Procès Hategekimana/Manier pour génocide à Paris, 19 juin 2023. J26

AUDITION DES PARTIES CIVILES :

•           Pour l’association SURVIE, Laurence DAWIDOWICZ

•           Pour l’association IBUKA France, Marcel KABANDA, président.

•           Pour le CPCR, Alain Gauthier, président.

•           Pour le CPCR, Dafroza GAUTHIER MUKARUMONGI, membre fondateur.

•           Audition d’Éric GILLET (a été avocat des parties civiles dans les procès en Belgique).

•           Audition d’Ignace MUNYEMANZI, témoin de personnalité.

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Pour l’association SURVIE, madame Laurence DAWIDOWICZ.

Laurence DAWIDOVISCH est auditionnée en tant que représentante de l’association Survie qui s’est portée partie civile dans le procès. Son audition est seulement constituée de sa déclaration spontanée puisque les parties n’ont pas eu de questions. Dans sa déclaration, Laurence présente son association qui emploie deux salariés, qui a été créée dans les années 80 et qui a redirigé ses activités au moment du génocide des Tutsi au Rwanda. Survie s’est mobilisée pendant et après le génocide pour avertir les institutions et l’opinion publique, pour assurer la poursuite des génocidaires à l’international et en France. L’association a été partie civile dans plusieurs procès tel que celui de l’affaire SIMBIKANGWA.

Pour l’association IBUKA France, monsieur Marcel KABANDA, président.

Marcel KABANDA est entendu en tant que président de l’association IBUKA France. IBUKA signifie « Souviens-toi » en kinyarwanda. Puisque la question a été posée au début du procès, le président demande à Marcel KABANDA de préciser la nature des liens entre les différents IBUKA et notamment entre IBUKA Rwanda et IBUKA France. Il répond que le seul lien est l’objet que les associations ont en commun, celui de la mémoire du génocide.

Le témoin présente ensuite le rôle d’IBUKA et les difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans l’œuvre de mémoire, puisque les personnes qui ont vécu le génocide ne sont plus, pour la plupart. Il explique aussi qu’après le génocide les tueurs ont eu le temps de fuir et qu’avec le temps, la mémoire des survivants sur les faits et les visages de ces tueurs s’affaiblit.

La défense interroge le témoin sur les liens d’IBUKA France avec les autres associations IBUKA, et Marcel KABANDA est obligé d’expliquer à nouveau la distinction. Il lui demande ensuite les détails des apports financiers de l’association et s’il a déjà rencontré des difficultés avec la visite de témoins en prison. Marcel répond qu’il n’est jamais allé en prison, mais a rencontré des rescapés ou témoins libres (NDRL’avocat de la défense se trompe manifestement de témoin. Ce sont les représentants du CPCR qui se rendent fréquemment dans les prisons rwandaises pour recueillir le témoignage des détenus). Enfin, la défense cite des passages d’ouvrages de professeurs sur les difficultés judiciaires concernant la vérité de certains témoignages comme le professeur GUICHAOUA. Marcel KABANDA répond que pour chaque témoignage, ce sont aux juges et à la cour d’apprécier leur véracité.

Pour le CPCR, monsieur Alain Gauthier, président.

J’interviens en tant que président du CPCR. L’association a été créée en 2001 et a pour but de poursuivre les personnes suspectées d’avoir participé au génocide des Tutsi et qui vivent sur le sol français. La France a la possibilité de juger au vu de la loi de compétence universelle. J’interviens aussi en tant que famille de victimes puisque la famille de mon épouse a été exterminée. Je tiens à remercier notre avocate, Domitille PHILIPPART, qui nous a aussi assistés dans ce procès et dans d’autres affaires.

Je commence ma déposition assez loin dans le temps, en 1961. J’étais en 5ème, et un missionnaire Père Blanc est venu projeter un documentaire « Charles LWANGA et les martyrs de l’OUGANDA ». À la fin de la projection, j’ai griffonné sur un papier ces quelques mots :« Je veux être comme vous ». Il m’a répondu : « Tu es en 5ème, passe ton bac et on verra ». Si je rapporte cette anecdote qui peut vous paraître banale, c’est parce que, en 1994, c’est dans la paroisse « Charles LWANGA et les Martyrs de l’OUGANDA » à NYAMIRAMBO que ma belle-mère, Suzana MUKAMUSONI, sera assassinée le 8 avril au matin.

Plus tard en 1968, je rentre à la faculté de théologie catholique de Strasbourg. Après deux ans d’études, c’est l’heure de faire mon service militaire. Je m’engage pour deux ans. L’évêque de BUTARE, monseigneur Jean-Baptiste GAHAMANYI, avait besoin de coopérants. Quand j’arrive à BUTARE, l’évêque me nomme professeur de français à SAVE, c’est une colline à dizaine de kilomètres au nord de BUTARE. SAVE est la première paroisse du Rwanda fondée en 1990. Le roi avait envoyé les missionnaires sur cette colline car les habitants avaient une mauvaise réputation.

Je passe deux années dans cet établissement en tant que professeur de Français. J’entraîne aussi l’équipe de football. Là-bas, je me trouve dans une situation assez bizarre, il y un groupe de professeurs rwandais dont Straton GAKWAYA, un jeune prêtre qui sera assassiné le 7 avril au Centre Christus à KIGALI, et Boniface NKUSI aussi tué pendant le génocide. Et il y avait aussi un Hutu royaliste, Xaveri NAYIGIZIKI. A côté de ce groupe il y avait une congrégation de frères flamands, les VANDALES (c’est leur vrai nom) qui avaient été chassés du CONGO, ils se mêlaient peu aux autres. A la fin de 1971, l’un d’eux va écrire une lettre anonyme à mes parents pour dénoncer mon mauvais comportement. L’auteur, finalement dénoncé, sera  expulsé du Rwanda par l’évêque de BUTARE. J’apprendrai plus tard que l’évêque m’avait placé dans cet établissement pour créer des liens entre les groupes, ça n’a pas été possible.

La seule distraction sur cette colline où étaient implantés de nombreux établissements scolaires, c’était le football. On avait créé une équipe d’enseignants qui sillonnait la région pendant le week-end : on m’avait d’ailleurs affublé d’un surnom : KANYAMUPIRA. Le 1er mai 1972, on part au BURUNDI pour deux matchs. Mon passeport était périmé, donc je pars accompagner d’un commerçant grec de BUTARE qui me dit : « Ne t’en fais pas, je connais tout le monde ». Effectivement, on passe la frontière sans problème. Après quelques kilomètres, on est arrêté par des militaires lourdement armés qui finissent par nous laisser passer. Cela se produira plusieurs fois avant d’arriver à BUJUMBURA, sans que personne ne nous donne d’explication. On apprendra, à notre arrivée, qu’un coup d’état s’est produit dans la nuit : des camions de cadavres sillonnent la ville. Comme je n’avais pas de papiers, on s’est caché au Grand séminaire et après avoir obtenu un laisser passer de l’ambassade de France, nous sommes partis en convoi, huit jours plus tard, escortés par les militaires burundais, jusqu’à la frontière du ZAÏRE, près de la ville d’UVIRA, pour rentrer au RWANDA par CYANGUGU. Mon retour à SAVE a été bien fêté.

