Procès Munyemana à Paris pour génocide, 5 décembre 2023. J16

« Maison 60 » où étaient enfermés les Tutsi avant d’être conduits au bureau de secteur.

           Audition de Marie DUSABE, partie civile.

           Lecture des témoignages de Séraphine NIBAKURE.

•           Lecture des témoignages de Générose MUKAMULISA.

           Audition de Laetitia HUSSON.

           Audition d’Anne-Marie KAMANZI, partie civile.

           Audition de Laurien NTEZIMANA.

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Audition de madame Marie DUSABE, citée par l’accusation, partie civile du CPCR, en visioconférence de Kigali.

Mme DUSABE est une rescapée Tutsi du génocide durant lequel une cinquantaine de membres de sa famille ont été assassinés, parmi lesquels son mari, ses enfants, sa mère et ses frères. Elle a réussi à survivre en se cachant et n’est donc pas témoin direct des faits qu’elle rapporte.

Après l’attentat du 6 avril, elle raconte que les ethnies se sont retournées les unes contre les autres. Elle évoque aussi une campagne de désinformation selon laquelle les Tutsi voulaient tuer les Hutu comme ils avaient tué le président. Les massacres ont ensuite commencé à Rango le 21 avril.

Son mari, Claude NKUBITO, fait partie du groupe d’hommes capturés dans cette localité. Il a été conduit dans un premier temps à la « maison 60 » où ils ont passé la nuit avant d’être amené au bureau de secteur de Tumba.

Selon la témoin, ces arrestations et ce transfert ont été décidés par le comité de village de Rango dirigé par Émile. Sosthène MUNYEMANA, qui détenait les clés du bureau de Tumba, leur a ouvert. Il les aurait aussi fait sortir du bureau pour les faire monter dans le véhicule communal. De là, ces hommes ont été emmenés au parquet de Butare puis à la préfecture. Elle a appris des témoignages de Rurangwa et de KAYIJAMAHE lors des gacaca que l’accusé aurait accompagné le convoi.

Après avoir passé quelques jours à la préfecture de Butare, les femmes qui leur apportaient à manger sont revenues un jour en disant que leurs maris n’y étaient plus. Elles n’ont jamais su les circonstances de leur mort ni où ils avaient été enterrés. Aujourd’hui, Mme DUSABE ne souhaite que retrouver le corps de son mari.

Lecture des témoignages de Mme Séraphine NIBAKURE

Mme NIBAKURE hébergeait chez elle des réfugiés de Kigali fuyant les massacres de Tutsi. Ils ont été découverts et conduits au bureau de secteur. Lorsqu’elle s’y est rendue pour leur donner à manger, elle y a reconnu Innocent NTIDENDEREZA, Innocent RUTAYISIRE, Ramadan GASENGAYIRE, Jean Bosco KABEYI et Claude NKUBITO. Ils étaient une dizaine. Ces prisonniers étaient inquiets mais allaient bien, sauf Vénuste GASIRABO qui avait une blessure à l’avant-bras. Les femmes de ces détenus apportaient elles aussi de la nourriture, d’abord au bureau de secteur, puis à la brigade de gendarmerie. Tous ces hommes ont disparu 3 jours après leur transfert.

Lecture des témoignages de Mme Générose MUKAMULISA

Mme MUKAMULISA était Hutu et pouvait donc circuler pendant le génocide. Elle a perdu son mari Innocent NTIDENDEREZA et sa fille aînée durant cette période. Elle avait déclaré dans son audition aux gendarmes ne pas connaître Mr MUNYEMANA.

Son mari a été pris dans la nuit du 17 mai et conduit dans la « maison 60 ». Le matin du 18 mai, alors qu’elle lui apporte du lait, son mari lui demande de lui amener ses plus beaux habits car il savait qu’il arrivait au bout de ses jours.

