Le procès de l’ex-Préfet de Gikongoro, Laurent Bucyibaruta s’est poursuivi avec l’audition de quatre témoins :
•Audition de madame Alphonsine MUKAREMERA, rescapée. En visioconférence du Rwanda.
•Audition de madame Valérie MUKAMANA, rescapée.
•Audition de monsieur François MUDAHERANGWA. En visioconférence du Rwanda.
•Audition de monsieur Emmanuel HANGARI, rescapé. En visioconférence du Rwanda.
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Audition de madame Alphonsine MUKAREMERA, rescapée.
« Ce que j’aurai à dire sur Laurent BUCYIBARUTA, ainsi que sur le bourgmestre SEMAKWAVU, c’est que nous nous sommes réfugiés à l’église et ils ne nous ont pas permis d’y passer la nuit. Comme c’était il y a longtemps, je ne me souviens pas des dates. A ce moment -là, SEMAKWAVU, Laurent BUCYIBARUTA et un militaire que je ne connais pas de taille élancée était avec eux. Ils sont arrivés à notre lieu de refuge. Nous étions une grande foule, ils nous ont demandé de sortir: ils allaient nous indiquer un endroit où nous devions nous rendre pour y assurer notre sécurité. Ils nous ont conduits à MURAMBI. Beaucoup d’autres personnes ont continué à affluer vers cette destination. Nous sommes donc arrivés à MURAMBI et après un certain nombre de jours, Laurent BUCYIBARUTA, le maire ainsi qu’un autre militaire sont venus tenir une réunion. A l’occasion de cette réunion, ils nous ont dit qu’ils allaient nous donner du riz.
Ma mère s’est adressée à Laurent BUCYIBARUTA: « Vous voyez, ma fille a une grossesse presque à termes, est-ce que vous ne pouvez pas la conduire pour moi à KIGEME pour qu’elle accouche là-bas? ». Laurent BUCYIBARUTA nous a demandé pourquoi nous ne pouvions pas nous y rendre nous-mêmes et c’est ainsi que je suis allée là-bas avec l’épouse de mon frère qui allait accoucher. Quand nous sommes arrivées à KABEZA, ils étaient en train de tuer les gens. C’était sur notre route vers KIGEME. Les tueurs courraient derrière quatre jeunes gens dont mon frère. Ils les ont poursuivis jusqu’à la vallée où ils les ont tués. Nous sommes retournés à MURAMBI. Laurent BUCYIBARUTA est revenu et nous lui avons demandé: « Vous nous avez donné du riz mais vous nous avez coupé l’eau, qu’allons-nous faire ? ». Il nous a indiqué un endroit où nous pouvions aller puiser. Ceux qui sont allés puiser de l’eau dans la vallée ont été immédiatement tués. Les combats ont commencé à ce moment-là. Moi, comme je n’ai pas fait d’études, je ne peux pas chronologiquement indiquer les dates, mais je parle des choses que j’ai vues.
Les combats ont commencé, les assaillants venaient et nous lançaient des pierres. Nous étions affamés. Vers l’aube, nous avons été surpris par les détonations des grenades qui allaient de pair avec les machettes et les gourdins ».
La témoin déclare: « Je n’en peux plus ».
« Les tueurs ont lancé une grenade dans la pièce dans laquelle nous étions. Quant à moi, je suis sortie et j’ai couru. couru, couru, j’ai couru beaucoup. Je portais un enfant sur mon dos et seul Dieu m’a fait sortir de là. J’ai couru et je n’ai vu que des cadavres. On a reçu des coups de gourdins et on nous a enlevé nos vêtements. Je suis passée par un endroit où gisaient mes cousins et j’ai continué à courir.
Arrivée un peu plus loin, j’ai rencontré un certain Samuel, un enseignant de chez nous. Un homme est arrivé et lui a donné un coup de machette. Au troisième coup de machette, l’enseignant est tombé, mort. Nous sommes allés en courant dans un champ de sorgho, mais on nous a débusqués. Etendue dans un ravin, j’ai vu un homme du nom de NYIRIKINDI courir en direction de CYANIKA: ils l’ont abattu. En ce qui me concerne, je suis allée vers la prison de GIKONGORO. Une fois là-bas, j’ai trouvé une barrière, puis d’autres encore ».
*** Suspension d’audience à la demande du témoin***
Alphonsine MUKAREMERA reprend le cours de son récit.
« Les choses qui ont été commises à ces barrières sont indescriptibles. Après la mort du président HABYRIMANA , nous n’avons pas eu la paix, les gens en provenance de la colline d’en face nous ont envahis en incendiant les maisons jusques chez nous. Il arrive qu’on soit saisi d’émotion et qu’on se trouve dans l’impossibilité de tout dire. Ils ont donc incendié nos maisons. Nous nous sommes retrouvés à l’église. C’est donc une fois à l’église que Laurent BUCYIBARUTA et SEMAKWAVU nous ont livrés. Le préfet ne nous a été d’aucune utilité ».
« Je vais m’arrêter là, finit par dire le témoin. Je vais m’arrêter là, j’ai mal à la tête. Si vous avez des questions à me poser, vous pouvez me les poser ».
Le témoin accepte de répondre aux questions de monsieur le président. Elle donne les noms des membres de sa famille dont la plupart ont été tués. Ils étaient dix personnes, dont sa mère, Esther. Le témoin est la seule survivante de sa famille. Son papa était décédé de maladie avant le génocide.
Monsieur le président cherche à savoir où le témoin habitait. Elle a du mal à situer sa maison par rapport à GIKONGORO. « Si on prenait un taxi, il nous en coûtait 300 francs » finira-t-elle par dire.
Les gens qui brûlaient les maisons venaient de SOVU, et ils s’approchaient de chez nous.
Le préfet Laurent BUCYIBARUTA, elle ne le connaissait pas. Elle l’a vu pour la première fois à l’église puis quand il est venu tenir une réunion à MURAMBI. En tout, elle le verra trois fois. Il s’est lui-même présenté comme le préfet qui leur dira qu’il allait les conduire en lieu sûr. C’est escortés par des gendarmes qu’ils seront conduits à MURAMBI. Il n’y avait pas encore de barrière sur la route. Le témoin a beaucoup de mal à dire où se tient la première réunion avec le préfet. Monsieur le président a beau insister, il n’arrive pas à obtenir de réponse satisfaisante.
Monsieur le président tentera d’interroger le témoin qui a beaucoup de mal à donner des réponses. Il veut alors parler de la grande attaque.
« Les tueurs sont d’abord venus en lançant des pierres. Puis, ils sont revenus à l’aube et ont lancé des grenades. Ils ont tué des gens, ils les ont décimés. Ils étaient habillés de feuilles de bananier. Après, je n’ai plus revu ni le préfet, ni le bourgmestre SEMAKWAVU ».
Monsieur le président donne alors lecture de la déposition du témoin devant les enquêteurs français. Il n’en tirera que peu de réponses satisfaisantes.
Me BERAHOU (juge assesseur) : Vous avez dit avoir vu à plusieurs reprises le préfet Laurent BUCYIBARUTA et le bourgmestre SEMAKWAVU. Ma question est très simple : comment étaient-ils habillés?
Alphonsine MUKAREMERA : Je me souviens très bien que Laurent BUCYIBARUTA avait une veste noire et un pantalon noir. Quant à SEMAKWAVU, je ne m’en souviens pas.
Me BERAHOU (juge assesseur) : Lors de votre audition devant les gendarmes français en 2012, et lors de cette audience quand vous parlez spontanément, vous dites que le préfet et le bourgmestre SEMAKWAVU étaient accompagnés de militaires. Quand Monsieur le Président vous a demandé si vous avez été escortée par des gendarmes à MURAMBI, vous avez répondu: « Oui, il y avait des gendarmes ». Ma question est la suivante : faites-vous la différence entre un militaire et un gendarme ? Comment sont-ils habillés ? Comment peut-on les distinguer ?
Alphonsine MUKAREMERA : Je ne sais pas faire la différence.
QUESTIONS DES PARTIES CIVILES.
Me KARONGOZI : Est-ce que, Madame, vous pouvez nous dire votre niveau d’étude quand le génocide commence ?
Alphonsine MUKAREMERA : Je n’ai jamais étudié, j’ai grandi en élevant des vaches.
Me KARONGOZI : Est-ce que vous portiez une montre à cette époque, pendant le génocide ?
Alphonsine MUKAREMERA : Non.
Me KARONGOZI : Saviez-vous reconnaitre les jours et les heures pendant le génocide?
Alphonsine MUKAREMERA : Non.