En juillet 1972, je dois quitter le Rwanda et je reprends mes études à Nice, en Lettres modernes, et l’année suivante à l’Université de Grenoble, mon académie d’origine. En 1973, les Tutsi sont chassés de l’administration, des collèges, des universités, dont mon épouse qui se réfugie au BURUNDI. À l’été 1974, Henri Blanchard, curé de SAVE quand j’étais au Rwanda, et qui est venu en congés, me dit qu’une jeune demoiselle vient le voir à Ambierle, près de Roanne, dans la Loire.  Je l’avais connue à SAVE et, de mon ARDÈCHE voisine, je vais voir DAFROZA. Après lui avoir rendu sa visite le Noël suivant à Bruxelles, nous commençons notre histoire commune. Nous nous marions en 1977 et nous aurons trois enfants. Nous avons passé plusieurs séjours au Rwanda jusqu’en 1989. Les attaques du FPR rendaient les visites difficiles.

En février 1993, après l’intervention sur France 2 de Jean CARBONARE, c’est la date de notre premier engagement.  J’écris à François Mitterrand pour lui demander ce que la France fait au Rwanda. Je reçois une lettre de l’Élysée, une autre du Ministère des Affaires Etrangères pour dire qu’ils font le maximum pour ramener la paix au Rwanda. Le 4 août 1993, nous fêtons les accords d’Arusha à Bruxelles. En février 1994, mon épouse part rendre visite à sa mère qui lui dit, alors que la situation est tendue à KIGALI, de rentrer en France. On ne la reverra plus.

Le 7 avril 1994, il y a l’attentat contre l’avion du président. Je l’apprend par la radio, je réveille mon épouse, elle a au début une réaction enthousiaste mais je lui dis : « Attention, les Tutsi peuvent en faire les frais ». Le lendemain, je téléphone au Père Blanchard à la paroisse où ma belle-mère et ses cousins se sont réfugiés et j’apprends que ma belle-mère a été assassinée dans la matinée, dans la cour de la paroisse. Le soir, rentré à la maison, je dois annoncer la terrible nouvelle. DAFROZA se met à hurler au point que je dois aller expliquer la situation à nos voisins. Notre fils EMMANUEL, onze ans, lancera ces mots : « Maman, je te vengerai ».

Commence alors notre combat quotidien. Dans la presse, j’écris dans les journaux pour dénoncer ce qui se passe au Rwanda. Le journal La Croix publie un de mes appels au secours. Je suis le premier à annoncer l’accueil d’Agathe HABYARIMANA en France avec de l’argent et un bouquet de fleurs. Nous répondons aux fax des rescapés de l’hôtel des Milles collines. Pendant cette période, nous organisons une manifestation à Reims avec un slogan : « Rwanda, la honte ».

Deux enfants du cousin de mon épouse, Jean-Paul et Pauline, sept et onze ans, sont retrouvés par la Croix Rouge à BUJUMBURA et nous mettons tout en œuvre avec le Ministère des Affaires étrangères pour les accueillir. Ils arrivent le 14 août. La famille passe de trois à cinq enfants. En août 1996, on retourne au Rwanda, on trouve peu de survivants, le silence s’impose, les seules personnes de notre famille, ce sont des réfugiés qui étaient au Congo. Au cours de cette année, nous allons commencer à réunir des premiers témoignages, à titre individuel. Mon épouse avait une cousine rescapée de la Sainte-Famille à KIGALI qui nous a permis de récupérer des témoignages de rescapés. On les remet à un avocat qui était sur l’affaire MUNYESHYAKA qui était visé par une plainte depuis 1995. Après plus de vingt ans de procédures, il finira par bénéficier d’un non-lieu définitif, au grand désespoir des rescapés.

Au printemps 2001, c’est le premier procès à Bruxelles : les Quatre de Butare, parmi les accusés, il y a un ancien ministre et chef d’une entreprise d’allumette à BUTARE, un professeur d’université et deux religieuses. Nos amis à l’initiative de la plainte, à la fin du procès, nous interpellent : « Et vous, qu’est-ce que vous faites en France ? » Dès la fin du procès nous réunissons un certain nombre d’amis et nous créons le CPCR. Nous allons nous constituer partie civile dans six plaintes qui « dormaient » sur le bureau de la juge d’instruction: l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA, le docteur Sosthène MUNYEMANA qui sera jugé en novembre, Laurent BUCYIBARUTA, ancien préfet de GIKONGORO, jugé et condamné l’an dernier, Fabien NERETSE, que nous avions retrouvé à Angoulême sous un faux nom et qui sera extradé vers la Belgique et condamné, Cyprien KAYUMBA et Laurent SERUBUGA.

Rapidement nous avons travaillé sur de nouvelles plaintes. Chaque fois que nous apprenions la présence en France d’une personne suspectée d’avoir participé au génocide des Tutsi, nous nous rendions sur place et nous allions à la recherche de témoins dont les témoignages allaient servir à nourrir la plainte que nous soumettions à des juges d’instruction. La première, c’est celle contre Agathe HABYARIMANA, le 13 février 2007 : elle vit toujours en France, sans avoir eu de titre de réfugié ou de séjour et vit à COURCOURONNES, dans la banlieue parisienne. Nous avons déposé une trentaine de plaintes, elles ont toutes été suivies d’une information judiciaire. Les juges d’instruction ont toujours pris très au sérieux les plaintes que nous avons déposées. Cinq affaires se sont terminées par des non-lieux.

Nous nous rendons souvent au Rwanda. Les témoins sont des rescapés, mais les rescapés ne sont pas toujours les meilleurs témoins parce que, souvent, ils se cachaient. Nous rencontrons des prisonniers, soit libérés, soit nous nous rendons en prison pour recueillir leurs témoignages. Ce n’est pas une faveur que l’on nous fait, tous ceux qui souhaitent rencontrer des prisonniers demandent l’autorisation au parquet général de KIGALI et au directeur des prisons. C’est ce qu’on fait et c’est ce qu’on a fait dans le cadre de cette affaire. Maintenant, le parquet préfère les extraire de la prison et les amener au parquet où ils peuvent nous donner leurs témoignages. Voilà le travail qu’on fait.

Une autre date me revient en mémoire, c’est juin 2004. On est averti qu’une fosse commune va être ouverte à NYAMIRAMBO, à la paroisse. Ma belle-mère a été tuée près de là, nous y allons, ils ouvrent la fosse devant nous. Les gens qui creusent doivent aller doucement quand on voit des os.. On voit rapidement apparaître le corps d’un jeune homme en tenue de basketteur, puis des os, des crânes que mon épouse va observer attentivement pour tenter de trouver des indices qui lui permettraient de reconnaître sa maman. En vain. On enlève les corps, ils sont lavés, on met des bassines d’eau, on les nettoie avec des brosses à dents, on les fait sécher au soleil et ensuite on les met dans des cercueils : on pourra les inhumer dignement au mémorial de GISOZI, à KIGALI.

En 2012, il y a la création du pôle crimes contre l’humanité au TGI de Paris. Avant, il fallait déposer les plaintes au domicile des accusés. Par exemple, nous avions retrouvé les traces de l’ancien sous-préfet de Gisagara, Dominique Ntawukuriryayo, à Carcassonne, où il travaillait au service du diocèse. On nous avait dit qu’il n’était pas à l’adresse que nous avions indiquée et un an après, il a été arrêté à cette adresse précise. Dans mon établissement scolaire, je faisais partie d’une commission qui donnait des réductions aux familles nécessiteuses. Je tombe sur le nom d’un Arsène NTEZIRYAYO, je me rends compte qu’il s’agit du fils du dernier préfet de BUTARE. Sa femme était venue s’installer dans la banlieue rémoise et avait déclaré, au moment de l’inscription, que son mari était « prisonnier politique » à ARUSHA alors qu’il y avait été condamné pour génocide.

