Etat du 05 juillet 1973 opéré par le Général Major Juvénal Habyarimana.
Ces troubles de nature ethnique étaient fondées sur un soi-disant pourcentage élevé des Tutsi vers la fin de 1972 dans les écoles et dans l’administration.
Comme le reconnait une ancienne Directrice de l’Ecole Primaire de Kabarondo: «Vers 1973, renaît le problème d’équilibre ethnique dans les écoles et dans les services publiques»
Un informateur de la Commune Rutonde parle des évènements de 1973, en ces termes :Le Président Grégoire Kayibanda a été élu pour trois mandats de quatre ans chacun. Il était considéré comme un demi dieu par les Rwandais, ceux-ci chantant à longueur de la journée sa gloire en lui souhaitant une longue vie. Il fut tenté de rester au pouvoir en massacrant des Tutsi et en expulsant ceux-ci des écoles et des services publics pour satisfaire les extrémistes Hutu qui se plaignaient de la présence supposée de nombreux tutsi au sein de ces institutions »
Avant les évènements de 1973, le Directeur du Collège Christ-Roi à Nyanza, Chanoine Ernotte avait écrit au Président Grégoire Kayibanda posant des questions sur la discrimination qui était infligée aux Tutsi. Le Président Grégoire Kayibanda lui a répondu en expliquant que l’exclusion des Tutsi était nécessaire dans les écoles.
Selon Jean Damascène Rwasamirera, les Belges avaient choisi le Nord pour former une armée faite de Hutu purs et montrer aux Rwandais qu’il n’y avait pas de problème régional, Nduga-Kiga (Entre le Nord et le Sud du pays).
Néanmoins, c’est cette armée majoritairement formée par les officiers du Nord, qui, par un coup d’Etat, renversa le régime Kayibanda le 05 juillet 1973.
Bien avant ce coup d’Etat, il y avait une tension entre le Rukiga et le Nduga. C’est ainsi que, pour faire face à ce problème le régime Kayibanda créa un bouc émissaire : les Tutsi. Ce régime les tua et les chassa des écoles et des services publics, une campagne anti-tutsi fut déclenchée. Elle visait essentiellement les « intellectuels », c’est-à-dire ceux qui avaient un niveau de formation post-primaire.
Chaque établissement scolaire avait mis en place un « comité de salut public » chargé de guérir ce qu’ils appelaient « La myopie de certains Hutu » qui ne voyaient pas la menace représentée par l’élite tutsi du pays. Ainsi, les élèves Hutu des Ecoles de Byimana et de Shyogwe avaient établi une liste d’élèves et d’étudiants tutsi à expulser.
Ces troubles avaient touché tout le pays et la Préfecture de Kibungo n’était pas épargnée à l’exemple du Petit Séminaire de Zaza, de l’Ecole Normale de Zaza et du Groupe Scolaire de Zaza dans la Commune Mugesera, du Tronc Commun de Gahini dans la Commune Rukara, ainsi que du Tronc Commun de Rwamagana dans la Commune Rutonde.
Selon un informateur de la Commune Rukira, un peu partout dans la région de Kibungo il y avait la chasse aux Tutsi avant que le Général-major Juvénal Habyarimana ne prenne le pouvoir. Trois enseignants tutsi de l’Ecole Primaire de Ntaruka ont été expulsés de leurs services : Pierre Gatarayiha, Vincent et Antoine Mukakaza. De même à Rukumberi dans la Commune Sake, les Tutsi ont été chassés des écoles et des services publics. Certains tutsi fuirent ces massacres et les persécutions vers les pays limitrophes. Au Petit Séminaire de Zaza, des élèves tutsi furent battus, d’autres tués, selon Rwasamirera Jean Damascène.
Un autre informateur Justin Kayitana de la Commune Rukara a rapporté qu’en 1973 il était élève au Petit Séminaire de Zaza. Un jour, alors qu’ils venaient de terminer les cours, les listes des élèves tutsi à expulser et à tuer avaient déjà été établies. Les élèves qui avaient tué à Zaza étaient venus d’autres établissements et étaient soutenus par les autorités. Ils utilisaient des armes traditionnelles comme les gourdins et les bâtons. Les élèves chassés de l’établissement rentrèrent chez eux.