Me KARONGOZI : Vous dites que quand le préfet et le bourgmestre vous demandent de quitter l’église de GIKONGORO, vous considérez qu’ils vous livrent. Est-ce que quand le préfet vous demande d’aller avec votre belle-sœur à pied à KIGEME, est-ce que vous pensez aussi que le préfet vous livre ?
Alphonsine MUKAREMERA : Oui, le préfet nous a abandonnées, nous a livrées.
Me KARONGOZI : Est-ce que, madame, vous pouvez nous dire pourquoi votre esprit est brouillé ? Est-ce que vous avez été traumatisée ? Est-ce que vous avez des cauchemars ? Est-ce que vous avez été blessée ?
Alphonsine MUKAREMERA : Quand j’y pense beaucoup, ça me trouble. Je me fais fait soigner à BUTARE car j’ai des maux de tête suite à ces événements..
QUESTIONS DU MINISTÈRE PUBLIC.
Ministère public: Je suis désolée, ma question est un peu délicate, mais on est nombreux à se la poser. Vous avez dit avoir fui avec un bébé sur le dos, votre bébé était votre enfant ?
Alphonsine MUKAREMERA : Oui, c’était mon enfant.
Ministère public: Est-ce qu’il a survécu ?
Alphonsine MUKAREMERA : Oui.
Ministère public : Vous souvenez-vous que dans votre audition vous avez dit qu’il a été blessé ?
Alphonsine MUKAREMERA : Oui, une balle l’a blessé au cou.
QUESTIONS DE LA DÉFENSE.
Me BIJU-DUVAL : Aujourd’hui, vous nous avez relaté un épisode important, celui où vous sortez du centre de MURAMBI avec votre frère et votre belle-sœur qui tente d’aller accoucher à l’hôpital de KIGEME. Vous avez expliqué que vous renoncez à ce déplacement à la barrière de KABEZA, car vous constatez qu’il y a beaucoup de gens. Vous regagnez donc le centre de MURAMBI. C’est ce que j’ai compris.
Alphonsine MUKAREMERA : Oui.
Me BIJU-DUVAL : Cet épisode est important, vous pourriez nous expliquer pourquoi vous n’en avez pas parlé aux enquêteurs français lorsque vous avez été entendue ?
Alphonsine MUKAREMERA : Je vous ai expliqué que lorsqu’on a vécu ce genre de choses, on peut être embrouillé. Parfois j’ai des maux de tête.
Me BIJU-DUVAL : Vous avez indiqué avoir vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA et le bourgmestre SEMAKWAVU franchir la barrière de KABEZA. Est-ce que vous les avez vu vous-même franchir cette barrière?
Alphonsine MUKAREMERA : Je vous ai tout expliqué. Tout ce que j’ai vu, je l’ai raconté et tout ce qui a été commis, ce sont des choses horribles.
Me BIJU-DUVAL : Cet évènement-là, le franchissement de la barrière par le préfet et le bourgmestre, vous n’en avez pas non plus parlé lorsque vous voyez les enquêteurs français. C’est parce que vous n’aviez pas repris vos esprits ?
Alphonsine MUKAREMERA : Nous sommes partis avec eux et juste après la barrière, ils ont été plus rapides que nous et la barrière a été fermée juste après eux. (NDR. Propos traduits légèrement confus, Un autre interprète se lève pour donner des indications à son collègue).
Me BIJU-DUVAL : J’aimerais revenir sur les conditions de votre fuite. Lorsque vous avez été entendue par les enquêteurs français, D10425/3, vous avez dit : « Je suis tombée sous le corps des morts. Mon enfant léchait le sang des morts. J’ai fui avec NYIRIKINDI et me suis réfugiée chez Marie pendant une semaine pour revenir chez moi. » Est-ce que ça correspond à vos souvenirs ?
Alphonsine MUKAREMERA : Oui, je me rappelle avoir dit ça. Tout ce que j’ai raconté, je l’ai vu de mes propres yeux, ce ne sont pas des choses que l’on m’a dites.
Me BIJU-DUVAL : Mais, dans le récit que j’ai lu, il n’est pas du tout question d’un retour vers MURAMBI pour mourir, comme vous l’avez exprimé. Est-ce que vous êtes véritablement revenue dans le centre de MURAMBI ce jour-là ?
Alphonsine MUKAREMERA : Quand je suis partie, je suis partie une fois pour toute.
Me BIJU-DUVAL : Dois-je comprendre que vous n’êtes pas revenue au centre de MURAMBI ?
Le Président intervient : « Écoutez, si elle vous dit « une bonne fois pour toute », c’est qu’elle n’est pas revenue.
Il sera mis fin à une audience très éprouvante pour le témoin.
Audition de madame Valérie MUKAMANA, rescapée.
Le témoin ne désire pas faire de déclaration spontanée. Monsieur le président lui posera des questions au sujet des propos qu’elle a tenus devant les enquêteurs français.
Sur questions de monsieur le président, le témoin déclare :
« En 1994, j’étais mariée, mon époux s’appelait Alexis, et j’avais un enfant, un autre était déjà décédé sans lien avec le génocide. Je suis Hutu et mon mari était Tutsi. Je vivais avec mon mari, dans ma belle-famille., dans la cellule de MURAMBI, près de l’école. Aujourd’hui, j’habite toujours là.
J’ai appris la mort du président HABYARIMANA à la radio et à partir de ce jour, les Tutsi n’ont plus eu de sécurité. Les maisons ont commencé à brûler. Une réunion a été organisée par le conseiller KAJUGA mais les Tutsi n’ont pu y participer. Je connaissais l’ex sous-préfet HAVUGIMANA, appelé aussi HAVUGA. C’était un Interahamwe [1]. Je l’ai vu en compagnie de Laurent BUCYIBARUTA ainsi que du bourgmestre SEMAKWAVU à MURAMBI, quand il était venu tenir une réunion auprès des Tutsi réfugiés. J’étais là. C’était entre le 10 et le 12 avril. Je m’y étais réfugiée avec mon mari et sa famille, sans passer par la cathédrale de GIKONGORO.
Nous étions restés quelques temps à la maison mais les Interahamwe nous ont fait parvenir un écrit disant qu’ils allaient venir, « s’en prendre à ces Tutsi qui avaient refusé de rejoindre les autres. » Des gendarmes et des militaires assuraient la sécurité. Ils étaient peu nombreux. Nous sommes arrivés à MURAMBI environ une semaine avant la grande attaque. Il n’y avait pas de quoi boire car l’eau avait été coupée, il n’y avait pas de nourriture non plus. On nous a apporté du riz, mais peu de gens en ont reçu. Il n’y avait pas d’eau, ni bois de chauffage donc cela ne servait à rien.
J’ai su que l’eau avait été coupée. On m’a dit que c’était David KARANGWA ou HAVUGIMANA qui avait procédé à cette coupure. A MURAMBI, j’ai vu le préfet, il venait rassurer les Tutsi, leur dire qu’ils étaient en sécurité. Il était venu accompagné de militaires et de gendarmes. HAVUGIMANA et SEMAKWAVU étaient là aussi.
Des vieilles femmes et des enfants mouraient de faim et de soif. Au début, on pouvait sortir pour nous approvisionner mais après, une barrière a été érigée. Les jeunes gens qui allaient puiser de l’eau dans la vallée étaient attaqués par les Interahamwe et rentraient parfois bredouille. Des attaques avaient repoussées par les réfugiées.
J’ai quitté le camp en portant un enfant âgé de un an. Nous nous sommes concertés en famille et comme moi j’étais détentrice d’une carte d’identité Hutu, je n’étais pas pourchassée [2]. Donc je me suis concertée avec mon mari et ma belle-famille et ils m’ont dit qu’ils me priaient de mettre cet enfant à l’abri car il n’y avait pas suffisamment de sécurité ici. J’ai d’abord refusé mais ils ont continué à insister. Je me rappelle que ce jour-là c’était le 19 avril, à ce moment-là le préfet Laurent BUCYIBARUTA était revenu tenir une autre réunion.
C’était plutôt le 20 car le 19. Laurent BUCYIBARUTA a fait une réunion et il a dit de sortir tout ce qu’on avait comme matériel, que ce soit un couteau ou une machette, pour que les gendarmes assurent bien notre sécurité. Ces derniers ont déposé les objets réquisitionnés dans un véhicule et pendant la nuit, du 19 au 20 avril, ma belle-famille a insisté disant qu’il n’y avait pas de sécurité ici. C’est ainsi que je suis sortie de là, au matin du 20 avril. J’ai pris la direction de RUKUNDO, ma localité d’origine et mes parents étaient là.