Pour l’affaire HATEGEKIMANA, en 2013, nous trouvons dans notre courrier une lettre anonyme qui disait que ce monsieur travaillait à l’université de Rennes 2. Des détails précis nous permettaient de commencer notre enquête. Il y avait aussi un deuxième nom, celui de monsieur Ignace MUNYEMANZI qui sera entendu dans l’après-midi. Le gros de nos activités, c’est de nous consacrer à la poursuite des personnes en France. Et nous avons aussi des activités en rapport avec l’éducation, nous intervenons régulièrement dans des collèges, lycées, et universités. Les professeurs ont maintenant le droit de choisir le génocide comme point d’approche. Je regrette l’absence de madame MANIER, parce que j’aurais aimé qu’elle explique ce qu’elle a dit sur nous dans les écoutes téléphoniques. Elle prétend que je connais celui qui aurait trahi son mari et que je l’aurais payé grassement. Nous recevons beaucoup d’attaques sur les réseaux sociaux.

Nous regrettons aussi la décision de la Cour de cassation qui refuse d’extrader vers le Rwanda les personnes visées par des mandats d’arrêt internationaux, ce qui encombre la justice française. Ce refus est pour nous un scandale. Les enquêtes sont de plus en plus difficiles, beaucoup de témoins sont morts, rien que dans le cadre de ce procès, il y en a trois qui sont décédés. La mémoire est défaillante. Certains témoins ont encore peur de témoigner. On doit prendre beaucoup de précautions pour recueillir les témoignages des rescapés qui souhaitent nous rencontrer dans des lieux secrets. De plus en plus de tueurs sortent de prison, et rejoignent leurs collines, ce qui inquiète les rescapés. Se pose aussi au Rwanda un gros problème de santé mentale.

Je remercie Florence PRUDHOMME et Michelle Muller qui s’évertuent à publier des témoignages de rescapés, Les Cahiers de mémoire. Le crime de génocide est un crime contre l’humanité dont on ne se remet pas.

A la fin de l’audition d’Alain Gauthier, le président Lavergne donne lecture de la lettre anonyme dont il vient d’être question.

Seul maître ALTIT, pour la défense, va poser des questions au témoin, pendant 45 minutes.

QUESTIONS DE LA COUR :

PRESIDENT : Il me semble qu’avant la plainte, un article avait été publié dans le Ouest France ?

Alain GAUTHIER : Oui mais je ne me souviens plus de la date.

QUESTIONS DE LA DEFENSE :

Me ALTIT : Vous avez dit dans votre audition (D652) : « On a reçu un jour une lettre anonyme…. ». Comment savez-vous que c’était des étudiants de Rennes et des rescapés ?

Alain Gauthier: Ce sont des déductions que j’ai faites parce qu’il était question de Rennes 2 et que l’accusé continuait à harceler ces personnes. Ça reste une lettre anonyme.

Me ALTIT : Ce qui semble frappant c’est l’abondance de détails concernant l’accusé, son adresse, son prénom, certains faits sur sa naturalisation. Comment se fait-il que des étudiants aient accès à ces dossiers ?

Alain Gauthier : Si ce sont des étudiants, c’est possible, moi je l’ai simplement reçue.

ME ALTIT : Hum!

Alain Gauthier : à deux ou trois reprises.

ME ALTIT : Votre premier réflexe c’est de demander si c’est vrai, si ce n’est pas dangereux, vous pesez le pour et le contre ?

Alain GAUTHIER Pas plus que quand on découvre une personne par un autre moyen. Nous nous sommes déplacés rapidement sur les lieux des massacres au Rwanda, nous avons recueilli les témoignages, une fois qu’on a les témoignages on essaie de les regrouper, et puis ils nous servent à rédiger la plainte, nous n’avons pas trop de raisons de douter. Ça nous est toutefois arrivé d’écarter des témoignages peu crédibles.

Me ALTIT : Vous n’avez pas peur d’être manipulé et que ça soit écrit par des représentants des services du Rwanda ?

Alain Gauthier : Ça fait près de vingt-cinq ans de travail et d’expérience, toutes nos plaintes ont été suivies de l’ouverture d’une information par un juge d’instruction. Je ne comprends pas votre question sur l’accès au dossier.

Me ALTIT : Quand recevez-vous la lettre ?

Alain Gauthier : A mon souvenir c’est au cours de l’été 2013.

ME ALTIT : le 13 août 2013 vous êtes au Rwanda, c’est rapide au Rwanda ?

Alain Gauthier: Si les témoignages datent du mois d’août, c’est donc que nous avons dû la recevoir avant.

ME ALTIT : Un mois avant ? Deux mois avant ?

Alain Gauthier: Je ne sais pas, certaines dates sont claires dans mon esprit, d’autres moins.

Me ALTIT : Vous avez dit que vous avez déposé une trentaine de plaintes ?

Alain Gauthier : oui.

Me ALTIT : Donc vous êtes intervenus dans plusieurs dossiers en France ?

Alain Gauthier: Pas dans tous, on n’est pas au courant de toutes les informations judiciaires ouvertes par le Parquet depuis 2019. Je sais qu’il y en a une où on a été informés et on nous a demandé si on voulait nous constituer Partie Civile. Sinon, c’est le CPCR qui a déposé toutes les plaintes depuis 2001. Sans le CPCR, il n’y aurait pas eu de procès en France si nous n’avions pas fait ce travail-là.

Me ALTIT : Le journal Libération a fait sa Une sur un monsieur qui est venu témoigner. Vous l’avez vu ?

Alain Gauthier: Oui je l’ai vu.

Me ALTIT : Vous avez donné des informations ?

Alain Gauthier: J’en ai donné au journaliste il y a des mois, voire des années.

Me ALTIT : Il y a un témoin qui vient donner des informations et il est accusé dans la presse, vous comprenez que ça pose problème ?

Alain Gauthier : Ce n’est pas moi qui l’ai publié et on ne m’a pas demandé mon avis.

ME ALTIT : Quel est votre budget annuel ?

Alain Gauthier: Pendant longtemps nous avons fonctionné sur le budget familial. Le budget, je ne peux pas le donner, je ne suis pas trésorier, mais lors du premier procès nous avons obtenu une aide du gouvernement rwandais. Depuis, nous avons reçu une aide relativement importante d’une fondation danoise, et sinon nous fonctionnons avec les cotisations des adhérents et les dons.

Me ALTIT : Quel est votre budget par an ?

Alain Gauthier: 20 000€, sans aucune certitude.

ME ALTIT : 20 000€ ?

Alain GAUTHIER : De la somme reçue par la fondation dont je viens de parler, il nous reste un fond de fonctionnement, un petit fonds. On a aussi des avocats qui nous défendent pro bono.

Me ALTIT : Vous avez un petit fonds qui s’ajoute à un budget annuel. Ce petit fonds c’est combien ? Vous avez prêté serment!

Alain Gauthier : Non, maître, je suis partie civile, je n’ai pas prêté serment. (NDR. L’avocat se sent un peu gêné par cette méprise). Je ne suis pas obligé de le dire.

ME ALTIT : Combien de fois allez-vous au Rwanda par an ?

Alain Gauthier trois ou quatre fois par an, en moyenne.

ME ALTIT : Qui paie ?

Alain Gauthier: L’association, nous n’avons pas de frais importants sur place. Nous ne logeons pas à l’hôtel.

Me ALTIT : Vous avez une voiture qu’on vous prête ?

Alain GAUTHIER : oui, par des proches.

Me ALTIT : Vous dites dans votre audition que vous travaillez de manière étroite avec IBUKA ?