Lorsque Mgr Joseph Sibomana apprit cette mauvaise nouvelle, il alla avec des militaires pour faire revenir les élèves qui fuyaient ces troubles et leur demanda de retourner à leur établissement.
Parmi ces militaires, il y avait le Colonel Pierre Célestin Rwagafilita. Ce dernier avait essayé de convaincre Mgr Joseph Sibomana que le Petit Séminaire devait être dirigé par un Hutu, car le Recteur Charles Gatsigazi était Tutsi. Finalement ce dernier a été remplacé par l’abbé Elysée Mpongano. Toutefois, selon le témoin, ce dernier avait lui aussi du sang tutsi dans ses veines. Pour cet établissement, les autorités avaient décidé que ces élèves tutsi y restent pour continuer leurs études, tout en étant protégés par les militaires qu’avait amenés Mgr Joseph Sibomana.
Au Tronc Commun de Gahini, les élèves tutsi ont été chassés le 27 février 1973, quand leurs collègues Hutu commencèrent à leur jeter des pierres.
Le 28 février 1973, l’on continua à chasser et à tuer les élèves tutsi. Lorsqu’ils apprirent que leurs biens avaient été brûlés, le témoin et ses amis, Rurangwa et Wesley, décidèrent de quitter l’établissement et de se réfugier au Burundi.
Dans ce même établissement, le 18 mars 1973, un autre évènement est survenu, l’assassinat de Gakwavu, un employé tutsi de la Paroisse protestante de Gahini, par des élèves du Tronc Commun de Gahini. Cet assassinat fut commandité par ses collègues, dont Isaac Sarabwe le responsable de cette école. Lors de ces troubles, des élèves tutsi s’étaient réfugiés chez Gakwavu. Les tueurs sont venus en criant tout haut : « nous voulons tuer les serpents, sans plus, car ils ont proliféré » ; et ils tuèrent Gakwavu ainsi que certains réfugiés qui étaient chez-lui.
Au plus chaud des évènements, les élèves Parmehutu de Gahini s’étaient rangés du côté d’Isaac Sarabwe et avaient fraternisé, en ne tenant pas compte de ce qu’il était accusé de meurtre. Cet Isaac Sarabwe était considéré « comme un leader hutu, farouchement opposé aux Tutsi ». Ainsi, « on le traitait de fauve et de barbare à cause de son intolérance envers le Tutsi». Les élèves en firent néanmoins leur leader parce qu’il était « le seul élément Hutu capable de comprendre et de défendre leurs intérêts». Par contre, le Préfet de Kibungo, Félicien Kwigira, le trouvant extrêmement dangereux, avait souhaité sa mutation.
Bien plus, un fait inhabituel s’était produit à Kibungo : les élèves du Tronc Commun de Rwamagana se sont attaqués au Bourgmestre de la Commune Rutonde, François Rwakagabo, soupçonné d’être tutsi. Ils l’arrêtèrent eux-mêmes et le placèrent en détention à la station de police de Rwamagana. Par crainte de l’intervention musclée des membres de sa communauté, appelés Abakemba, où il était influent, il fut relâché après une seule nuit au cachot.
D’après le témoin de la Commune Rukara, en octobre 1972, le Ministre de l’Intérieur et des Affaires Judiciaires, André Sebatware, avait demandé au Préfet de Kibungo, Félicien Kwigira « de bien vouloir mener une enquête discrète afin de déterminer les ethnies auxquelles appartiennent François Rwakagabo, Bourgmestre de la Commune Rutonde et Isidore Sebazungu, commerçant et citoyen de cette même Commune».
Les listes des fonctionnaires à expulser, furent affichées à Kibungo vers la fin du mois de février 1973.
Certains étaient employés à la préfecture, à la société d’exploitation minière de Rwinkwavu et dans d’autres services.
A Kibungo, les troubles gagnèrent les campagnes ; des maisons de Tutsi dans les Communes de Muhazi, Rukara et Rukira furent incendiées. Tous ces actes de violences, le Préfet de Kibungo, Félicien Kwigira les appelait : « des actions révolutionnaires ». Il n’était pas le seul à parler de la sorte, car partout le refrain était : « faire du mal à un Tutsi, c’est défendre les principes du PARMEHUTU». Ces actions « révolutionnaires » dans le contexte de ce parti sectaire et de la «Révolution de 1959 », étaient en réalité des actes d’épuration ethnique. (Fin)