Vous me dites que je n’avais pas parlé de cette seconde visite du préfet? Ce serait peut-être un oubli quant aux dates, ne m’en tenez pas rigueur. Cela s’est passé il y a 28 ans. L’enfant avec lequel je suis partie est toujours vivant.
J’ai quelque chose à ajouter, je réclame justice, justice doit nous être rendue. »
Questions
Juge assesseur : Madame, par rapport à cet enfant, une femme est venue à la barre, elle était dans le camp de MURAMBI, elle était Hutu, avec sa belle-famille et son enfant très jeune et elle a dit qu’elle avait eu énormément de difficultés à sortir l’enfant car on lui disait que si elle était Hutu, l’enfant était Tutsi. Vous n’avez pas eu cette difficulté ?
Valérie MUKAMANA : Quand je suis sortie, j’ai dit que j’allais faire soigner l’enfant car il n’y avait pas de soin sur place.
Pas de question des Parties civiles.
Questions du Ministère Public.
Ministère Public : Concernant les barrières, que vous avez évoquées, pouvez-vous nous dire quel était le rôle de ces barrières ? Comment vous l’avez-vous vécu ?
Valérie MUKAMANA : Sur la barrière on demandait la pièce d’identité, je leur ai montré ma carte d’identité et ils m’ont laissée passer. Mais si tu étais Tutsi tu ne pouvais pas passer. Les gens sur ces barrières ont été tués.
Ministère Public : Vous confirmez vos deux déclarations, que vous avez vu des gens être tués à ces barrières ?
Valérie MUKAMANA : Concernant celle de KABEZA, je ne l’ai pas vu mais il y a des signes de gens qui sont morts.
Ministère Public : Vous êtes retournée après l’attaque, quelques jours après, à MURAMBI, vous n’avez pas retrouvé les corps de vos proches, avez-vous été témoin des opérations d’ensevelissement des corps ?
Valérie MUKAMANA : Je n’étais pas présente quand ils ont enterré les corps, mais les nouvelles que j’ai eu, c’est que des machines avaient été utilisées.
Questions de la Défense.
Me LÉVY : Tout à l’heure, vous avez évoqué la première venue du préfet à MURAMBI, on vous a demandé s’il était venu seul ou avec d’autres personnes. Vous avez répondu qu’il est venu avec des militaires et des gendarmes. Le président vous a demandé si c’est à ce moment-là qu’il y avait le sous-préfet HAVUGIMANA. Est-ce que vous dites que l’ancien sous-préfet HAVUGIMANA est avec le préfet à ce moment-là ?
Valérie MUKAMANA : Oui.
Me LÉVY : Quand vous aviez été entendue par les enquêteurs du Tribunal pénal international pour le Rwanda, vous aviez indiqué au sujet de cette visite : « Je me souviens qu’un jour le préfet Laurent BUCYIBARUTA et le bourgmestre de la commune SEMAKWAVU sont venus à MURAMBI s’adresser à nous. » Donc là vous ne mentionnez pas l’ancien sous-préfet HAVUGA comme quelqu’un qui aurait accompagné le préfet Laurent BUCYIBARUTA, pour quelle raison ?
Valérie MUKAMANA : Il est possible que je ne l’ai pas dit, mais je l’ai vu de mes yeux.
Me LÉVY : Quand vous avez été entendue par les enquêteurs français, vous dites au sujet du préfet Laurent BUCYIBARUTA qu’il est venu accompagné de militaires et qu’il vous a dit que vous étiez en sécurité et que c’est tout ce dont vous vous souvenez. On vous demande, alors qu’en 2002 vous aviez indiqué qu’il était venu avec le bourgmestre pour votre promettre une assistance alimentaire et vous promettre sécurité, si vous vous en souvenez et vous répondez, « oui je m’en souviens ». Là aussi vous ne mentionnez pas du tout HAVUGA comme faisant partie des gens accompagnant Laurent BUCYIBARUTA ?
Valérie MUKAMANA : Je pense que je l’ai dit, mais je ne sais pas pourquoi cela n’a pas été retranscrit.
Me LÉVY : Vous aviez indiqué qu’avant le génocide vous n’aviez jamais vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
Valérie MUKAMANA : Oui c’est cela.
Président : Monsieur Laurent BUCYIBARUTA souhaitez-vous réagir ?
Laurent BUCYIBARUTA : Merci Monsieur le Président, quand je suis allé à MURAMBI, je n’ai jamais été accompagné par HAVUGA, dont j’ai expliqué le comportement hier. S’il était là, il y était à titre personnel et ne faisait pas partie de la délégation officielle. Je ne suis allé qu’une seule fois à MURAMBI. Le reste a été dit par ma Défense. Le responsable de gendarmerie m’accompagnait, c’était Christophe BIZIMUNGU.
Président : Nous verrons cela plus tard parce que de nombreux témoins disent que ce n’était pas BIZIMUNGU à coté de vous mais SEBUHURA. Vous, vous dites que votre interlocuteur officiel était BIZIMUNGU et pas SEBUHURA.
Me KARONGOZI : Je voudrais poser la question à Laurent BUCYIBARUTA. Je comprends que le sous-préfet n’est pas fréquentable, vous avez fait un rapport à son sujet. Est-ce qu’il faut considérer que toute la délégation qui vous accompagne est irréprochable ?
Laurent BUCYIBARUTA : Les personnes qui m’accompagnent sont les personnes les plus proches, le Commandant de la gendarmerie, le président du Tribunal de première instance, le Procureur de la république. Quant à leur comportement, ce n’est pas à moi de juger leur comportement, je les considérais simplement comme les chefs de service qui pouvaient donner des conseils au préfet pour assurer la sécurité.
Président : Quand vous vous déplacez à MURAMBI, vous ne vous êtes pas déplacé avec le Procureur de la République ?
Laurent BUCYIBARUTA : Si.
Président : Vous ne l’avez jamais déclaré avant.
Laurent BUCYIBARUTA : Si, si.
Président : Lors de votre déplacement pour rendre visite aux réfugiés de Murambi vous y êtes allé avec qui ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le commandant de la gendarmerie, le bourgmestre, le procureur, le responsable du Service de Renseignements Préfectoral, c’est ceux-là dont je me souviens, je ne sais plus si le président du Tribunal de première instance était là. Dans tous les cas, il était membre du comité préfectoral de sécurité.
Président : Donc, le commandant BIZIMUNGU, le bourgmestre SEMAKWAVU, le responsable du service de renseignement de la préfecture. Le responsable du SRP [3] faisait des rapports fréquents ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non pas fréquemment au préfet mais au premier ministre, oui.
Président : Le responsable du service de renseignement de la préfecture vous informait seulement de temps en temps ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, il faisait ses rapports au premier ministre, sinon.
Président : Vous vous teniez au courant fréquemment de la situation auprès du chef du SRP ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, on avait souvent des réunions dans mon bureau.
Président : Il est venu souvent de sa propre initiative pour expliquer ce qui se passait ?
Laurent BUCYIBARUTA : De temps en temps.
Président : Vous pensez avoir eu tous les renseignements nécessaires ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non. Le fonctionnement était déjà comme cela avant et quand il y a eu le gouvernement de transition multipartite, le service de renseignement est resté dans le bureau du premier ministre.
Président : Est-ce qu’il fonctionnait ou dysfonctionnait, ce service ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il y avait un dysfonctionnement pour moi.
Président : Quand avez-vous eu connaissance de ce dysfonctionnement ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’était connu.
Président : Le fait qu’il passe par-dessus le préfet, sans l’informer, c’est un dysfonctionnement ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui.
Président : Vous avez envoyé des courriers de réclamation ? Des rapports officiels pour dénoncer cette situation ?
Laurent BUCYIBARUTA : C’était au ministre de l’intérieur d’en informer ses supérieurs. Ce n’était pas à moi en tant que préfet de dire que le service connaissait un dysfonctionnement. Nous le signalions à notre supérieur hiérarchique, le Ministre de l’Intérieur.
Président : Pourquoi ce n’était pas à vous de signaler un dysfonctionnement du service de renseignement qui était à la préfecture ?
Laurent BUCYIBARUTA : parce que pour nous, préfets, notre supérieur c’était le Ministre de l’Intérieur et nous devions nous adresser à lui d’abord.
Président : Monsieur, c’est un service qui dépend de la préfecture. Êtes-vous responsable des services de votre préfecture ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le préfet est responsable de sa préfecture selon les lois et règlements en vigueur..
Président : Est-ce que la loi en vigueur dit que ce n’est pas à vous de vous en occuper ?