Alain Gauthier : Nous avons travaillé en lien avec le responsable IBUKA NYANZA qui a témoigné dans ce procès.

ME ALTIT : En lien avec IBUKA Rwanda ?

Alain Gauthier: Je viens de vous dire que le président local d’IBUKA est partie civile. Je ne vois pas pourquoi il en différait à IBUKA national.

Me ALTIT :  Vous envoyez au juge d’instruction les éléments qui sont des déclarations faites par des personnes que vous avez rencontrées, pourquoi n’avez-vous pas joint les procès Gacaca[6] auxquels les témoins font allusion, ça nous aurait beaucoup aidé.

Alain Gauthier: Ce n’est pas toujours facile de les obtenir rapidement et quand on les récupère, ils ne sont pas d’une grande précision: il y a le nom des juges, la sanction, le nom de la personne.

Me ALTIT : C’est toujours utile pour savoir.

Alain Gauthier : L’œuvre de justice, ce n’est pas nous qui la faisons, ce sont les juges d’instruction et celle-ci est rendue aujourd’hui. Dans quelques jours, lors du verdict, sera donnée une « vérité judiciaire ».

ME ALTIT : L’été 2013, vous partez au Rwanda. Le 13 août 2013, vous allez à la prison de NYANZA et vous entendez des détenus? (il cite des noms).

Alain Gauthier : C’est correct, mais quand nous sommes arrivés, on nous a fait venir des prisonniers et ils ont mis par écrit leurs dépositions. Parfois on nous les fait rencontrer seul à seul. Nous sommes souvent deux, mon épouse et moi. Eux, par contre, sont toujours seuls avec nous.

Me ALTIT : Vous êtes avec qui ?

Alain GAUTHIER: Je suis avec mon épouse.

Me ALTIT : Et pas de partie civile ?

Alain Gauthier: Je ne me souviens pas.

Me ALTIT : Vous avez écrit au parquet du Rwanda en disant : « Je veux entendre telle ou telle personne » ?

Alain Gauthier : on a demandé si on pouvait entendre des gens emprisonnés à la prison de Mpanga.

Me ALTIT : vous savez combien il y a de détenus ?

Alain Gauthier : je ne sais pas combien ils sont, je sais qu’il y a des étrangers, des Libériens et des Sierra-Léonais. Mpanga est une prison moderne aux normes internationales.

Me ALTIT : Je veux comprendre pourquoi vous écrivez que vous allez voir des détenus de NYANZA.

Alain Gauthier: Comment voulez-vous qu’à la prison de NYANZA, il n’y ait pas de prisonniers originaires de NYANZA.

ME ALTIT : c’est un pari ?

Alain Gauthier: C’est une déduction logique.

Me ALTIT : Le procureur vous autorise à aller en prison ?

Alain Gauthier : Il connaît le travail qu’on fait depuis des années, il nous donne cette autorisation.

ME ALTIT : A quel titre vous vous présentez ?

Alain Gauthier : Au titre de président du CPCR.

Me ALTIT : Vous n’êtes pas procureur, vous n’êtes pas avocat ?

Alain Gauthier: Je vous ai répondu, je demande l’autorisation, on me la donne. Il y a d’autres associations qui vont en prison rendre visite aux détenus.

Me ALTIT : Mais ils ont des statuts ?

Alain Gauthier: Nous aussi on a des statuts, ils ne peuvent pas être plus clairs.

Me ALTIT : Vous vous présentez aux prisonniers ?

Alain Gauthier: C’est comme ça qu’on fonctionne, avec l’aval des autorités judiciaires et carcérales du Rwanda.

Me ALTIT : Ce dernier demande au directeur de la prison …

Alain Gauthier : C’est comme ça que ça fonctionne.

Me ALTIT : Votre épouse a-t-elle des liens avec un membre du gouvernement ?

Alain Gauthier: J’attendais la question, j’ai vu que vous aviez versé un article au débat, un article qui dit: « Alain GAUTHIER avoue être en famille avec James KABAREBE » (NDR. Ancien ministre de la Défense, aujourd’hui conseiller auprès du Président de la République). Pour « avouer » il faut se sentir coupable. J’ai reconnu tout simplement la vérité. Y a-t-il une honte à cela? C’était suite à une question d’une avocate de la défense dans un autre procès que cet article « malveillant » a été publié. J’ai reconnu que monsieur KABAREBE avait épousé une cousine de mon épouse.

Me ALTIT : Vous avez la nationalité rwandaise ?

Alain Gauthier : Oui, et française. J’ai obtenu la nationalité rwandaise en 2009.

Me ALTIT : Vous avez été récompensé par le président KAGAME ?

Alain Gauthier : Oui, on a obtenu une décoration, par le président KAGAME. La médaille IGIHANGO.  Mais on en a reçu une aussi de la ville de Reims.

Me ALTIT : Dans la prison, ils sont quatre à témoigner ?

Alain GAUTHIER: oui, certains sont venus et ont dit : « Nous savons ce que vous faites, on n’a pas envie de vous parler».

Me ALTIT : Ensuite, certains restent et d’autres s’en vont ?

Alain Gauthier: Ils ont été répartis dans une salle et ils ont écrit leurs déclarations.

ME ALTIT : Vous savez que la plupart ne savent ni lire ni écrire ?

Alain Gauthier : Ceux qu’on a rencontrés savaient lire et écrire.

Me ALTIT : Je comprends le processus, mais il y a un « Hic ». Vous savez que les autorités rwandaises sont critiquées à cause des conditions de détention des prisonniers ?

Alain Gauthier : Je lis comme vous, mais on a les mêmes conditions dans certaines prisons françaises.

ME ALTIT : Des personnes qui ne vous connaissent pas, comment savez-vous qu’elles vont vous dire la vérité ? (de nommer l’association IBUKA)

Alain Gauthier: C’est vous qui le dites, je ne suis pas membre de cette association malgré tout le respect que j’ai pour eux. Ces témoignages, nous les remettons à des juges d’instructions qui enquêtent à leur tour lors de commissions rogatoires.

ME ALTIT : Au vu du rapport de 2021 du Haut-commissariat au Droits de l’Homme des Nations Unies, vous n’avez pas peur que ces gens vous disent des choses qu’on leur a soufflées ?

Alain Gauthier: c’est vous qui le craignez.

Me ALTIT répète la question.

Alain GAUTHIER: par rapport à certains témoignages, nous sommes méfiants. Nous n’avons pas fourni tous les témoignages parce que certains nous paraissaient pas suffisamment crédibles.

Me ALTIT : ils vous donnent leurs témoignages écrits ?

Alain Gauthier: Dans ce cas-là, oui.

Me ALTIT : Donc vous n’avez pas d’échange, on vous remet les témoignages ?

Alain Gauthier: Le directeur les regroupe, atteste de leur véracité par un tampon de la prison.

ME ALTIT : Est-ce que parmi ces noms que je donne, il y a des gens que vous aviez déjà croisés lors d’affaires précédentes ?

Alain Gauthier: Je ne vois pas.

ME ALTIT : Israël ? Vous ne l’avez rencontré nulle part ailleurs ?

Alain Gauthier: Non. Il est en prison.

ME ALTIT : Lameck ?

Alain Gauthier : pareil.

ME ALTIT : même avant ?

Alain Gauthier: non, même avant.

ME ALTIT : Mathieu ?

Alain Gauthier: pareil.

Me ALTIT : Vous dites dans votre audition : « Des détenus que nous n’avons pas prévu de rencontrer viennent ».  Comment ça se passe ?

Alain GAUTHIER : je n’ai pas plus d’explications à vous donner.