La témoin raconte qu’il est ensuite transféré avec les autres hommes avec qui il été détenu au bureau de secteur de Tumba où elle déclare aussi avoir vu le petit frère de son mari, Vincent KAGERUKA. Ils ont dormi du 18 au 19 mai au bureau de secteur, avant d’être transportés au parquet où le procureur BUSHISHI avait donné l’ordre de les emmener à la gendarmerie à côté de la préfecture. Ils y sont restés jusqu’au 23 et été battus chaque matin jusqu’à ne même plus avoir assez de force pour pouvoir manger. C’est à cette date que Mme MUKAMULISA a vu son mari pour la dernière fois.

Déclaration de Mr Sosthène MUNYEMANA

Sosthène MUNYEMANA exprime sa compassion envers les femmes des hommes du groupe de Rango et leur famille. Il n’a rien à ajouter.

Audition de madame Laetitia HUSSON, citée par l’accusation.

Mme Husson a travaillé au TPIR pendant 11 ans, entre 2004 et 2015, en tant que juriste coordinatrice de jugement. Ses fonctions consistaient à assister les juges et à les conseiller sur des questions de droit international, sur la prise de décisions et sur l’organisation des décisions et des jugements.

Sur la création du TPIR. Après beaucoup d’hésitations, le Conseil de Sécurité des Nations Unies décide sa création en novembre 1994, sur le modèle du TPIY. Alors que le Rwanda avait appelé cette création de ses vœux, ce pays votera contre la résolution qui en est à l’origine à cause de la limitation dans sa compétence et de l’absence de la peine de mort devant cette juridiction. En votant contre, le Rwanda rappellera son attachement à une justice internationale pour le génocide. L’objectif est de contribuer au rétablissement et au maintien de la paix dans la région. Le Conseil de Sécurité va établir ce TPIR en Tanzanie, à Arusha. Depuis sa fermeture, il a été remplacé par le Mécanisme résiduel de suivi, celui qui, ces dernières années, a tenté de juger Félicien KABUGA à LA HAYE, aux Pays-Bas. (NDR. Reconnu sénile par un groupe d’experts, il ne sera en réalité jamais jugé.)

La compétence du TPIR est déterminée par son statut. Le TPIR juge des crimes de génocide, des crimes contre l’Humanité et des crimes de guerre. Il pouvait juger toute personne responsable de crimes commis au Rwanda pendant l’année 1994. Ce tribunal aura jugé 93 personnes et en a condamné 61. Cependant il ne s’intéressera qu’aux plus hauts responsables, ceux portant les responsabilités les plus lourdes, et doit renvoyer certaines affaires devant des juridictions nationales.

Au Rwanda est créé un système de tribunaux communautaires, les gacaca, qui vont se tenir localement. Le TPIR et le Rwanda vont être secondés par d’autres justices nationales. Ces procès concernent les Rwandais qui se sont réfugiés sur les territoires de ces pays. La loi de compétence universelle, fondée sur l’idée que les crimes de génocide sont d’une gravité telle qu’ils réclament des conditions exceptionnelles, permet de juger en France des crimes commis à l’étranger, sur des étrangers, par des étrangers, à condition que la personne réside sur le sol français lors de la plainte.

Au TPIR, les juges bénéficiaient d’une totale indépendance. Le tribunal étaient divisé en trois chambres de 1ère instance et une chambre d’appel. Il y avait une section d’appui et de protection pour les témoins et les victimes. Il y avait 3 juges qui prenaient leur décision à la majorité. Les victimes n’étaient pas représentées devant le TPIR. Le TPIR fonctionnait sur le mode du droit anglo-saxon et son système accusatoire.

L’initiation d’une enquête était de la seule discrétion du procureur, les victimes ne pouvaient pas demander d’enquête ou porter plainte. Le procureur menait son enquête sans contrôle d’un juge, il n’y avait pas de juge d’instruction. C’était à l’accusation de prouver la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. L’enquête à décharge était donc du ressort des avocats de la défense. Le procureur résumait sommairement les faits et les crimes reprochés au suspect.