Laurent BUCYIBARUTA : (Laurent BUCYIBARUTA indique le décret précis et l’article précis — Article 46 du décret-loi portant organisation de la préfecture de 1975) qui dit que le préfet a autorité sur tous les services mais sur ceux de la sécurité, il n’est pas responsable totalement.
Président : Est-ce que l’article 46 du décret-loi dit que s’agissant des services de renseignements, vous n’êtes pas totalement responsable ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, les services de sécurité, pas seulement les services de renseignements, ne dépendent pas du préfet.
Président : Les services de renseignement, ils dépendent en partie quand même du préfet, ils ne sont pas autonomes ?
Laurent BUCYIBARUTA : Les agents affectés dans ces services dépendent du ministère plus que de la préfecture.
Président : nous verrons en détail la lecture de ce décret-loi.
Laurent BUCYIBARUTA : Ce qu’il faut comprendre d’autre, c’est que l’administration préfectorale n’est pas décentralisée mais déconcentrée.
Président : Personne ne contestera que vous avez un supérieur hiérarchique qui est le Ministre de l’Intérieur. Mais néanmoins, à chaque niveau, il y a des personnes responsables. Pour que ce soit parfaitement clair, pouvez-vous nous dire à quelle date exactement, vous vous êtes rendu, pour la seule fois, à Murambi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le 15 avril.
Juge assesseur 3 : Sur la visite du 15 avril, est-ce que la Croix-Rouge est représentée ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non, elle n’intervenait pas à GIKONGORO parce que le bureau local de la Croix-Rouge ne disposait pas de biens ou de nourriture à distribuer.
Juge assesseur 3 : J’ai cru comprendre qu’un prénommé Félicien est secrétaire général de la Croix-Rouge et fait partie du personnel à la préfecture de Gikongoro, est-ce qu’il était présent ? Cette absence m’étonne.
Laurent BUCYIBARUTA : Vous avez raison, il s’occupait, en plus de ses fonctions, de la section locale de la Croix-Rouge, mais c’était pour tenir de temps en temps des réunions, mais il n’avait pas de produits à distribuer à des personnes dans le besoin. Le siège était à KIGALI et c’est lui qui disposait de tous les produits de première nécessité. En cette période, même les offices de KIGALI ne pouvaient pas fonctionner normalement. La Croix-Rouge n’avait vraiment aucun moyen d’assistance.
Président : Sur les personnes qui vous accompagnent : BIZIMUNGU, SEMAKWAVU, le responsable du Service de Renseignement préfectoral, le dénommé Fabien, le président du Tribunal de première instance, mais vous n’êtes pas sûr pour ce dernier, et le Procureur.
Laurent BUCYIBARUTA : Oui.
Président : Vous aviez eu l’occasion de discuter avec le procureur ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui, et on constatait la même chose.
Président : Le rôle d’un procureur c’est à priori de poursuivre les délinquants, qu’est-ce qu’il vous disait ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il me disait qu’à ce moment-là, il n’était pas en mesure de mener les enquêtes. Il disait qu’il ne pouvait pas faire des enquêtes car personne ne venait au bureau, et son adjoint venait de mourir. Il devait être informé de la situation car les enquêtes n’étaient pas forcément exclues. Donc, s’il avait été informé à l’avance, les enquêtes auraient pu avoir lieu si on avait retrouvé la sécurité nécessaire.
Président : S’il n’était pas en mesure d’effectuer son rôle, pourquoi était-il là ? Pour faire de la figuration ? Qui lui a demandé de venir ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il devait au moins être informé de la situation. Les enquêtes n’étaient pas exclues et pouvaient avoir lieu ultérieurement si on avait retrouvé la sécurité nécessaire.
Questions des Parties civiles (à Monsieur Laurent BUCYIBARUTA).
Me GISAGARA : Vous vous rendez le 15 à MURAMBI avec des responsables de services préfectoraux, c’est vous qui les convoquez ? Comment ?
Laurent BUCYIBARUTA : J’ai reçu la lettre des réfugiés et j’ai téléphoné aux chefs de services.
Me GISAGARA : Y avait-il un responsable d’ethnie Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non je ne crois pas.
Me GISAGARA : Donc aucun n’était Tutsi ?
Laurent BUCYIBARUTA : J’ai collaboré avec les gens sur place, je ne nommais pas les gens et je travaillais avec eux.
Me GISAGARA : Est-ce que ce serait erroné de considérer qu’à cette date les services préfectoraux fonctionnaient parfaitement parce que vous y allez avec des chefs de service?
Laurent BUCYIBARUTA : Qu’ils fonctionnent parfaitement ou partiellement, je devais aller régler la situation.
Maître TAPI : Est-ce que dans votre service il y avait un certain Théoneste, chef comptable préfectoral ?
Laurent BUCYIBARUTA : Oui.
Maître TAPI : Ce Théoneste était Tutsi, est-ce qu’il était convoqué ?
Laurent BUCYIBARUTA : Il dépendait du Ministère des Finances et ne faisait donc pas partie des réunions du comité préfectoral.
Président : Aucune dépense n’était donc prévue pour les réfugiés de MURAMBI ?
Laurent BUCYIBARUTA : Son rôle était celui de comptable de bureau.
Président : Il n’est pas venu parce que son rôle était pour les dépenses de bureau. Ma question n’est pas cela, est-ce que des dépenses étaient prévues pour les réfugiés de Murambi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Le comptable gérait les subventions envoyées par le Ministère des Finances pour les différents services de la préfecture.
Président : Aucune subvention susceptible d’être utilisée en faveur des réfugiés de Murambi ?
Laurent BUCYIBARUTA : Non? parce que à ce moment6là on ne recevait plus de subventions, le gouvernement lui-même était en déroute.
Audition de monsieur François MUDAHERANGWA. En visioconférence du Rwanda.
Président : Avez-vous été condamné pour des faits en lien avec le génocide dans la préfecture de GIKONGORO ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Compte tenu des faits pour lesquels vous avez été condamné, qui sont connexes à ceux qu’on reproche à Laurent BUCYIBARUTA, vous ne prêterez pas le serment de témoin, mais je vous invite tout de même à parler avec franchise et sincérité.
Le témoin ne souhaite pas faire de déclaration spontanée.
Président : Est-ce que vous pouvez nous dire la peine à laquelle vous avez été condamné ?
François MUDAHERANWA : J’ai été détenu pendant 10 ans, j’ai fait un plaidoyer de culpabilité, j’ai demandé pardon et le pardon m’a été accordé.
Président : Pouvez-vous nous dire ce que vous avez reconnu dans votre plaidoyer de culpabilité ?
François MUDAHERANWA : Oui je vais le dire. J’ai plaidé coupable pour le crime de génocide que j’ai commis dans la préfecture de GIKONGORO, à MURAMBI. C’était en date du 7 avril et les Tutsi sont venus au diocèse de GIKONGORO. Dans la soirée, les gendarmes sont arrivés, ils les ont pris de là et ils les ont conduits à MURAMBI. En ce qui me concerne, j’habitais au centre de négoce de KABEZA, sur la route qui menait à MURAMBI.
Le lendemain, Laurent BUCYIBARUTA, SEMAKWAVU, HAVUGA, et quelqu’un qui était greffier au Tribunal ainsi que SEBUHURA sont arrivés. Dans la soirée de ce jour-là, ces personnes que j’ai citées sont venues tenir une petite réunion dans le même centre de négoce où j’habitais. Après cette petite réunion, ils nous ont demandé d’installer une barrière. Ils nous ont demandé d’ériger la barrière et ils ont également dit que les Tutsi qui allaient passer par là nous devions les laisser continuer leur route pour rejoindre les autres là où ils les avaient mis à MURAMBI. Nous les avons donc laissé passer et après un certain nombre de jours, ils sont retournés là-bas et ils nous ont dit que le nombre de Tutsi avait augmenté. Ils ont également dit que les personnes qui devaient passer à la barrière, nous devions leur demander de montrer leur carte d’identité et si nous trouvions que c’était des Tutsi, nous devions les tuer. C’est ce que nous avons fait.
Après un certain nombre de jours, ils sont allés perquisitionner les armes dont ils disposaient. Un jour, en soirée, nous avons mené une attaque contre eux, ils ont été plus forts que nous, et nous avons rebroussé chemin. Le lendemain, ils nous ont dit que comme notre nombre était insuffisant, il était opportun que nous demandions des renforts. Des renforts ont été demandés aux communes MUDASOMWA et KAMARA. Les gens de là sont venus.