Me ALTIT : Y a-t-il parmi les détenus en général, des détenus qui sont les émissaires des autorités et qui vont chercher à droite à gauche dans une prison des personnes pour témoigner contre quelqu’un ?

Alain Gauthier : Non, je n’ai pas connaissance de cela.

Me ALTIT : Vous avez parlé de prisonniers qui ont refusé de vous parler. Pour qu’ils refusent de vous parler, vous les connaissiez ?

Alain Gauthier: Nous n’avons pas les noms, mais c’était un intellectuel qui parlait très bien français.

Me ALTIT : Vous leur dites quoi ?

Alain GAUTHIER: J’ai dit : « Je sais que vous avez des connaissances sur la personne contre laquelle nous désirons porter plainte, vous ne voulez pas me parler, j’en prends acte ». Et il est parti.

ME ALTIT : Il y avait des gens qui ont écrit pour eux ?

Alain GAUTHIER : Certains sont des illettrés, et ils ont besoin que quelqu’un prenne leur témoignage sous la dictée.

ME ALTIT : Les personnes remplissent leur papier, vous dites que, de votre point de vue, personne ne les a préparés ?

Alain Gauthier: Je pense que non.

ME ALTIT : Vous êtes avec votre femme ?

Alain GAUTHIER: Oui, nous partons le plus souvent possible ensemble. Il est possible que le représentant d’IBUKA à NYANZA, Canisius KABAGAMBA, ait été présent ce jour-là, je ne me souviens plus. Mais on est souvent seuls, tous les deux.

Me ALTIT : A votre connaissance, y a-t-il déjà eu des témoignages préfabriqués ?

Alain Gauthier: c’est ce que la défense prétend.

Me ALTIT : Ce n’est pas vrai.

Alain Gauthier : Si, c’est ce qu’on nous répète tout le temps.

ME ALTIT : vous savez qui paie les vêtements des personnes qui viennent ici ?

Alain Gauthier: pas du tout. Cette question a-t-elle beaucoup d’intérêt dans l’affaire qui nous concerne ?

Malgré la longueur de cet épisode, nous avons cru bon de transcrire cet interrogatoire dans sa quasi-totalité afin de montrer la difficulté qu’il peut y avoir parfois à « affronter » la défense. C’est un véritable bras de fer. Le CPCR est leur cible favorite.

Pour le CPCR, madame Dafroza GAUTHIER MUKARUMONGI, membre fondateur.

En cours de rédaction

Audition de monsieur Eric GILLET (a été avocat des parties civiles dans les procès en Belgique), en visioconférence depuis le Tribunal judiciaire de TARBES.

Éric Gillet est avocat et a travaillé pendant des années avec la FIDH au Rwanda. Il commence son audition par une déclaration spontanée dans laquelle il annonce être allé au Rwanda en 1991 pour la première fois à la demande d’un comité de défense des droits de l’homme de parties civiles qui s’était constitué en Belgique à la suite de l’emprisonnement des Ibyitso, des complices du FPR. Puis il s’est de nouveau rendu au Rwanda avec la FIDH pour enquêter sur des disparitions et sur un massacre au nord du pays. Un rapport a été publié en 1993 sur des violations de droits humains dans tout le pays, rapport qui décrit ce qui sera le mode opératoire du génocide, c’est-à-dire des acteurs étatiques et médiatiques affirmant que les Tutsi avaient élaboré un plan pour massacrer les Hutu.

Le témoin raconte ensuite comment des accords tels que les accords d’ARUSHA ont été signés entre le FPR et le gouvernement rwandais pour mettre en place un système de multipartisme. Éric Gillet et son équipe trouveront des notes qui prouvent l’existence dès lors d’un plan génocidaire, mentionnant des livraisons d’armes et la création d’une radio libre, la RTLM. Le témoin évoque ensuite les premiers signes de préparation du génocide en janvier 1994, l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA le 6 avril 1994 et l’assassinat des soldats belges de la MINUAR le 7 avril 1994. Éric GILLET mentionne le procès KIBUNGO en Belgique en 2005 qui a été un procès révélateur concernant la préparation du génocide et l’attaque contre l’avion du président HABYARIMANA.

Le témoin a ensuite fait partie d’une équipe de la FIDH mobilisée à BUTARE, avec Alison Des Forges, ce qui a abouti à la rédaction de l’ouvrage « Aucun témoin ne doit survivre : le génocide au Rwanda ». Dans leur ouvrage, l’équipe de la FIDH démontre comment le génocide des Tutsi a été une entreprise d’Etat. Toutes les composantes de l’État ont été impliquées, notamment l’armée et la gendarmerie. On peut parler d’une économie du génocide, c’est toute l’économie qui a été mise au service du génocide puisque l’État a financé le génocide et a fait en sorte que les commerçants mettent leur logistique à la disposition des Interahamwe. Monsieur GILLET explique que les embargos ont été détournés de quelque manière que ce soit et que plusieurs pays, dont la France, ont enfreint cet embargo. Le Rwanda a reçu des armes jusqu’à la fin du génocide.

Le président pose quelques questions au témoin concernant les exactions du FPR et monsieur GILLET affirme qu’en effet il y a eu des déplacements forcés au nord du pays et des opérations militaires qui ont visé des zones occupées par des civils. La distinction n’a pas été suffisamment faite. Le président LAVERGNE interroge le témoin sur un phénomène qu’il a commencé à évoquer, celui des accusations en miroir. C’est la pratique employée par les dirigeants Hutu avant et au moment du génocide qui vise à accuser les Tutsi de ce qu’ils faisaient eux-mêmes. Cette pratique avait pour but de justifier le génocide et de le présenter comme un « génocide préventif ». C’est une technique de propagande qui datait déjà de l’Allemagne nazie.

Maître AUBLE, conseil de l’association IBUKA, demande au témoin s’il peut parler de l’instrumentalisation qui est faite sur la parole des rescapés. Il répond qu’au moment des premiers procès, des universitaires ont affirmé que des témoins mentaient et étaient préparés avant leurs auditions. Le témoin dit qu’il n’a cependant jamais rencontré de tels problèmes et qu’il convient de croiser les différents témoignages et les différentes sources. Il explique que le Rwanda est un pays très bureaucratique, et ce, depuis sa colonisation. Beaucoup de procès-verbaux et de retranscriptions de réunions ont pu appuyer les témoignages et prouver le projet et l’intention génocidaire.

Le ministère public interroge le témoin sur le fonctionnement des barrières. Il répond qu’en réalité les barrières étaient utilisées avant le génocide mais qu’elles ont été particulièrement efficaces au moment des massacres. Le témoin confirme que la gendarmerie était très impliquée dans le génocide partout dans le pays. Il confirme aussi que certains Tutsi étaient épargnés parfois de manière assez inexplicable, et qu’il n’est pas étonnant que des Tutsi aient pu être épargnés au sein même d’une gendarmerie.

Sur la particularité de la préfecture de BUTARE, Éric Gillet explique que la préfecture avait un grand nombre de Tutsi, et une plus grande tolérance à leur égard. Elle avait également à sa tête le préfet Jean-Baptiste HABYARIMANA qui a repoussé le début du génocide. C’est pour ces raisons que la préfecture a résisté pendant un temps à la propagation des massacres et il a fallu qu’une sensibilisation par le chef de l’État soit faite pour « rattraper le retard ».

La défense interroge le témoin sur les conditions de détention des prisonniers au Rwanda après le génocide, on apprend sans surprise qu’il y a eu des situations de surpopulations carcérales pendant un temps. Puis Maître GUEDJ remet en cause la parole du témoin qu’il semble estimer peu objective.