Une fois informé des charges, le suspect devenu accusé était officiellement mis en accusation et jugé. Un accusé pouvait reconnaître sa culpabilité en échange d’une réduction de la peine. S’il se mettait d’accord avec le procureur, alors le juge vérifiait que l’accord s’était fait en connaissance de cause et vérifiait les faits. Il n’était pas tenu par l’accord et pouvait le rejeter. Il décidait de la peine. Si la reconnaissance de culpabilité était signée, alors les débats ne portaient que sur la peine. Sinon, on commençait la phase préparatoire qui pouvait durer plusieurs années, avant l’ouverture d’un procès. Les procédures duraient plusieurs années de par la complexité de la procédure.

Les juges de la chambre d’appel ont conclu que l’existence d’un génocide ne pouvait pas faire l’objet de mise en doute. C’est un fait qui s’inscrit dans l’histoire du monde. C’est une technique juridique qui n’existe pas en droit français mais ils ont pris constat judiciaire de l’existence du génocide comme fait de notoriété publique, et les procureurs n’avaient pas à prouver son existence. Ils ont pris aussi constat judiciaire d’exactions contre les Tutsi d’avril à juillet 1994: nul ne peut valablement contester qu’il y a eu une campagne de massacres touchant les Tutsi. Cette prise de constat judiciaire ne dispensait pas le procureur de prouver la culpabilité de l’accusé.

La jurisprudence a aussi contribué à révéler le caractère organisé, coordonné et systématique du génocide. Le crime d’entente est un crime à part des autres crimes. Pour celui-ci il faut apporter la preuve factuelle d’une entente de l’accusé avec des personnes nommément citées dans l’acte d’accusation. Les juges diront bien que leur tâche n’était pas de noter l’existence ou non d’un plan ou d’une entente, mais de se prononcer sur les faits présentés dans un dossier précis. Dans les jugements, les juges détaillaient leur conclusion sur chaque fait allégué par le procureur.

Concernant les témoignages, leur fiabilité était évaluée au cas par cas par les juges. La règle était de les évaluer dans leur globalité. Les incohérences ou les difficultés des témoins à se souvenir des faits ne suffisaient pas devant le TPIR à écarter leur déposition dans son entièreté. Parfois, les éléments corroborés par d’autres récits et apparaissant fiables étaient conservés et les autres éléments étaient écartés.

Près de 84% des témoins sur 21 ans ont bénéficié de mesures de protection. Ces mesures pouvaient se traduire dans des sessions à huit clos par exemple. Malgré les allégations récurrentes des équipes de la défense sur des pressions des autorités du Rwanda sur des témoins, il y a eu très peu de cas dans lesquels les juges du TPIR concluront qu’elles sont avérées. Il n’y a d’ailleurs eu qu’une seule condamnation pour faux-témoignage par ce tribunal et elle portait sur un témoin ayant porté des accusations en première instance aboutissant à la condamnation de l’accusé, puis retirant son témoignage durant l’appel en disant avoir menti. Il reviendra finalement à nouveau sur ses déclarations affirmant avoir été payé pour dire qu’il avait menti dans ses accusations, et sera donc condamné pour cela et non pour son témoignage initial. En ce qui concerne l’affaire dite du  «Jugement de Butare» qui se rapproche de la présente affaire, des centaines de témoins ont été entendus dans ce cadre et seuls trois ont été écartés. Quoi qu’il en soit, Mme HUSSON conclut que les accusations de mensonges endémiques en raison de pressions du gouvernement rwandais ou d’associations de rescapés n’ont jamais été établies. Les juges devaient prendre en compte tous les facteurs culturels dans l’appréciation des témoignages. Il y avait des dangers de transplantation culturelle. Les juges devaient faire face à la perte de mémoire de beaucoup de témoins à cause du passage du temps et du traumatisme. Beaucoup de témoins étaient aussi des auteurs et ne pouvaient pas tout dire pour ne pas s’incriminer. Enfin, il y avait un défi lié à la traduction qui pouvait influer sur la substance même des audiences.