Ainsi, après l’arrivée de ces renforts, nous avons attaqué les gens vers l’aube, et nous les avons tués. C’est ainsi que ça s’est passé, mais ces dirigeants dont j’ai parlé et qui nous avaient tenu une réunion étaient aussi présents. J’ai donc plaidé coupable pour ces faits, ma conscience me demandait de le faire, j’ai demandé pardon et il m’a été accordé.
Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
François MUDAHERANWA : J’appelle BUCYIBARUTA à écouter la voix de sa conscience, à demander pardon et à l’obtenir pour que nous construisions notre mère patrie, le Rwanda, sans laisser nos enfants dans les discordes.
Président : Est-ce que vous aviez un surnom ?
François MUDAHERANWA : Oui, « Baguette ».
Président : C’est ce surnom qu’un témoin vous a désigné, Emmanuel NYIRIMBUGA.
François MUDAHERANWA : Je le connaissais car quand nous commettions le génocide, nous étions ensemble.
Président : Pourquoi vous appelait-on « Baguette » ?
François MUDAHERANWA : C’est suite à mes activités de soudeur.
Président, faisant un peu d’humour : Ce n’est pas parce que vous êtes obéissant ?
François MUDAHERANWA : Non, on attribuait un surnom aux gens en faisant référence à son activité professionnelle.
Président : Ce que vous avez fait, vous l’avez fait de plein gré ou on vous a forcé?
François MUDAHERANWA : Je l’ai fait de mon propre gré, personne ne m’a forcé. Mais, vous parlez du plaidoyer de culpabilité ou de la commission du génocide ? (Malentendu).
Président : Je parle de ce que vous avez fait, de la commission du génocide.
François MUDAHERANWA : Ce sont les autorités qui nous dirigeaient qui nous ont incité à le faire car nous ne nous dirigions pas nous-mêmes. S’ils ne nous avaient pas demandé d’aller tuer, nous n’aurions pas pu aller tuer nos voisins, les personnes avec qui nous vivions.
Président : Souvenez-vous d’avoir été entendu par des enquêteurs ?
François MUDAHERANWA : Oui, mais je ne les connais pas, je ne peux pas vous citer leurs noms.
Président : Sans dire leur nom, qui étaient ces enquêteurs, d’où venaient-ils ?
François MUDAHERANWA : C’était des Blancs français. Je leur ai dit la même chose que je viens de vous dire.
Président : Ah…pas tout à fait. Vous confirmez bien que vous habitiez à KABEZA, là où il y avait la barrière ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Vous nous avez expliqué que le lendemain de la mort du président HABYARIMANA, il y a eu une réunion qui avait eu lieu à KABEZA.
François MUDAHERANWA : Oui. C’est au lendemain de sa mort, que les Tutsi ont commencé à fuir en direction du diocèse de GIKONGORO. Après, on les a pris là-bas pour les conduire à MURAMBI. Ce que je viens de dire, c’est la même chose que j’avais dit aussi.
Président : Quand avait eu lieu la réunion qui s’est tenue au centre de KABEZA ?
François MUDAHERANWA : La date est le 7 au soir, après le départ des premiers Tutsi. Après qu’ils ont emmené les premiers Tutsi, c’est à ce moment-là qu’ils ont tenu la réunion d’installation des barrières.
Président : Qui a participé à cette réunion ? Avez-vous participé à cette réunion ?
François MUDAHERANWA : Nous autres, nous étions tout près de là, ils ont tenu une réunion à 4, sinon à 5. Après cette réunion, ils nous ont demandé aussitôt d’ériger la barrière.
Président : Avez-vous vu personnellement entendu le préfet s’adresser à vous ou aux autres pour ériger la barrière ?
François MUDAHERANWA : Moi-même j’en faisais partie, car j’habite dans ce centre de négoce.
Président : Comment saviez-vous que c’était le préfet Laurent BUCYIBARUTA qui s’adressait à vous ?
François MUDAHERANWA : C’était lui qui était notre dirigeant et à KABEZA, là oui j’habitais, c’était lui le dirigeant. Tu ne pouvais pas ne pas connaitre ton dirigeant, sauf si vous habitez très loin.
Président : Vous savez qu’il était préfet ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Vous avez dit qu’il y avait le bourgmestre SEMAKWAVU ?
François MUDAHERANWA : Oui, ils étaient ensemble, ainsi que le capitaine SEBUHURA, le sous-préfet HAVUGA, et KARANGWA qui était greffier.
Président : Donc c’est ça votre déclaration, ils étaient tous ensemble (Laurent BUCYIBARUTA et les autres) ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Dans quelle maison sont ils allés tenir cette réunion?
François MUDAHERANWA : Ils étaient dans le petit centre, et après ils sont allés de l’autre côté, à la maison d’un certain Jonathan BOYI.
Président : Est-ce que Jonathan BOYI était là ?
François MUDAHERANWA : Ils sont entrés dans la maison, s’il était dedans je ne sais pas, mais quand ils sont sortis de cette réunion, ils nous ont dit: « Erigez la barrière ».
Président : C’est la première réunion qui a eu lieu. Vous avez parlé d’une autre réunion?
François MUDAHERANWA : L’autre réunion qui a eu lieu, c’est celle qui s’est tenue le jour où nous allions tuer.
Président : J’ai cru comprendre qu’il y avait eu une autre réunion, peu de temps après et qu’on avait dit que le nombre de Tutsi avait augmenté.
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Savez-vous si lors de cette réunion, ils ont rencontré des Tutsi qui étaient à MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Ils venaient de là, de MURAMBI.
Président : Vous n’avez pas vu s’il y avait une réunion avec les Tutsi ?
François MUDAHERANWA : Non, ils étaient dans l’établissement qui se trouvait là-bas et nous autres, la population, nous n’y sommes pas entrés, nous n’y sommes allés que ce jour pour les tuer.
Président : Vous avez dit que le préfet serait revenu quelque jours après pour aller chercher des armes, pour perquisitionner des armes.
François MUDAHERANWA : Oui ça s’est passé comme ça.
Président : Donc, c’est la troisième fois que vous voyez le préfet passer pour aller à KABEZA ou pour aller à MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Vous avez aussi expliqué qu’un soir il y a eu une attaque, que vous avez été repoussés et que le lendemain on vous a dit qu’il vous fallait des renforts ?
François MUDAHERANWA : Oui, ça c’est passé comme ça.
Président : Qui a dit qu’il fallait des renforts?
François MUDAHERANWA : SEBUHURA, ses instructions provenaient d’en haut.
Président : C’est à dire ? Que c’était des ordres du préfet ?
François MUDAHERANWA : Oui, mais leur réunion ne pouvait pas se tenir sans qu’il en fasse partie, c’était lui qui était à la tête de la préfecture.
Président : Vous l’avez vu aussi le matin de l’attaque ?
François MUDAHERANWA : Oui, je vous l’ai dit, quand nous sommes allés là-bas il faisait encore sombre, mais le lendemain matin je l’ai vu.
Président : Vous avez vu qui ?
François MUDAHERANWA : J’ai vu le préfet, ainsi que d’autres personnes dont je vous ai parlé avant. Sinon, les autorités étaient nombreuses, il y en avait qui étaient venues de MUDASOMWA et KARAMA.
Président : Donc, ceux que vous m’aviez cités, c’était SEBUHURA, HAVUGA, KARANGWA le greffier du Tribunal ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Président : Donc, vous avez vu tous ces gens le matin de l’attaque de MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Oui, nous étions ensemble.
Président : Qu’est-ce que vous faisiez ensemble ?
François MUDAHERANWA : Ils ont fait une réunion, et ils nous ont incité à aller tuer, c’est eux qui nous ont incités à le faire.
Président : Ils ont fait une réunion où ?
François MUDAHERANWA : L’autre réunion, ils l’ont tenue dans l’enceinte de l’établissement-même lorsqu’ils ont perquisitionné les réfugiés qui s’y trouvaient.
Président : Quand était cette réunion ? Je parle de la réunion après la perquisition ?
François MUDAHERANWA : Le lendemain de la perquisition, nous sommes allés tuer. Les armes avaient été saisies la veille pour qu’ils ne s’en servent pas pour nous tuer nous aussi.
Président : Y a-t-il eu une réunion soit au moment de la perquisition, soit au moment de l’attaque ?
François MUDAHERANWA : L’attaque à proprement parlé, comme nous avions attaqué à l’aube, la réunion ils l’avaient faite dans la nuit. Après quoi, ils nous ont dit que des renforts allaient être cherchés et que nous devions attendre pour attaquer.
Président : Que faisaient-ils le matin de l’attaque ?
François MUDAHERANWA : Les Tutsi venaient de mourir et eux étaient en train de rebrousser chemin pour rentrer.