Audition de monsieur Ignace MUNYEMANZI, témoin de personnalité cité par le ministère public à la demande de la défense.

Déclarations spontanées :

J’ai décidé de venir témoigner pour Philippe HATEGEKIMANA pour trois raisons :

•           J’étais enquêteur au TPIR et je sais comment cela s’est passé.

•           Je suis témoin de l’histoire tragique au Rwanda

•           Je connais l’accusé depuis 1999 et je connais son humanité

Questions :

Président : vous dites que vous avez été enquêteur au TPIR, vous avez connu Philippe HATEGEKIMANA en 99 et que vous connaissez son humanité ?

Ignace MUYEMANZI : tout à fait

Président : Que voulez-vous dire quand vous parlez de votre poste d’enquêteur eu TPIR ?

Ignace MUYEMANZI : Propos incompréhensibles. Je n’étais pas obligé de témoigner pour Philippe HATEGEKIMANA, mais je le connais et ce garçon que j’ai côtoyé pendant 20 ans, je ne vais pas le laisser comme cela.

Président : On va essayer de séparer les choses, votre connaissance de l’accusé notamment, vous ne le connaissiez pas avant ?

Ignace MUYEMANZI : Pas du tout.

Président :Vous connaissez Nyanza ?

Ignace MUYEMANZI : Pas du tout.

Président : Ce que vous dites, c’est « faites attention, ne jugez pas sous le coup de l’émotion, il peut y avoir des témoins qui parlent sous le coup de l’émotion, on sait que des témoignages se sont avérés inexacts et n’ont pas acquis la conviction des juges au TPIR ». Mais vous dites également que (de) la situation à Nyanza et la situation personnelle de BIGUMA, quand il était au Rwanda, vous ignorez tout ?

Ignace MUYEMANZI : Tout à fait.

 Président : Par ailleurs, il y a eu des acquittements au TPIR ?

Ignace MUYEMANZI : Oui

Président :  Je ne sais pas si vous savez, nous avons entendu une centaine de personnes dans ce procès, ce n’est donc pas un seul témoignage sous le coup de l’émotion, ce sont plusieurs témoignages que nous avons pu analyser. Nous allons voir tout cela avec le plus grand sérieux. Vous avez travaillé comme enquêteur pour une équipe de la Défense, pas au bureau du procureur. Le système en vigueur au TPIR n’a pas son équivalent en droit français, nous on n’a pas d’enquêteur pour la Défense. Ce que vous avez pu faire à Arusha n’est pas concevable en France. Vous-même, quelle était votre situation pendant le génocide, où étiez-vous et quelle était votre « background », votre parcours ? Vous êtes formé en matière de police judiciaire ?

Ignace MUYEMANZI : non

Président : Que faisiez-vous pendant la période du génocide ?

Ignace MUYEMANZI : Au Rwanda, j’étais coordinateur national du programme des travaux publics. Avant cela, j’ai fait autre chose. Je suis ingénieur agronome. Dans les années 90/94, j’étais directeur d’un projet appelé « marchés ruraux ». C’est ma dernière fonction au Rwanda

Président : Vous travailliez où ?

Ignace MUYEMANZI : Les bureaux étaient à Kigali mais j’allais de temps en temps sur le terrain, dans des endroits autour de Kigali. Avec la guerre, on nous avait dit de limiter les déplacements sur le terrain.

Président : Ces projets étaient essentiellement dans le domaine agricole ?

Ignace MUYEMANZI : Oui mais pas seulement. Le génie agronome au Rwanda ne faisait pas seulement l’agriculture. On faisait aussi la gestion de l’eau ** pas très audible***. J’appliquais les concepts que j’avais appris au Canada et aux USA.

Président : Vous étiez par exemple chargé de veiller à la bonne utilisation des fonds ?

Ignace MUYEMANZI : Pas que. On a remarqué que les hommes accaparaient beaucoup les fonds et ils touchaient donc plus d’argent que les femmes. Ça par exemple, c’était un des volets que nous développions. On travaillait avec le BIT.

Président : En 94, vous êtes où ?

Ignace MUYEMANZI : À Kigali.

Président : Qu’est-ce qui se passe pour vous ?

Ignace MUYEMANZI : Je suis marié avec trois enfants. Le 6 avril, on apprend la chute de l’avion. C’est la panique générale, on entend des coups de feu à gauche et à droite. Le premier réflexe que j’ai c’est d’appeler le consul du Canada pour l’informer. Le 7 avril, on apprend que des gens sont tués. Le consul m’a dit de prendre mes précautions parce que lui était dépassé par les évènements. Nous sommes restés à la maison chez moi pendant une semaine. Je suis originaire de Cyangugu, une région relativement calme. Je me suis dit que la seule solution était de me rendre chez moi, dans ma région. J’ai fui Kigali le 12 pour aller à Cyangugu. J’ai vu la situation sur les barrières partout où on passait, on voyait les cadavres, c’était la terreur. On utilisait tous les moyens pour pouvoir s’échapper, on donnait de l’argent. La chance que j’ai eu, c’est que j’avais des enfants dans la voiture qui pleuraient beaucoup, on essayait d’attirer la sympathie. On a pu passer.

Président : Sur vos CNI il était marqué Hutu ou Tutsi ?

Ignace MUYEMANZI : Je suis Hutu.

Président : Vous voyez des cadavres partout ?

Ignace MUYEMANZI : C’était le 12 avril, donc pas partout, on ne les voyait pas tout le temps. Comme je travaillais pour la coopération canadienne, j’avais une immatriculation pour les expatriés. Quand j’arrivais, certains pensaient que j’étais expatrié et donc je passais facilement.

Président : Donc vous rejoigniez Cyangugu à quelle date ?

Ignace MUYEMANZI : le 12 avril.

Président : Vous mettez une journée pour arriver ?

Ignace MUYEMANZI : Oui

Président : Combien de temps restez-vous à Cyangugu ?

Ignace MUYEMANZI : Jusqu’au mois de juillet, après on traverse vers le Zaïre. Quand j’arrive, la situation est relativement calme. Plus le temps passe et plus la situation devient critique, à ce moment on décide de partir.

Président : De toute façon, juillet c’est l’évacuation générale ?

Ignace MUYEMANZI : ** inaudible**

Président : Vous quittez le Rwanda, vous passez au Zaïre, vous restez combien de temps ?

Ignace MUYEMANZI : Je suis resté au Zaïre un an et puis on est partis à Kinshasa.

Président : Kinshasa c’est toujours le Zaïre ?

Ignace MUYEMANZI : Oui mais on était à Bukavu et après on est partis à Kinshasa.

Président : Chez qui êtes-vous à Kinshasa ?

Ignace MUYEMANZI : Il y avait un membre de la famille qui étudiait là-bas la théologie, il nous a logés.

Président : Vous restez combien de temps ?

Ignace MUYEMANZI : ***

Président : Quand vous traversez le pays pour aller à Cyangugu, vous voyez des gendarmes sur les barrières ?

Ignace MUYEMANZI : Je n’en ai pas trouvé. Sauf à Butare je voyais du trafic avec les gendarmes.

Président : Sur les barrières avant Butare, vous ne voyez aucun gendarme ?

Ignace MUYEMANZI : Je n’ai pas vu.

Président : À Cyangugu, vous restez presque trois mois ? Comment est la situation ?

Ignace MUYEMANZI : ** inaudible **

Président : Cela se situe vers la fin de votre séjour ?

Ignace MUYEMANZI : C’était vers le mois de mai-juin, je ne sais plus.