Dans le procès contre l’ancien Premier Ministre du gouvernement intérimaire Jean KAMBANDA, celui-ci a été condamné en première instance après avoir plaidé coupable pour avoir incité aux tueries, avoir préparé le génocide avec son gouvernement, avoir participé à l’instruction militaire des Interahamwe en vue de les utiliser pour commettre les massacres, entres autres. Il a fait appel en disant que ses droits relatifs à sa reconnaissance de culpabilité n’avaient pas été respectés. La chambre d’appel confirmera pourtant le jugement en raison du fait qu’il avait l’habitude de prendre des décisions importantes et qu’en l’espèce il lui a été demandé à plusieurs reprises la confirmation de sa culpabilité. Comme raison de son appel, est évoquée sa déception d’être condamné à la peine la plus lourde alors qu’il avait plaidé coupable. Un des avocats des parties civiles relèvera que Mr MUNYEMANA a déclaré en 2001, lors d’une audition, que KAMBANDA a plaidé coupable pour génocide devant le TPIR pour assumer la responsabilité politique de son gouvernement et non parce qu’il était personnellement favorable aux tueries. Mme HUSSON confirmera que dans le jugement du TPIR dans l’affaire KAMBANDA, celui-ci reconnait avoir personnellement contribué au génocide.

Audition de madame Anne-Marie KAMANZI, citée par l’accusation, partie civile IBUKA.

« Je suis devant cette cour pour représenter ma famille décimée en 1994, ainsi que tous mes frères. J’habitais à Rango B, chez mes parents et je n’étais pas encore mariée. J’avais un enfant de 16 mois. Je suis Hutu, comme mes parents. Mon père s’appelait Joseph BANDORAYINGWE, J’avais cinq frères, une petite soeur et mon fils Cassien. » C’est ainsi que madame KAMANZI commence son récit.

Monsieur le président décide assez vite de lire la déposition que la témoin a faite devant la juge française. Il s’agit d’une longue déposition dont je vais essayer de transcrire ce que monsieur SOMMERER a lu:

« Mon père a été tué le premier le 23 avril 1994 (NDR. La témoin sera amenée à rectifier la date. Il s’agit en fait du 22.) À part deux de mes frères et ma mère, nous nous cachons chez un voisin, RUJYARUGAMBA Alexandre. Vers 10 heures du matin, des assaillants sont venus. Ils nous ont découverts dans la maison et ils nous ont fait sortir à l’extérieur. Ils ont demandé à mon père où se trouvaient les autres membres de notre famille. Il a répondu qu’il ne savait pas. Alors ils lui ont dit:  « On va t’emmener chez les Pères Salésiens où tu retrouveras les autres membres de ta famille ». Mon père est parti seul avec les assaillants mais aussi avec une autre fille originaire de Gikongoro qui se cachait avec nous. Mais quelques mètres plus loin, les assaillants ont tué mon père car on a entendu ses cris. Puis les assaillants sont revenus nous voir en nous demandant de partir à notre domicile, notre maison n’ayant pas été détruite. C’est ce que nous avons fait. Mais arrivés chez nous, on nous a demandé de rebrousser chemin. De retour, on s’est retrouvés en présence d’autres réfugiés et à un moment on est passé à côté du corps de mon père qui gisait sur le sol. Il présentait des blessures à la tête et il avait certainement été tué à coups de machette. J’ai appris par la suite que c’étaient les assaillants Juvénal, MUNYENTWARI Bonaventure, BAVAKURE Thomas, MAJYAMBERE, NGIRIMPATSE Vénuste et Athanase qui avaient tué mon père. Deux sont en exil et quatre en prison.