Président : Donc, il n’y a pas eu de réunion le matin de l’attaque ?
François MUDAHERANWA : Comment voulez-vous qu’une réunion se tienne alors que ce jour-là les gens étaient en train de mourir.
Président : Donc, ils étaient juste venus voir ?
François MUDAHERANWA : Nous étions partis ensemble la nuit. Si la réunion avait eu lieu, n’est-ce pas qu’ils nous auraient demandé d’arrêter et de ne pas tuer les gens.
Président : Que se passe-t-il pendant l’attaque ?
François MUDAHERANWA : C’est ce que je vous ai expliqué plus haut.
Président : C’est-à-dire ?
François MUDAHERANWA : Je vous ai dit qu’on avait mené une première attaque qui a été avortée. Le lendemain, quand les renforts furent demandés, nous sommes repartis en grand nombre et c’est ce que je vous ai expliqué, nous les avons tués.
Président : Est-ce qu’il y avait des gendarmes ?
François MUDAHERANWA : Oui, ils sont venus apporter des grenades.
Président : Y avait-il le capitaine SEBUHURA ?
François MUDAHERANWA : Oui, il dirigeait la gendarmerie.
Président : Avez-vous déjà entendu parler d’un officier, le major Christophe BIZIMUNGU ?
François MUDAHERANWA : Je ne le connais pas.
Président : Est-ce qu’il y avait des militaires ?
François MUDAHERANWA : A MURAMBI, il n’y avait pas de militaires.
Président : Y avait-t-il que des gendarmes ? Pas de renfort de militaires ?
François MUDAHERANWA : Les renforts, c’était des gens de la population qui étaient venus dans un véhicule en provenance de communes que je vous ai citées.
Président : Avez-vous entendu parler d’un ancien officier Aloys SIMBA ?
François MUDAHERANWA : J’ai entendu parler de lui.
Président : L’avez-vous vu ?
François MUDAHERANWA : Lors de l’attaque de MURAMBI, je ne l’ai pas vu, mais je l’ai vu dans une réunion qu’il avait organisée à une place du marché. Mais je n’avais pas participé à cette réunion.
Président : Donc, vous l’avez vu sans participer à cette réunion?
François MUDAHERANWA : Moi, je le connaissais déjà avant, mais je n’ai pas été présent là où il avait organisé la réunion car c’était loin de mon domicile. Mais on m’a dit qu’il avait organisé la réunion.
Président : Donc, on vous l’a dit, vous ne l’avez pas vu ?
François MUDAHERANWA : Oui, je ne sais pas ce qui s’est dit à cette réunion du marché.
Président : Parmi les attaquants, y avait-il des gens habillés avec des feuilles de bananier?
François MUDAHERANWA : Oui, lorsque nous sommes allés à MURAMBI lors de la première attaque? nous portions des feuilles. Lors de la deuxième attaque nous portions des feuilles aussi, c’était une sorte d’insigne pour se reconnaitre et ne pas nous tuer nous-mêmes. Nous portions des feuilles de bananiers.
Président : Donc, Monsieur, selon vous, ce que vous venez de nous dire, ça correspond à vos déclarations faites aux enquêteurs français ?
François MUDAHERANWA : Oui, les propos que je viens de vous dire sont les mêmes.
Président : Il doit y avoir un problème de lecture car ce ne sont pas les mêmes choses…
François MUDAHERANWA : Ce n’est pas moi qui prenais les notes, mais ce que je viens de vous dire correspond à ce que je leur ai dit à l’époque.
Président : Je vais faire lecture de ce que vous avez dit à l’époque.
Question. Est-ce que les gens que vous venez de citer ont commis des exactions contre les Tutsi à la barrière de KABEZA?
Réponse. Quand j’étais avec ces personnes que je viens de citer, je n’ai jamais vu l’une d’entre elles tuer un Tutsi. Mais j’ai entendu dire dans les procès Gacaca que Félicien a été accusé d’avoir tué des Tutsi sur la barrière de KABEZA. En plus de ça, j’ai vu Félicien en train de tuer un Tutsi à côté de cette barrière trois jours après l’attaque de MURAMBI. J’ai témoigné de cela à la Gacaca.
Question. Mais vous veniez de dire qu’aucune des personnes que vous veniez de citer n’avait commis d’exaction et aussitôt vous dites le contraire. Qu’en est-il?
Réponse. Je m’excuse, j’avais oublié de vous le dire, je m’excuse.
François MUDAHERANWA : Comment j’ai pu ne pas en parler alors que cette barrière était située jusqu’à côté de mon domicile ?
Président : Vous avez vu des Tutsi tués à cette barrière ?
François MUDAHERANWA : Il y en a qui ont tué, d’autres sont allés là où ils ont été tués. À cette barrière, nous y avons tué des gens, ce sont ceux-là qu’on a jeté dans la fosse ; d’autres ont perdu la vie là où on les avait conduits pour les rassembler. Je ne sais pas pourquoi celui qui a fait les transcriptions a noté que je n’avais rien vu, alors que moi-même je me trouvais à côté de cette barrière. Si vous avez une question à me poser, une question par rapport à ce qui se passe après, je suis prêt à répondre aux questions.
Le président enchaine avec la lecture de l’audition devant les gendarmes français – D10375/4 jusqu’à D10375/6 en entier. Est-ce que ça vous semble cohérent avec ce que vous avez dit ?
François MUDAHERANWA : J’ai dit tout ce que je viens de vous dire, je l’avais dit de la même manière mais je ne sais pas pourquoi on ne l’a pas noté.
Président : D’accord, donc ce sont les enquêteurs français qui ont mal noté ?
François MUDAHERANWA : C’est possible, les déclarations que je viens de vous dire sont les mêmes.
Le Président continue la lecture – D10375/7. Après la lecture, il soulignera les contradictions du témoin qui rendent difficile la compréhension de la situation.
Président continue la lecture – D10375/7
Président : Ce n’est pas tout à fait ce que vous avez dit Monsieur. C’est parce que ça a été mal noté par les enquêteurs français ?
François MUDAHERANWA : il se peut qu’ils aient mal noté. Je n’étais pas à la barrière jour après jour. En fait, nous nous relayions et quand je venais, on me disait que des dirigeants étaient passés et avaient donné telle ou telle instruction.
Président : En fait ce que vous nous dites sont plus des choses qu’on vous a dites que vous avez entendu vous-même?
François MUDAHERANWA : Ce que je vous ai dit est ce dont j’ai été témoin mais les gens qui collaboraient avec moi m’ont informé d’autres choses. Mais la plupart de ce que je sais est contenu dans ce que je vous ai dit.
Président : Pouvez-vous nous parler de ce qui se passe après l’attaque ?
François MUDAHERANWA : nous sommes allés ratisser ceux qui s’étaient cachés. Les autres étaient allés se cacher à CYANIKA mais c’était loin. Des jeunes gens les ont poursuivis mais moi je n’y suis pas allé.
Président : La barrière est-elle restée à KABEZA ?
François MUDAHERANWA : Elle est restée, elle a été enlevée par les Français à leur arrivée.
Président : Vous avez connu une dame blanche, MADELEINE ?
François MUDAHERANWA : Oui, je la connaissais.
Président : Vous saviez si elle venait à MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Elle est venue une fois à la barrière, elle avait avec elle des gens, nous les lui avons arrachés, elle est repartie et n’est jamais revenue. On lui a interdit de revenir. En fait, elle avait l’intention de secourir les gens qui s’y trouvaient mais les autorités lui ont dit de ne plus jamais revenir là-bas.
Président : C’était combien de temps avant la grande attaque ?
François MUDAHERANWA : Elle est venue avec des gens, trois jours après nous sommes allés tuer les autres mais ceux qu’elle avait amenés avec elle, nous les avons tués.
Président : Il y a eu d’autres gens en dehors de MADELEINE qui apportaient du riz à MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Un commerçant a amené des denrées mais c’était pour les vendre pour que les réfugiés aient quelque chose à manger. On l’a immédiatement arrêté et on lui a dit de rentrer avec sa nourriture, il est reparti d’où il était venu.
Président : Après la grande attaque, d’autres réfugiés sont venus à MURAMBI ?
François MUDAHERANWA : Il n’y a pas d’autres personnes qui se sont réfugiés. Les autres étaient ceux qu’on avait amenés mais que les Français avaient pris pour les amener au camp. Parmi ce dernier contingent, personne n’y a perdu la vie.
Président : C’était des réfugiés Hutu ou Tutsi ?
François MUDAHERANWA : Ils les avaient amenés du diocèse de BUTARE.
