Corps des victimes de Karama/Nyamure.
• Audition de Jean-Damascène MUNYESHYAKA, détenu.
• Auditions de Télesphore NSHYMIYIMANA , détenu.
• Audition de Valens BAYINGANA, partie civile.
• Audition de Silas MUNYAMPUNDU.
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Audition de monsieur Jean-Damascène MUNYESHYAKA, détenu, cité à la demande du ministère public.
Le témoin, qui est à la prison de HUYE, souhaite que son identité ne soit pas révélée. Il éprouverait des craintes quant à sa sécurité. Monsieur le président lui fait savoir que c’est trop tard, que maintenant tout le monde le connaît. Il tente de le rassurer. Monsieur MUNYESHYAKA finit par accepter.
Il a été condamné à 19 ans de prison pour génocide par la Gacaca du secteur MUYIRA mais pour des crimes commis aussi dans les secteurs GATONDE et NYAMURE. Il devrait être libéré le 24 octobre 2024.
En 1994, il était serveur au bar IDEAL à NYANZA. Le propriétaire de l’établissement était Benoît MUJEJENDE, un Tutsi dont la maison sera détruite. Il aurait été tué à BUTARE.
Il lui est arrivé, avant le génocide, d’être momentanément emprisonné pour avoir fait écouter, dans le bar, Radio MUHABURA, la radio du FPR, mais il ne connaissait pas l’identité des gendarmes. Il a eu l’occasion de croiser Philippe HATEGEKIMANA, un ami de son grand frère. Ce gendarme, connu aussi sous le nom de BIGUMA, venait prendre un verre dans un bungalow en compagnie du commandant BIRIKUNZIRA.
Son grand frère, connu sous le pseudonyme de COMPAGNIE s’appelait Vincent SINDAZIGAYA, était un extrémiste et responsable du MRND de Gatonde. Il travaillait avec Samuel NSENGIYUMVA, un enseignant responsable de la jeunesse PAWA du MDR. Ce sont eux qui seraient venus chercher les gendarmes pour Nyamure. De père Tutsi qui avait changé sa carte d’identité et de mère également Tutsi, il s’est rendu dans son secteur d’origine le 13 avril car il ne se sentait pas en sécurité: le bar avait été pillé.
Les premiers jours du génocide, Hutu et Tutsi étaient ensemble mais ils se sont séparés car le nouveau bourgmestre, Mathieu NDAHIMANA, a dit que seuls les Tutsi étaient recherchés. Sur question de monsieur le président, le témoin dit connaître NYAGASAZA: il a appris qu’il avait été tué en voulant traverser la frontière près de l’AKANYARU.
Lors d’une réunion improvisée, ce Mathieu aurait pris la parole: « Vous hésitez encore? Vous ne savez pas que notre ennemi est le Tutsi? » Après ces propos, Fidèle MURWANYASHYAKA et sa femme, des Tutsi de KARAMA, auraient été tués, ainsi qu’un certain MUDAHERANGWA.
La première attaque à KARAMA va être repoussée, raison pour laquelle on est allé chercher le renfort des gendarmes. COMPAGNIE aurait dit: « Je vais aller chercher mon ami BIGUMA. » C’est à KARAMA, au lieu-dit SHARI, que l’attaque s’est déroulée. Le témoin évoque plus de 2500 morts. Seuls quelques Tutsi ont survécu. Population, gendarmes et militaires ont participé aux massacres. La même choses e passera à NYAMURE.
Sur question de monsieur le président, le témoin dit qu’il regrette ce qui s’est passé et demande pardon à Dieu en souhaitant que de telles choses ne se reproduisent pas. Il dit n’avoir reconnu personne sur la planche photographique que lui ont montré les enquêteurs français. Il se justifie en disant: « On m’a montré la photo de mon fils et je ne l’ai pas reconnu. » Il ne peut donc pas reconnaître l’accusé.
Sur questions des avocats des parties civiles, le témoin n’arrive pas à donner des dates précises sur les événements de KARAMA et NYAMURE. Quant à différencier militaires et gendarmes, il peut simplement dire que les gendarmes portaient un béret rouge. Les armes? Il a entendu parler de mitrailleuses. L’avocate du CPCR veut savoir si les massacres de SHARI et KARAMA ont eu lieu en même temps et se fait préciser que c’est bien parce que les Tutsi ont résisté qu’on est allé chercher les gendarmes. Le témoin évoque aussi l’incendie de la voiture qui a servi à transporter les tueurs. A cette occasion, le fils du bourgmestre NZARAMBA a été tué par une flèche. Le témoin précise enfin que SHARI est bien sur le secteur de KARAMA.
Madame AÏT HAMOU, pour le ministère public, cherche à savoir si BIGUMA avait des étoiles sur les épaules et si le témoin a vu BIRIKUNZIRA. Il l’a probablement croisé. Elle fait redire au témoin que BIRIKUNZIRA a été remplacé par BIGUMA. Ce dernier avait une arme, à KARAMA, un fusil de petit calibre.
La défense intervient à son tour par une salve de questions qui tournent autour de cinq centres d’intérêt: les raisons de la peur du témoin, la mort de NYAGASAZA dont le témoin ne sait rien, sa connaissance ou non du conseiller de secteur MUSHIRARUNGU et la Radio MUHABURA, la radio du FPR. Comme l’avocat pose une question à laquelle le témoin a déjà répondu, monsieur le président, ironiquement, intervient: « Maître, auriez-vous des problèmes d’audition? » L’avocat apprécie moyennement l’humour: « Avec l’âge, oui. »
Dernière question concernant la déclaration qu’a faite le témoin devant les enquêteurs français: « Je pense que seuls les gendarmes peuvent témoigner concernant BIGUMA «sous-entendant que ce que dit le témoin n’est pas trop fiable ». En réalité, il fallait replacer cette réponse dans son contexte. Les gendarmes sont effectivement les mieux placés pour parler de BIGUMA. Et le témoin d’ajouter: « Si les vaches posent des problèmes, ce n’est pas à elles qu’on pose des questions, c’est bien au gardien! ».