Le même jour, soit le 22 avril, mon frère NZABANDORA, ma sœur Amina ont été également tués suite à une nouvelle attaque. Mon fils CASSIEN sera tué le 24. On avait été emmenés par un groupe d’assaillants à un endroit qui s’appelle « Sortie », entre Tumba et Rango. C’est un lieu de massacres connu. Il était 14 heures. Nous étions entre 15 et 20 personnes réunies. Les tueurs étaient au nombre de 6. On nous a contraints à nous coucher par terre. Et là, à tour de rôle, nous avons été frappés de coups de machette et de gourdin.  C’est comme cela que sont morts un de mes frères et ma sœur. J’ai moi-même reçu des coups de machette à la tête et dans le dos de la part de Isaïe MUNYENTWARI et de GIHARIRA. J’ai perdu conscience et ne me suis réveillée que le lendemain matin. Les assaillants étaient revenus avec d’autres futures victimes. À cette occasion, ils ont achevé mon bébé mourant qui était dans mon dos. Moi, je faisais semblant d’être morte.. Après avoir tué les gens, les assaillants ont commencé par enterrer les corps en les jetant dans une tranchée anti-érosion. Quand ils ont soulevé mon corps, ils ont remarqué que je n’étais pas morte. L’un des tueurs, François LIBANJE, a eu pitié et a dit qu’il fallait me laisser. Ils m’ont dit d’aller au bureau de secteur de Tumba où j’ai été emmenée par celui qui avait eu pitié de moi. J’y ai retrouvé deux autres de mes frères qui étaient blessés et qui avaient survécu. Il semblait qu’à cet endroit il y avait plus de sécurité.. D’ailleurs, de nombreux réfugiés s’étaient regroupés à cet endroit. On y a passé deux jours sans recevoir de soins. Puis, avec mes deux frères, on est partis  se cacher chez un ami de la famille, HOTO, à Tumba. On est restés chez lui cinq jours avant de retourner chez nous.. Mais quelques jours plus tard, les assaillants sont revenus et ont pris mon frère DJUMAPILI Ibrahim pour le tuer quelque part. Plus tard, d’autres attaquants sont revenus chez moi et l’un deux, KAMANZI, m’a caché chez lui. (NDR. La témoin révèlera plus tard qu’en réalité elle sera violée jusqu’à la fin du génocide par ce KAMANZI qui l’avait hébergée.) Plus tard, alors que j’étais cachée chez KAMANZI, j’apprendrai que mes trois autres frères avaient été tués. »

Interrogée par la juge, la témoin répètera plusieurs fois qu’elle ne connaissait pas MUNYEMANA, qu’elle ne l’avait jamais vu. En réalité, et c’est ce qu’elle expliquera au président, si elle a dit cela, c’est qu’elle avait peur de parler du médecin. En effet, elle avait été menacée par une personne de la famille de MUNYEMANA, celle qui gérait ses biens à Tumba. Depuis, elle n’avait jamais osé dire la vérité. Ce n’est que devant la cour qu’elle a eu le courage de dénoncer ses pressions. Il en est de même pour ces fameuses seringues qui avaient été plantées dans le sexe des jeunes gens qui se débattaient pour ne pas mourir. Cet épisode n’a pas été retenu par les juges d’instruction.

Après ce long récit lu par le président, on va passer à la seconde audition devant le parquet général de Butare. Il s’agit en fait du témoignage que madame KAMANZI a donné concernant un certain MUREKEZI Vincent. Elle évoque le souvenir d’une jeune fille qui portait au dos un enfant de KARANGANWA. Un Burundais, MELCHIOR, a donné un ordre à cette jeune fille: « Mets cette merde par terre. (sic) Dans quel but portes-tu ce serpent sur ton dos? «MUREKEZI a appelé le fils de SEKIMONYO qui a pris l’enfant par les jambes et la tête en bas. Il l’a fait tourner. MUREKEZI l’a encouragé: « Tourne le plus fort afin que l’on puisse voir s’il vomit le lait dont il a été gavé, cet enfant tutsi. »

La témoin rapporte d’autres faits tous plus terribles les uns que les autres.