Président : Réfugiés Hutu ou Tutsi ?
François MUDAHERANWA : Je ne sais pas, je les ai vus comme ça.
Président : Vous avez vu comment on a enterré les gens ?
François MUDAHERANWA : Est arrivé un bulldozer de marque CATERPILLAR qui provenait du Ministère des travaux publics, il a creusé une fosse de l’autre côté, où se trouve un bâtiment à étages. On les a tous enfouis là, personne n’a été enterré en dignité. Il y a eu un camion venu de la prison.
Président : autre chose à ajouter ?
François MUDAHERANWA : Celui qui était un dirigeant devrait faire preuve d’humilité, écouter la voix de sa conscience, demander pardon et que le pardon lui soit accordé, comme nous avons écouté la voix de notre conscience.
Pas de question des Parties civiles.
QUESTIONS MINISTÈRE PUBLIC.
Ministère public : Je voudrais clarifier un point sur la question des réunions. En France, une réunion c’est assez formel, avec des gens qui s’assoient autour d’une table. Je comprends qu’au RWANDA ce n’est pas ça, c’est plutôt un rassemblement de population dans un espace public, avec des autorités qui viennent communiquer des informations. C’est ça ?
François MUDAHERANWA : Ce n’était pas une réunion ordinaire.
Ministère public : Ma question c’est « en général », pour que la Cour et les jurés comprennent bien.
François MUDAHERANWA : Pour que vous compreniez, c’est par exemple une personne qui vient et donne une information à 10 personnes.
Ministère public: C’est un rassemblement de population ?
François MUDAHERANWA : Par exemple, vous rencontrez 5 personnes, vous leur dites quelque chose et ils font passer l’information à d’autres.
MP : Là vous parlez de la réunion.
François MUDAHERANWA : C’était une petite réunion à laquelle participaient 4 personnes et nous sommes allés le dire à d’autres personnes.
MP : M. le Président a indiqué que vos déclarations divergeaient entre celles d’aujourd’hui et celles devant les gendarmes. Vous nous avez aussi dit que vous avez plaidé coupable en Gacaca et on comprend que vous devez faire attention à surveiller ce que vous dites aujourd’hui, à ne pas trop en dire pour ne pas risquer de poursuites par la suite. Est-ce que cela explique pourquoi vous avez très largement minimisé ce qui s’est passé durant le génocide ? Que ce soit votre propre rôle ou celui des autres.
François MUDAHERANWA : Ce que j’ai dit aux gendarmes, c’est ce que j’ai fait. C’est aussi ce que j’ai dit aux audiences Gacaca. Qu’est-ce que j’aurais pu raconter de plus aux gendarmes ? Moi, j’ai plaidé coupable pour les faits que j’ai commis, aucun gendarme ne m’a jugé. Moi, j’ai plaidé coupable à cause de ma conscience, j’ai dit tout ce que j’avais fait, j’ai avoué tous mes crimes devant les tribunaux Gacaca.
Ministère public : Sur le préfet, vous indiquez qu’il avait tenu une réunion à KABEZA pour ordonner la mise en place de barrières. Vous l’avez vu passer à la barrière que vous teniez alors qu’il revenait du camp de Murambi en disant qu’il y avait de plus en plus de Tutsi là-bas ; une troisième fois, sur un nouveau passage de la barrière pour aller à la perquisition au camp ; une quatrième fois, le matin de l’attaque, après l’attaque qui est survenue la nuit, où il est venu avec d’autres autorités sans rien faire et après il est parti. Je me trompe ou j’ai bien compris ce que vous avez dit aujourd’hui ?
François MUDAHERANWA : Les choses se sont déroulées telles que je vous l’ai dit, ce n’est pas moi qui l’écrivait et je l’ai cité comme ça s’est passé.
Ministère public: Ma question est de savoir si ces 4 épisodes que vous avez évoqués aujourd’hui correspondent à la réalité ? Je ne parle plus des auditions.
François MUDAHERANWA : Oui, et c’est comme ça que je l’ai raconté avant.
Ministère public : Une précision sur les barrières. Vous avez évoqué un basculement sur les méthodes, le fonctionnement de la barrière de KABEZA où vous étiez. Vous avez dit que dans un premier temps il fallait laisser passer les réfugiés pour aller à l’école de MURAMBI et qu’ensuite les autorités vous ont dit qu’il fallait contrôler et arrêter les Tutsi. Vous avez dit que ce changement dans la pratique avait été décidé par les autorités car le nombre de réfugiés avait beaucoup augmenté à l’école. Qu’est-ce que vous avez compris de ça, selon vous, les autorités craignaient de faire face au nombre de réfugiés, des milliers, rassemblés dans cette école ?
François MUDAHERANWA : Bien sûr, quand ils sont devenus nombreux, ils avaient un plan de les tuer. S’il n’y avait pas eu un plan, on les aurait laissés tels qu’ils étaient, aucune personne de la population n’aurait pu les attaquer.
Ministère public : Donc, quand vous expliquez que les premières attaques ont été repoussées par les réfugiés et qu’ensuite des villageois des autres communes sont venus, selon vous, c’est parce qu’il fallait attendre le moment opportun pour attaquer, pas ‘n’importe quand mais quand les autorités décidaient que c’était le bon moment pour attaquer ?
François MUDAHERANWA : Oui, parce qu’ils avaient peur. Quand nous étions peu nombreux, ils ont demandé d’attendre les renforts pour attaquer en nombre.
QUESTIONS DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : Vous avez indiqué aux enquêteurs français – D10375/2, que vous aviez été arrêté le 24 février 1995 et libéré le 28 août 2005.
François MUDAHERANWA : La première date n’est pas la bonne.
Me BIJU-DUVAL : Alors dites-nous la bonne!
François MUDAHERANWA : C’était au début février.
Me BIJU-DUVAL : Quelle année ?
François MUDAHERANWA : février 1995, au début du mois.
Me BIJU-DUVAL : Entre la date de votre arrestation et celle de votre libération de la prison de GIKONGORO, pouvez-vous nous indiquer la date de votre jugement Gacaca qui vous a libéré ?
François MUDAHERANWA : J’ai été jugé quand les tribunaux Gacaca ont commencé à siéger. Il y a eu d’abord la période de collecte d’informations, ensuite c’était le début des procès Gacaca. On a dit qu’on devait juger les personnes en prison. Ils ont trouvé que nous avions plaidé coupable en toute conscience, donc on nous a laissés aller dans nos familles. Nous avons comparu et quand ils ont comparé la peine avec le temps que nous avions passé en prison, ils ont trouvé que ça correspondait.
Me BIJU-DUVAL : On peut considérer que vous avez été jugé et libéré en août 2005, c’est bien ça ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Me BIJU-DUVAL : Donc, au moment où vous êtes interrogés par les enquêteurs français en 20012, ça fait presque sept ans que vous avez été jugé et avez purgé votre peine ? Vous nous confirmez que ce que vous avez dit aux enquêteurs français est ce que vous avez dit aux Gacaca ?
François MUDAHERANWA : Oui.
Me BIJU-DUVAL : Votre peine étant définitive, vous n’auriez aucune raison d’avoir peur d’une peine pour des faits que vous n’auriez pas évoqués en Gacaca ?
François MUDAHERANWA : J’ai répondu aux questions posées.
Me BIJU-DUVAL : Prenons l’exemple des réunions, évoquées par Mme l’avocate générale. Aujourd’hui vous nous avez parlé de plusieurs réunions après le 7 avril, l’attentat, n’est-ce pas ? Lorsque vous avez été interrogé par les enquêteurs français, vous avez dit que vous n’en saviez rien. Que vous citiez les réunions ou pas, en quoi cela pouvait-il vous incriminer ?
François MUDAHERANWA : J’ai commencé en disant qu’il y avait eu une réunion le 7 et je vous ai dit que l’autre a eu lieu quand nous avons interrompu notre attaque. L’autre, une fois qu’on avait fouillé les réfugiés.
Me BIJU-DUVAL : D’accord. La lecture par M. le Président de votre audition de 2012 a répondu à bien des questions donc je n’en ai plus qu’une. M. le témoin, qui vous a demandé de modifier vos déclarations pour venir charger/accuser le préfet Laurent BUCYIBARUTA lors de ce procès.
François MUDAHERANWA : Nous avons reçu une convocation au Parquet, et comme on avait déjà témoigné une fois contre lui, on nous a dit que nous allions témoigner aussi là où il est emprisonné.
Me BIJU-DUVAL : M. le témoin, vos déclarations entre 2012 et aujourd’hui sont radicalement différentes. Ma question est la suivante : qui vous a demandé de venir modifier vos déclarations pour charger le préfet BUCYIBARUTA ?