Président : Je suppose qu’il devait y avoir beaucoup de gens intéressés pour quitter le Rwanda et aller au Zaïre ?

Ignace MUYEMANZI : Pas du tout, les gens pensaient que la situation allait se calmer et qu’on pouvait rentrer chez nous. Cette volonté de partir est venue plus tard je pense.

Président : Donc les gens qui pensaient rester au Zaïre, vous avez connu beaucoup de gens qui étaient réfugiés qui ont obtenu de fausses CNI ?

Ignace MUYEMANZI : Non, je ne connais pas.

Président : Ce n’était pas quelque chose de courant d’obtenir des fausses CNI ?

Ignace MUYEMANZI : Franchement, je ne sais pas.

Président : Vous finissez par quitter le Zaïre pour le Togo puis la France, vous arrivez en France quand ?

Ignace MUYEMANZI : En 1998.

Président : Quand est-ce que vous faites la connaissance de Philippe HATEGEKIMANA ?

Ignace MUYEMANZI : Je suis arrivé en France en 98. J’ai demandé mon statut de réfugié. On m’a proposé ensuite d’aller dans un centre d’hébergement provisoire, j’ai choisi d’aller en Bretagne. J’y suis allé en 99. J’arrive là, je suis accueilli par le directeur du centre d’hébergement. Il avait reçu une lettre de mon ancien directeur de CADA à Asnières. Il m’a exposé la situation pour les réfugiés rwandais, il m’a dit que c’était explosif parce qu’il y a des gens qui ont vécu des drames, et il fallait essayer d’apaiser la tension. J’ai rencontré plusieurs personnes. On me parle de quelqu’un qui s’appelle Philippe, qu’il est bien. Il passe souvent au foyer pour jouer avec les enfants, … on fait une association ensemble de danse traditionnelle pour essayer d’assainir, de se retrouver et de parler de nos malheurs. L’association avait pour objectif l’intégration et la solidarité entre les Rwandais. Philippe HATEGEKIMANA a rejoint l’association, il nous a expliqué les bienfaits de la danse. Philippe se donnait à fond dans cela. J’ai été impressionné. C’est grâce à lui que l’association s’est développée, on a fait des tournées dans la Bretagne. Après il est devenu vice-président. En 2013, on a appris que le nouveau président cherchait des noises à Philippe et qu’il ne le pardonnerait jamais. Cela étant, Philippe est venu me voir avec un fax qu’il venait de recevoir de l’université. Le fax précisait qu’il y avait un génocidaire qui travaillait à la faculté de Rennes, que les victimes du génocide ne le supportaient pas. Des dénonciations terribles. Le fax avait été envoyé depuis un bureau qui est à 500m de la faculté de Rennes. On était tous consternés par ce fax. C’est cette façon de Philippe de vouloir arranger les choses qui lui a causé ce mal. Dans le fax il était marqué que Philippe avait du sang « dans les mains », c’est une traduction littérale du kinyarwanda. C’est sorti dans Ouest France. Philippe pleurait, c’est la première fois que je le voyais pleurer. Philippe, il a le même défaut que tous les Rwandais de ne pas montrer ses sentiments. Il a dit que ce qui l’attriste c’est qu’on dise que lui, il avait tué tous ses amis. Je lui ai dit que c’était dans le journal et que ça allait passer. Il était comme mort-vivant. Il a déposé une plainte à la police et il m’a dit qu’on allait voir. Il était attristé que ses amis puissent penser qu’il est génocidaire. Dans mon intime conviction, j’étais sûr qu’il n’en était rien. Le fax portait l’en-tête de l’association IBUKA qui a répondu que le fax était un faux et que Philippe n’était pas connu et qu’ils se réservaient le droit de poursuivre l’auteur. Vers 2018 ou 2019, Philippe me dit qu’il cherchait de nouveaux projets car la retraite approchait. Il dit qu’il voulait aller au Cameroun avec sa fille. Il m’appelle un peu après et il me dit que sa fille a un projet qui marche bien. *** J’apprends par la presse qu’un génocidaire a été arrêté par la police au Cameroun et qu’il allait être extradé. Là j’étais choqué. Philippe en cavale, je me suis dit que ce n’était pas possible. Je me suis dit avec mon intime conviction qu’il fallait que je témoigne. Je sais que témoigner pour la Défense c’est un risque mais pour mon intime conviction je dois le faire. Je le connais suffisamment bien, j’ai vu le génocide.

Président : Vous nous avez fait part de votre conviction. Mais Philippe HATEGEKIMANA vous a parlé de ce quI s’est passé à Nyanza en 94 ?

Ignace MUYEMANZI : il m’a dit qu’il y avait des tensions avec lui et ses responsables qui le soupçonnaient d’être pro-FPR. Après, il y a un officier de chez lui, un officier burundais je crois, qui avait aussi les mêmes problèmes dans l’armée, qui a fait appel à Philippe. Il est parti, dans la fin du mois d’avril je crois et que malheureusement quand il est parti après, les massacres à Nyanza se sont déroulés. Il m’a dit que c’était triste, que ça lui fendait le cœur que ces gens soient tués mais que s’il était resté, il aurait été tué avec eux.

Président : Il y a effectivement un fax avec l’en-tête IBUKA qui a été envoyé, il y a une main courante déposée auprès de la police de Rennes. Il y a aussi eu un courrier anonyme qui a été envoyé au CPCR. Dans ce courrier anonyme, ils visent Philippe HATEGEKIMANA  mais il vous vise aussi. Vous saviez que vous étiez visé ?

Ignace MUYEMANZI : Non

Président : Il parle de vous dans des termes qui ne sont pas très flatteurs car on vous décrit comme vivant à Rennes, originaire de Cyangugu, que vous travailliez au ministère de l’Intérieur pour un projet canadien, que vous habitiez à Kigali en bas de la Sainte Famille. Il est précisé que vus contrôliez les barrières dans le KIYOVU des Pauvres avec des milices originaires de Cyangugu et vous êtes accusé d’avoir pillé et tué dans votre quartier. Après, vous allez à Cyangugu et vous faites pareil. Il n’a pas été donné de suite sauf erreur de ma part.

Président : Vous nous dites qu’il n’y a eu aucune suite et que vous n’avez pas fait l’objet de poursuites judiciaires en France, mais il fallait que vous le sachiez.

Ignace MUYEMANZI : Ok

Assesseur 1 : Je remonte en arrière, vous expliquez que le 12 avril, vous partez de chez vous avez vos enfants. On sait que très rapidement il y a eu des barrières et qu’il était impossible de les passer sans présenter une CNI sans la mention Hutu. Les Tutsi ou ceux qui n’avaient pas de CNI ne passaient pas. Vous, vous expliquez qu’on ne vous a pas demandé de CNI et que vous avez réussi à passer parce que les enfants à l’arrière de la voiture pleuraient. Cela va très à l’encontre de ce qu’on a entendu ?

Ignace MUYEMANZI : Dans l’histoire traumatique de notre pays, les récits peuvent varier, chacun raconte ce qu’il a vécu. Je possédais une voiture immatriculée expatrié, ça me donnait un certain avantage. Aussi, si vous aviez un billet ou quoi ça marchait. Pour les CNI, je crois que d’après ce que j’ai vu, elles n’ont sauvé personne. De ce que j’ai vu, il y a des gens qui ont été tués qui avaient pu avoir la CNI. Quand tu es connu au niveau du village, on ne va pas te demander ta CNI.

Assesseur 1. : Quelqu’un qui avait une CNI Hutu et qui était connu comme Tutsi on le tuait ?