Monsieur le président revient sur le fait que madame KAMANZI avait dit ne pas connaître MUNYEMANA parce qu’elle avait peur. Maître LINDON intervient et s’adresse à sa cliente: « Nous avons parlé ce matin. Vous nous aviez dit que vous n’aviez jamais vu Sosthène MUNYEMANA. Vous confirmez  que vous aviez envie de dire tout ce que vous avez dit enfin aujourd’hui? Je vous ai avertie que si vous disiez cela, ça risquait de faire perdre votre crédibilité. A Tumba, il y a toujours des membres des familles des tueurs? » Madame KAMANZI confirme les propos de son avocate.

La défense est prise de court. Maître DUPEUX tentera bien de revenir sur le sujet pour déstabiliser le témoin. C’est maître Mathilde AUBLE qui intervient à son tour: « Ce que dit madame KAMANZI, monsieur SENKWARE, la personne que monsieur MUNYEMANA a sauvée plusieurs fois, aurait dès 2004 demandé au témoin de dire ce qu’elle savait sur l’accusé. Cette personne n’avait aucune raison de vous menacer: on vous interroge en 2010 et la maison a été vendue en 2009. »

« J’ai eu peur, continue la témoin. J’ai préféré me taire. Mais aujourd’hui, je ne vois plus cette femme. »

Maître BOURG tentera à son tour un dernier assaut: « J’essaie de comprendre. Ce matin, madame s’apprête à dire qu’elle ne connaît pas Sosthène MUNYEMANA… » Maître LINDON l’interrompt aussitôt: « Ce matin, elle m’a dit: Je l’ai vu.»

Maître BOURG bat en retraite: « Je retire ma question. »

Audition de monsieur Laurien NTEZIMANA, témoin cité par la défense, en visioconférence de Kigali.

Monsieur Laurien NTEZIMANA se présente comme un théologien qui, avec deux amis, avant le génocide, avait mis en place « La voix de la paix », séries de conférences en présence des autorités du pays: conseillers de secteurs, bourgmestres, préfets, sous-préfets… Ils apprenaient aux gens à gérer leurs émotions, à transformer les émotions négatives en forces vives: la paix vient de l’intérieur. Il était même allé jusqu’à Mulindi, le quartier général du FPR, pour faire passer la bonne nouvelle mais l’assassinat du président NDADAYE au Burundi avait fait annuler la rencontre.

Il va ensuite expliquer longuement comment il a vécu la période du génocide à Ngoma. Ayant recueilli de nombreux enfants, il passait le plus clair de son temps à chercher à se procurer de la nourriture. Le directeur de la Caritas ayant fui au Burundi, c’est lui-même qui avait pris la direction de cet établissement catholique.

Il explique ensuite comment il est venu en aide au curé de Ngoma, l’abbé Jérôme MASINZO, comment il s’est rendu à Nyarushishi, entre Kibuye et Cyangugu, pour secourir les Tutsi qui étaient enfermés dans ce camp. Il en profitera pour aller rendre visite à sa femme qui avait fui au Zaïre, mais ayant laissé de nombreux réfugiés Tutsi à Butare, il prendra la décision de revenir pour les secourir. Il avait alerté les soldats de l’Opération Turquoise qui sont bien venus pour sauver les Tutsi encore cachés en plusieurs lieux. Mais ils avaient sous-estimé le nombre de personnes à secourir et un certain nombre mourra.

