REQUISITOIRE DU MINISTERE PUBLIC
La journée était dédiée aux réquisitions du ministère public. Les deux avocates générales du parquet, Madame VIGUIER et Madame AIT HAMOU se sont réparties la parole tout au long de la journée.
Madame l’avocate générale Céline Viguier a commencé par une introduction qui a permis de faire le bilan de ces deux mois d’audience : « 106 personnes entendues, des débats longs, tendus et difficiles, 288h de débats pour être exacte. Nous avons conscience de la difficulté pour les jurés d’entendre des faits complexes qui se sont déroulés à l’autre bout du monde, et d’avoir été le réceptacle de récits horrifiants ». Puis Madame l’avocate générale a souhaité éclaircir trois points.
Le premier concerne le rôle de l’accusation, qui consiste en l’analyse objective de la procédure d’instruction qui leur est soumise et dans la défense et le soutien de l’accusation devant la cour.
En deuxième lieu, le ministère public a souhaité exposer les raisons qui permettent d’expliquer pourquoi un génocidaire rwandais est jugé en France. Les juridictions françaises ont compétence pour juger de tels crimes sur le fondement de leur compétence universelle qui découle notamment d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies portant création du TPIR (Tribunal Pénal International pour le Rwanda). (NDR. Il ne faut pas oublier que la Cour de cassation a toujours refusé de répondre positivement aux mandats d’arrêt internationaux émis par les autorités rwandaises. D’où tant de dossiers qui encombrent la justice française.) Madame Viguier a fait, à ce stade, un point sur les difficultés qui peuvent découler d’une affaire de génocide au Rwanda jugée en France et notamment sur la question de la fiabilité des témoignages que la défense a tendance à attaquer. Madame Viguier a rappelé qu’au TPIR, seulement une affaire avait révélé un faux témoignage qui avait été en réalité initié par la défense.
Concernant le troisième point abordé, l’avocate générale du parquet détaille les règles de procédures et la loi applicable à notre affaire. Elle rappelle que la procédure française est bien distincte de la procédure anglo-saxonne que l’on retrouve notamment dans les juridictions internationales et que la défense n’a eu de cesse d’essayer d’intégrer aux audiences, en opérant notamment des contre-interrogatoires des témoins et en reprochant à un témoin de ne pas respecter la présomption d’innocence du son client. Madame Viguier s’est attelée à définir, selon le droit français, les crimes dont est accusé Philippe MANIER, c’est-à-dire, le crime de génocide, le crime contre l’humanité, et le crime d’entente.
Les avocates générales du ministère public décident de diviser leur réquisition en quatre parties.
Le contexte dans lequel s’est commis le génocide et le rôle de la gendarmerie dans la réalisation de ce génocide.
Madame AIT HAMOU a rappelé l’histoire des Tutsi au Rwanda, de l’arrivée des colons belges jusqu’au génocide en 1994. Elle a ainsi expliqué les différentes méthodes utilisées pour discriminer les Tutsi et en arriver à un plan concerté et à une solution finale. On retrouve parmi ces méthodes l’assignation à l’identité[Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente], les mesures discriminatoires dans l’éducation et dans l’administration, et l’utilisation de la presse et de canaux de propagande. Puis, elle a fait un point sur la particularité de la préfecture de BUTARE avant et pendant le génocide.
La mise en œuvre du génocide dans la gendarmerie de NYANZA.
Madame AIT HAMOU a présenté la gendarmerie rwandaise. Elle a été créée par un décret en 1974 et possédait deux types de missions, des missions ordinaires qui consistaient en la prévention et répression de l’insécurité sur l’ensemble du territoire, puis des missions extraordinaires un peu moins encadrées. La compagnie de gendarmerie de NYANZA relevait de la gendarmerie de la préfecture de BUTARE et couvrait tout le ressort de la sous-préfecture de NYANZA, qui comprenait entre 30 000 et 50 000 habitants et était estimée à une centaine d’effectifs. L’adjudant-chef HATEGEKIMANA a été affecté à la gendarmerie de NYANZA en 1993. Il y occupait un rôle proche de celui d’un directeur des ressources humaines, il affectait les tâches aux gendarmes dans tout le ressort de la compagnie. L’accusé dit, lui, avoir été muté avant le début des massacres, alors que de nombreux témoins l’ont vu à la gendarmerie, en fonction, jusqu’à la deuxième quinzaine du mois de mai 1994. Les avocates du ministère public précisent ensuite le nombre de témoins qui ont désigné l’accusé comme étant BIGUMA, puisque celui-ci a nié à plusieurs reprises détenir ce surnom, tout comme il l’a aussi admis à plusieurs reprises.
Les scènes de crimes et de massacres pour lesquelles M. MANIER est accusé.
Le ministère public va ensuite énumérer les faits pour lesquels Philippe HATEGEKIMANA est accusé et, pour chaque fait ou scène de crime, va énumérer les témoins qui l’accusent ou qui l’ont vu et/ou reconnu. Pour rappel, il est accusé d’avoir participé et animé des réunions de sécurité ayant pour but de sensibiliser la population au génocide. Il est aussi accusé d’avoir mis en place et contrôlé des barrières, organisé des patrouilles, enlevé lui-même et ordonné l’exécution du bourgmestre de NTYAZO, Narcisse NYAGASAZA et d’avoir soit lui-même, soit par ses ordres, tué plusieurs groupes de Tutsi. Enfin il est accusé d’avoir coordonné et participé aux massacres sur les collines de NYABUBARE, NYAMURE et sur le site de l’ISAR SONGA.
L’analyse juridique des faits et les conséquences pénales pour l’accusé
Les avocates générales rappellent que l’existence du génocide a fait l’objet d’un constat judiciaire par le TPIR et par les juridictions françaises. En droit français, on peut être auteur d’un génocide soit en commettant le génocide soi-même, soit en faisant commettre ces actes par une personne sur laquelle on exerce une autorité. Pour le crime contre l’humanité, les modes de responsabilité sont classiques, une personne est auteure si elle commet le crime elle-même, ou complice si elle le commet par aide ou assistance. Pour tous les faits qui lui sont rapprochés, Philippe HATEGEKIMANA est accusé d’être lui-même auteur du crime de génocide et complice de crimes contre l’humanité pour avoir ordonné la commission d’infractions et de crimes. Pour la qualification du crime d’entente, c’est la première fois qu’une cour d’assise française est saisie pour la qualification de ce crime sur de tels faits.
Concernant la qualification de l’élément intentionnel de l’accusé, Madame VIGUIER précise que si Philippe MANIER a mentionné avoir sauvé des familles Tutsi, il a aussi admis qu’il l’avait fait parce qu’il exécutait des missions données par son supérieur hiérarchique. Elle demande que les jurés, lors des délibérations, prennent en compte la personnalité de l’accusé depuis les faits. En l’espèce, au regard de sa tentative de fuite au Cameroun, au regard de sa déclaration orale la semaine passée affirmant que les témoins qui ont été entendus devant la cour ont tous menti, et au regard de son comportement pendant toute la durée du procès, l’accusé ne semble montrer aucune ou peu de traces de remords. « Ce n’est pas un « petit poisson », ce n’est pas un simple exécutant mais un maillon fondamental de la mise en œuvre du génocide », des Tutsi au Rwanda en 1994 » a-t-elle conclu.
Le ministère public demande à la cour et aux jurés de condamner l’accusé à la peine de réclusion criminelle à perpétuité. (A suivre…)
Compte rendu réalisé par le CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR). Les auteurs : Margaux Gicquel, Alain Gauthier, Jacques BIgot pour les notes et la mise en page