Ignace MUYEMANZI : Oui c’est cela

Assesseur 1. : Mais quelqu’un que l’on ne connaissait pas et qui avait la mention Hutu, on ne le tuait pas ?

Ignace MUYEMANZI : Non, mais il faut savoir que beaucoup étaient illettrés aussi.

Assesseur 1. : Mais monsieur, quand vous allez de Kigali à Cyangugu, vous n’êtes pas connu sur toutes les barrières, alors ? Quand on a une CNI Tutsi, on est tué ?

Ignace MUYEMANZI : oui

Assesseur 2 : Vous dites que vous arrivez à Cyangugu, entre ce moment et votre départ pour le Zaïre, votre récit est un peu succinct, vous dites que vous avez caché des enfants, que vous les faites passer au Zaïre, mais pour le reste, qu’est-ce qu’il se passe ? De quoi avez-vous été témoin, qu’est-ce que vous avez vu ? D’autant que vous êtes resté environ trois mois, sur une zone qui a été un peu épargnée au départ, mais le génocide est arrivé. Dans votre bouche finalement, on n’a rien entendu.

Ignace MUYEMANZI : La 2ème semaine du mois d’avril, il y avait un officier à Cyangugu qui était très actif, qui tuait des gens. Cet officier a été condamné, il a été mis en prison. Il faisait des tournées partout pour inciter les gens à massacrer. Sur ma colline on s’est indigné et finalement le bourgmestre a dit qu’il voulait que tout le monde puisse essayer de se mobiliser pour éviter que ce monsieur amène les massacres dans notre région. Dans cette réunion, il y avait un monsieur qui s’est levé et qui a dit : « Je ne veux pas participer à une réunion où il y a des complices ». Le bourgmestre a dit qu’il fallait surveiller et rester chez nous parce que ce monsieur était plus fort que nous. Le jour suivant, ce monsieur a dit qu’il fallait massacrer les intellectuels. On m’a dit qu’on voulait me massacrer. On nous a dit de faire le moins de déplacements possibles À ce moment, le préfet de Cyangugu est venu chez moi, il m’a dit que j’étais la cible numéro 1 parce que j’étais contre les milices. Le préfet m’a dit : « Ignace, la situation est compliquée ». Des personnes ont été ensuite massacrées. Parmi elles, il y avait des gens qui étaient chez moi.

(NDR.  C’est étrange, on dirait qu’il n’est lui-même pas du tout convaincu de ce qu’il dit).

Quand tu vois tout cela, tu ne fais rien, tu te dis que tu te tais.

Président : vous faites des allers-retours entre Cyangugu et le Congo pour voir l’épouse de cet homme ?

Ignace MUYEMANZI : oui, mon père.

Président : Il n’y avait pas de téléphone ?

Ignace MUYEMANZI : non, pas à cette époque.

Président : Et vous, vous dites que la situation est suffisamment sûre pour faire des aller-retours ?

Ignace MUYEMANZI : notre région, on est vraiment juste à côté de la frontière et chez nous il n’y avait rien. Il avait confié ses biens à mon père.

Président : C’étaient des voyages d’affaire en quelque sorte ?

Ignace MUYEMANZI : Oui

Assesseur suppléant. : Vous avez dit tout à l’heure que vous avez vu l’accusé pleurer et qu’il était chagriné lorsqu’il a eu connaissance de l’article. Vous pouvez expliquer pourquoi il n’a pas déposé plainte et pourquoi il n’a pas demandé un droit de réponse au journal ?

Ignace MUYEMANZI : C’est moi qui lui ai dit de déposer plainte et en fait il a déposé une main courante. Je ne sais pas pourquoi il ne l’a pas fait

Assesseur suppléant. : Vous avez été entendu le 15/11/2019, lorsqu’il vous a été demandé, concernant le passé de Philippe HATEGEKIMANA (1022/4) vous a-t-il fait part de cette expérience traumatisante et de son parcours d’exil ?

Ignace MUYEMANZI : non, il ne m’a rien confié, à part qu’il était gendarme ».

Président : Là, vous avez plus de points à développer, est-ce que vous avez retrouvé la mémoire ou est-ce que vous avez eu davantage d’informations ?

Ignace MUYEMANZI : inaudible

Président : tout à l’heure vous avez expliqué qu’il vous a dit qu’il était parti fin avril-mai ?

Ignace MUYEMANZI : Oui, mais sur son expérience traumatisante il ne m’en a pas parlé.

Président : Ça, vous n’avez pas pensé à le dire devant les gendarmes ?

Ignace MUYEMANZI : Euh, non, je ne sais pas.

Assesseur Supplémentaire : vous avez également donné son grade tout à l’heure.

Ignace MUYEMANZI : non, je ne l’ai pas dit.

Assesseur Supplémentaire : Si, vous en avez parlé tout à l’heure.

Ignace MUYEMANZI : Je ne connaissais pas son grade, vraiment.

Un certain nombre d’autres questions seront posées au témoin et qui permettront d’obtenir quelques précisions.

Demandes de la défense en fin de journée.

Après plusieurs lectures de pièces du dossier, la défense, par le biais de maître ALTIT, adresse au président plusieurs demandes. La défense demande ainsi que l’affaire soit suspendue, le temps que plusieurs actes soient transmis et ajoutés au dossier. Elle souhaite que des demandes soient faites pour obtenir des extraits de jugements de toutes les Gacaca évoquées dans le dossier. La défense fait aussi la demande que soit versé le télégramme de KAYITANA utilisé dans le cadre d’une affaire devant le TPIR. La défense demande d’ordonner une nouvelle expertise balistique afin d’observer une éventuelle présence de cratères dans le sol aux endroits des attaques sur plusieurs collines. Maître ALTIT demande enfin à ce que la plaidoirie de la défense soit reportée au 12 juillet afin qu’elle dispose de plus de temps pour se préparer.

Le président répond en disant qu’un procès d’assise doit respecter le principe de la continuité des débats. Ce à quoi maître ALTIT répond qu’il doit aussi laisser à la défense un délai raisonnable pour défendre l’accusé correctement. Maître PHILIPPART est entendue du côté des parties civiles et explique que selon les parties civiles, la défense souhaite seulement trouver des excuses pour gagner du temps. Concernant les jugements des Gacaca, les demandes sont peu précises et ne mentionnent pas de décisions en particulier, de dates ou de noms. Elle rappelle ensuite que chaque témoin qui a été auditionné a précisé au début de son audition, s’il avait déjà été entendu ou condamné par une juridiction, et qu’à ce stade des débats, la défense n’avait effectué aucune demande. Elle décide de le faire alors que nous en arrivons à la fin des débats. Pour les autres demandes, Maître PHILIPPART s’interroge également sur leur utilité. Les deux avocates générales du ministère public plaident chacune en contestant ces demandes et le président sursoit à statuer. Il rendra compte de sa décision demain.

NDR. Il est clair que ce sont là des demandes dilatoires que monsieur le Président LAVERGNE ne pourra que rejeter. La défense le sait, mais elle fait tout pour gagner du temps et retarder la fin du procès. (A suivre…) 

Compte rendu réalisé par le CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR). Les auteurs :  Margaux Gicquel, Alain Gauthier, président du CPCR ; et Jacques Bigot pour les notes et la mise en page. Un grand merci aussi à Emma Roquet (stagiaire d’Ibuka) et à Sarah Marie (avocate stagiaire auprès de maître Domitille Philippart) pour la prise de notes qu’elles nous transmettent chaque jour pour nous permettre de rédiger ces comptes-rendus.