Président : Pour la loyauté des débats, il me semblerait mieux de poser la question ainsi: « Est-ce quelqu’un vous a demandé de changer vos déclarations ». Posez des questions un peu plus ouvertes
Me BIJU-DUVAL : est-ce que quelqu’un vous a demandé de venir changer vos déclarations pour y inclure des éléments à charge contre le préfet BUCYIBARUTA ?
François MUDAHERANWA : Personne ne m’a demandé de changer mon témoignage. Ce que j’avais dit sur Laurent BUCYIBARUTA est la même chose que j’avais dit. Je ne sais pas pourquoi la personne qui écrivait n’écrivait pas mes propos.
Audition de monsieur Emmanuel HANGARI, rescapé, en visioconférence.
Le témoin ne souhaite par faire de déclaration spontanée. Il veut bien répondre aux questions qu’on lui posera.
Sur questions de monsieur le président, le témoin déclare:
« En 1994, j’étais maçon, j’avais 22 ans, étais célibataire et j’habitais chez ma grand-mère sur le secteur KAMEGERI, près de GIKONGORO. J’ai bien été entendu voici des années, mais je ne sais pas si c’était des gendarmes français.
Mon père habitait dans le district de HUYE, secteur KINANI, dans la préfecture de BUTARE. Mes parents étaient séparés. Maman habitait CYANIKA. »
Sur question du président, le témoin énumère les victimes de sa famille. Sept de ses frères et sœurs sont morts, dont cinq à CYANIKA. Son papa et deux autres enfants seront tués à RUSATIRA. Quant à sa grand-mère, elle aura la vie sauve pour avoir cédé un champ à un Interahamwe, un certain GASANA, en échange de sa protection.
Le témoin n’apprend la mort d’HABYARIMANA par des voisins. Le 8 avril, les maisons ont commencé à brûler.
« Quand j’ai vu les incendies s’approcher de chez nous, j’ai fui avec ceux qui étaient à la maison, ma tante maternelle, Alivera MUKASINE, Charles UWAMAHORO, le fils de ma tante, Cécilia MUREKATETE, sa fille. Avec des voisins, on est partis à MURAMBI. Nous avons essayé de nous arrêter à la cathédrale de GIKONGORO, mais on nous a demandé de partir pour MURAMBI où des gens nous avaient précédés. D’autres arriveront après nous. Nous n’avons pas rencontré de barrière et n’avons pas été escortés par des gendarmes.
Des autorités sont venues à MURAMBI: Vincent SEMAKWAVU, le bourgmestre, Laurent BUCYIBARUTA, le préfet, le capitaine SEBUHURA et d’autres. Le préfet, je ne le connaissais que pour l’avoir vu en photo lors de la campagne des élections législatives. SEBUHURA, on m’a dit qui il était. Il était très en colère en poussant les réfugiés. Il nous a demandé de déguerpir au moment de la réunion.
SEMAKWAVU était arrivé avec deux Interahamwe qu’il avait arrêtés pour avoir brûlé des maisons. Mais ils ne seront pas jugés. C’était une façon de nous mentir, de nous faire croire qu’on luttait pour combattre l’insécurité. Nous avons soumis nos difficultés au préfet qui nous a dit qu’il n’y avait pas de nourriture. On avait déjà enterré des personnes mortes de faim dans le camp. »
Monsieur le président va souligner les contradictions entre ce que le témoin a dit aux enquêteurs et ce qu’il affirme à l’audience. Ce dernier confirme toutefois un certain nombre de déclarations extraites du dossier.
Concernant la grande attaque, le témoin est invité à s’expliquer. « Les assaillants sont arrivés à l’aube. Nous avons entendu le sifflement des balles. Nous nous attendions à cette attaque. Nous avons tenté de résister en lançant des pierres, mais, en face, ils avaient des armes à feu. »
Le témoin va alors se réfugier dans le faux plafond de la maison à étage en arrachant une tôle du toit qu’il avait atteint en passant par un échafaudage. Un de ceux qui étaient avec lui a manifesté sa présence et les Interhamwe sont montés à leur tour. Un d’eux va le reconnaître et lui demander de se vêtir de feuilles de bananier. C’est ainsi qu’il pourra retourner chez sa grand-mère.
L’ensevelissement des corps, les événements de CYANIKA? On lui racontera plus tard.
Ministère public. Vous viviez dans l’attente d’une attaque. D’autres attendaient la mort. Or, Laurent BUCYIBARUTA dit que c’était imprévisible. Pourquoi vous dites que vous vous attendiez à une attaque.
Emmanuel HANGARI: Ils étaient venus nous attaquer plusieurs fois. C’est donc qu’ils avaient un plan.
Maître LEVY veut savoir si, lorsque le préfet leur demande de retourner chez eux, comme le prétend le témoin, c’était pour les piéger. Le témoin répond que c’est SEMAKWAVU qui avait fait cette demande. BUCYIBARUTA, lui, a dit qu’il n’y avait pas de nourriture, qu’il y avait d’autres réfugiés à nourrir. Le préfet voulait bien les piéger. Il ne le connaissait pas, mais il l’avait bien vu sur des affiches.
Laurent BUCYIBARUTA est invité à réagir. « Le témoin tient des propos imaginés. J’ai dit que j’allais entamer des démarches pour obtenir des vivres. Je ne pouvais pas imaginer que le camp serait attaqué. Je n’ai pas entendu le bourgmestre dire aux gens de rentrer chez eux. C’est inimaginable. »
Monsieur le président va alors essayer de pousser le préfet dans ses derniers retranchements. Ce dernier va croiser le fer avec lui. Comment a-t-il pu ignorer qu’une attaque allait se produire. Il était allé à KIBEHO, sa femme se cachait du côté de RWAMAGANA et un de ses beaux-frères avait été tué parce que Tutsi.
Le président: Vous saviez qu’à d’autres endroits on tuait les Tutsi?
Laurent BUCYIBARUTA: je n’ai jamais considéré les Tutsi comme des ennemis. Le préfet de KIBUNGO m’a bien dit qu’il y avait eu des massacres dans sa préfecture, mais en précisant qu’il avait été débordé. Je ne sais pas par qui et pourquoi il a été tué. C’est lui qui a ramené mon fils à KIGALI.
D’évoquer ensuite son déplacement à KIGALI le 11 avril. Il y avait des barrières, la plus terrible à NYABUGOGO. Mais la présence de gendarmes à ses côtés lui a permis de passer sans problème.
Va alors commencer une assez longue discussion sur la notion de génocide. Pour qu’il y ait génocide, selon la loi française, il faut qu’il y ait eu entente, martèle mon sieur le président. Maître BIJU-DUVAL fait remarquer que cette notion d’entente est une spécificité française. L’accusé reconnaît bien qu’il y a eu un génocide, mais il n’est pas concerné par l’entente: « Je ne peux pas dire qu’il y ait eu un plan! »
Toutes les parties auront beau tenter de convaincre le préfet qu’il aurait dû savoir ce qui allait arriver, ce dernier n’en démord pas. « J’ai envoyé des gendarmes à MURAMBI pour assurer la sécurité. A KIBEHO des gendarmes avaient retourné leurs armes contre la population mais je ne pouvais pas imaginer que cela se produise à MURAMBI. Je n’étais pas le chef hiérarchique des gendarmes. »
Le préfet se perd dans les explications qu’il donne concernant sa propre famille.
« Protéger les réfugiés, c’était le rôle des gendarmes. Je ne pouvais pas intervenir sans mettre ma vie en danger! »
Concernant les émissions de la RTLM que le préfet écoute, il reconnaît que c’était une radio extrémiste.
Le ministère public: Oui, mais c’est la première fois dans l’Histoire qu’une radio appelait à commettre les massacres!
Le préfet ne sait pas combien de gendarmes il y avait à MURAMBI. Il va même jusqu’à suggérer qu’il pourrait y avoir eu « des gendarmes en civil, comme cela se voit en France. »
Concernant la rencontre avec le préfet de BUTARE, le 16, et la diffusion d’un communiqué commun, monsieur Laurent BUCYIBARUTA rappelle qu’ils avaient des préoccupations communes. Les décisions ont été prises en commun.
La fin de l’audience est un véritable dialogue de sourds. Le président souhaite clôturer la journée en rappelant qu’on aura l’occasion de revenir sur cette discussion et sur le rôle du préfet.
Alain GAUTHIER, président du CPCR ;
Mathilde LAMBERT pour la prise de notes en audience ;
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page. (Fin)