Il expliquera longuement comment fonctionnait le comité de sécurité à Ngoma. Il s’était fait élire pour pouvoir contrecarrer les décisions de trois grands tueurs. Il les accompagnait pour pouvoir repérer les maisons où se cachaient des Tutsi pour pouvoir les avertir ensuite. Il arrivait parfois à infléchir la décision des tueurs pour éviter que des réfugiés ne soient exécutés. Il a sauvé ainsi un nombre important de Tutsi, ce qui lui a valu d’être reconnu comme « Juste ». Sa devise: « Pour protéger ta peau, protège celle des autres. » Grâce à son courage et à son intelligence, il aura été apprécié à sa juste valeur même si, de 1995 à 1999, il va être poursuivi pour avoir voulu publier un document au titre évocateur: « De Charybde en Scylla » . Son innocence sera finalement reconnue. Il faut dire qu’à cette époque il était dangereux de travailler avec ces gens-là comme il a osé le faire. Lorsque le FPR arrivera à Ngoma le 4 juillet, il en accueillera les soldats sans crainte, confiant dans le rôle qu’il avait tenu dans sa commune.

Joseph KANYABASHI? C’était son cousin. On l’appelait KANYABATUTSI, d’une part parce que sa femme était Tutsi et d’autre part car il avait beaucoup d’amis Tutsi.  Il avait bon cœur, mais il n’a pas osé s’opposer de manière frontale. « Si on n’est pas contre, c’est qu’on est pour » ajoute-t-il. En privé, il se confiait à lui sur ses contradictions. C’est KANYABASHI qui lui avait remis les 50 000 francs dont il avait besoin pour soudoyer les tueurs. Mais officiellement, il soutenait le gouvernement génocidaire.

De nombreuses questions seront posées au témoin qui mettront toutes en valeur le comportement irréprochable d’un homme considéré comme un héros et qui lui permettront de préciser la façon dont fonctionnait le comité de sécurité auquel il avait participé. (NDR. À entendre ce témoignage, on a le sentiment, à côté, que Sosthène MUNYEMANA serait un anti-héros.)

Maître DUPEUX, qui ne s’attendait peut-être pas à un tel témoignage (NDR. Sur question d’un avocat des parties civiles, le témoin  qui est entendu du Rwanda où il se trouve actuellement, déclare qu’il se sent totalement libre. Il ne serait pas là s’il avait eu le sentiment contraire.) Il va tenter de tirer les marrons du feu en posant une dernière question au témoin. En pensant à Sosthène MUNYEMANA, il demande si les Hutu « modérés » étaient en danger. (NDR. Il sait que cette expression n’est plus de mise et qu’on parle de « Hutu d’opposition »!) Il s’attire une réponse limpide de monsieur NTEZIMANA: « Les Hutu qui étaient contre le génocide étaient en danger. »

Réactions de monsieur MUNYEMANA aux témoignages de madame Anne-Marie KAMANZI et de monsieur Laurien NTEZIMANA.

Avant, madame KAMANZI ne me connaissait pas. Je la considérais comme un témoin modéré. Elle a prétendu avoir peur: son histoire est « complètement inventée » (NDR. On ne s’attendait pas à une autre réaction!)  « Ma belle-sœur n’était plus là. Quand elle venait, elle logeait chez Maria Nyiraromba. »

Sur le témoignage de Laurien NTEZIMANA. « J’ai beaucoup aimé ce qu’il a dit sur les comités de sécurité. À Ngoma, ils en ont élu les membres, pas à Tumba. Chez nous, on a demandé à des personnes intègres de faire partie de ce comité. On a donné mon nom. Je n’étais pas membre du comité. Je devais donner mon avis mais je n’ai jamais été sollicité. Au comité de secteur, il y avait les responsables des cellules, mais je ne les connaissais pas tous. Il y avait aussi les responsables des partis politiques. Remera représentait la CDR. Je ne me suis jamais senti membre de ce comité. » Dont acte. (A suivre…) 

Alain GAUTHIER, président du CPCR ; Margaux MALAPEL, bénévole ; et Jacques BIGOT, responsable des notes et de la présentation