Audition de monsieur Télesphore NSHYMIYIMANA , détenu, cité à la demande du ministère public.
En cours de rédaction
Audition de monsieur Valens BAYINGANA, partie civile déjà constituée, assisté par maître Julia CANCELIER.
Le témoin, qui a perdu la quasi totalité de sa famille sur la colline de NYAMURE, habitait non loin de là, un peu avec l’école et l’église situées au pied de la colline. Les Tutsi, comme dans de nombreux autres endroits du Rwanda, ont commencé par résister aux attaquants en lançant des pierres. Comme les assaillants ont alors décidé de faire appel aux gendarmes. BIGUMA était bien présent sur les lieux du massacre, c’est lui qui a tiré le premier.
Monsieur le président va alors poser des questions au témoin qui, en 1994, habitait chez ses parents dans la cellule de GATARE, tout près du sommet de la colline de NYAMURE. Si les Tutsi se sont réfugiés sur la colline, c’est parce que l’entente en Hutu et Tutsi s’était détériorée à cause de la politique. Ce n’est qu’en grandissant qu’il a réalisé que les Tutsi n’occupaient pas de postes importants dans le pays. Il existait ce qu’on a appelé la politique des quotas: les Tutsi ne représentant que 12% de la population, seuls 12% d’enfants, par exemple, pouvaient accéder à l’école secondaire.
Les premières attaques sont venues de NYAMIYAGA et de KAYANZA. Les attaquants utilisaient des armes traditionnelles, des outils agricoles. Sur la colline où s’étaient rassemblés beaucoup de Tutsi venus d’un peu partout, les conditions de vie étaient difficiles: pas de nourriture, pas d’eau. Il fallait profiter de la nuit, en prenant des risques, pour aller se ravitailler. Les réfugiés avaient un peu de lait pour les enfants en trayant les vaches. Impossible de retourner chez soi, les maisons avaient été pillées et détruites.
Le témoin dit être resté sur la colline quelques jours. C’est le 29 avril qu’il a pu fendre le « mur » des assaillants.
Le témoin continue son récit. Il a vu un véhicule arriver en provenance de KAVUMU transportant des gendarmes. Ces derniers se sont arrêtés près de l’église et ont continué à pied vers le sommet de la colline, en montant en deux groupes séparés à travers la forêt. Arrivés en haut de la colline, ils se sont mélangés à la population. Un véritable « mur humain » faisait face aux réfugiés. Un gendarme, le témoin reconnaîtra BIGUMA, a tiré sur un groupe de femmes qui assistaient une des leurs qui accouchait.
Valens BAYINGANA s’est alors lancé sur les assaillants en essayant d’éviter les tirs. Après avoir franchi une première « barrière », il est tombé sur des tueurs qui découpaient à la machette un homme et une jeune fille. Pour pouvoir franchir l’obstacle, il les a menacés de sa machette. Il pensait mourir mais, par miracle, il a réussi à passer.
Arrivé chez un gardien de vaches qu’il connaissait, ce dernier a refusé de la cacher. Le témoin s’est alors réfugié dans une bananeraie et s’est caché dans un trou prévu pour le mûrissement des bananes lors de la fabrication de la bière. Il a recouvert le trou de feuilles et a continué à se cacher jusqu’à l’arrivée des soldats du FPR. Revenu sur la colline à la fin du génocide, il a découvert les corps des siens et les a inhumés. Il est le seul survivant de sa fratrie. Et d’énumérer toutes les victimes de sa famille proche et élargie.
Sur la planche photographique qui lui sera présentée, il reconnaît BIGUMA, bien que ce dernier ait vieilli. Il l’avait d’ailleurs reconnu lors d’une confrontation avec l’accusé. Présenté de nouveau à BIGUMA qui se tient dans le box, il dit que c’est bien lui. Quant à BIGUMA, bien sûr, il ne connaît pas le témoin.
Le témoin évoque la mort d’environ 11 000 Tutsi sur la colline de NYAMURE. C’est en comptant les crânes lors de l’inhumation qu’ils en sont arrivés à cette estimation. Un certain corps avaient été dévorés par les chiens. Des viols? Il n’en pas pas été témoin. Peut-être y en a-t-il eu après son départ. Il ne peut l’affirmer.
Est ensuite abordée la question des véhicules, des armes. Un hélicoptère a bien survolé la zone. Du haut de la colline, on avait une très grande visibilité, sauf du côté de la forêt. Interrogé de nouveau sur sa fuite, Valens dit avoir été caché dans le faux plafond d’une maison par un ami hutu pendant une semaine. Après, il a vécu dans la brousse et les buissons.
Une série de questions sur le banc des parties civiles, du ministère public et de la défense permettra d’obtenir quelques précisions. Il arrive cependant assez souvent que les réponses aient déjà été données par le témoin. Valens précise que toutes les femmes qui entouraient l’accouchée ont été tuées et que les assaillants avaient entouré leur tête ou leur taille de feuilles de bananiers.
Audition de monsieur Silas MUNYAMPUNDU, cité à la demande du ministère public.
En cours de rédaction. (A suivre …)
Les auteurs : Margaux Gicquel, Alain Gauthier, et Jacques Bigot pour les notes et la mise en page. Ce compte rendu a été réalisé pour le compte du CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda)