. Audition du général Jean-Philippe REILAND, chef de l’OCLCH.
. Émilie CAPEILLE, directrice d’enquête.
. Projection vidéo de la déposition de Jacques Semelin lors du procès en première instance de Laurent Bucyibaruta.
. Projection du documentaire « Confronting Evil », de Human Rights Watch.
Audition du général Jean-Philippe REILAND, chef de l’OCLCH, cité à la demande du ministère public.
Déclaration spontanée :
Le général Reiland travaille à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine. C’est un service de police judiciaire spécialisé rattaché à la direction générale de la gendarmerie nationale ou de la police nationale. La mission principale est l’enquête qui est conduite seule ou en liaison avec des unités de la police nationale. Il y a aussi des missions d’appui et de soutien, de coordination de l’action des différents services. Ce service a été créé en 2013 pour répondre à la signature du Statut de Rome qui institue la Cour pénale internationale. Les magistrats font des demandes qui sont examinées par les autorités de ces pays relatives à des actes précis comme par exemple la demande de procéder à des investigations sur place en interrogeant des témoins. Les équipes de l’OCLCH se rendent en général 2 à 3 fois par an au Rwanda.
Questions :
Monsieur le président a demandé au général REILAND les différentes sources employées. Celui-ci répond que parmi les matériaux à disposition, il y a des auditions, les transcriptions d’audiences du TPIR, des comptes-rendus d’audiences des Gacaca, des identifications de témoins, des rapports d’ONG, des rapports d’organisations internationales. Les avocates du Ministère public demandent au général d’expliquer le fonctionnement des attachés d’ambassade et des précurseurs. Les précurseurs sont des gendarmes envoyés sur place pour préparer les auditions de témoins. Les attachés d’ambassade de France à Kigali permettent de limiter l’envoi de précurseurs. Le général Reiland a l’occasion de préciser les conditions dans lesquelles se déroulent les auditions, qui respectent plusieurs exigences de précautions pour assurer la véracité des témoignages. Les personnes du service sont formées, et avant de procéder aux auditions, utilisent des documents de contexte, une variété de documents de littérature sur la situation passée du Rwanda. Ils opèrent également des croisements d’informations pour vérifier la fiabilité des déclarations.
Audition de madame Émilie CAPEILLE, directrice d’enquête (en charge des premières investigations réalisées par l’OCLCH). Citée à la demande du ministère public.
Déposition spontanée.
« En 2015, j’étais directrice d’enquête à l’OCLCH et, à ce titre, j’ai participé à la commission rogatoire concernant Philippe MANIER. Cette commission rogatoire faisait suite à la plainte déposée par le CPCR, plainte qui accusait Philippe MANIER de participation au génocide. »
Le témoin va alors énumérer la plupart des chefs d’accusation contenus dans l’OMA des juges d’Instruction (Ordonnance de mise en accusation) en précisant les principaux lieux où ont été commis les massacres : la colline de NYABUBARE, celle de NYAMURE et l’ISAR SONGA (NDR. Concernant ce dernier endroit, une ordonnance de non-lieu avait été prononcée par les juges mais suite à l’appel du CPCR, les juges ont procédé à une requalification).
Le témoin précise que l’accusé est alors localisé dans la région de Rennes (NDR. Le CPCR avait indiqué l’adresse de monsieur MANIER dans sa plainte). Monsieur MANIER s’était déclaré sous une fausse identité.
De septembre 2015 à février 2019, plusieurs commissions rogatoires ont été organisées au Rwanda au cours desquelles de nombreuses auditions de témoins ont été organisées, dont ceux cités par le CPCR.
Les premiers témoignages se sont focalisés sur la journée du 23 avril 1994. Philippe MANIER, à bord de son véhicule, est parti chercher le bourgmestre de NTYAZO, Tharcisse NYAGASAZA, qui tentait de passer au BURUNDI en traversant la rivière AKANYARU. Le témoin principal, dans cette affaire, était le conseiller de secteur Israël DUSINGIZIMANA, actuellement détenu au Rwanda.
La situation était restée relativement calme à NYANZA jusqu’au 22 avril. Et le témoin d’évoquer le transport d’un mortier vers la colline de NYABUBARE.
Le témoin nomme un autre témoin important : Mathieu NDAHIMANA, responsable du Centre de santé de NYAMURE. À propos de l’attaque de cette colline, madame CAPEILLE mentionne le nom de Valens BAYINGANA, un rescapé qui sera entendu le jeudi 8 juin. Suite à cette attaque, on a dénombré environ 10 000 victimes.
Concernant l’ISAR SONGA, les juges n’avaient pas suffisamment d’éléments pour accuser Philippe MANIER.
Madame CAPEILLE évoque ensuite les écoutes téléphoniques mises en place. Monsieur MANIER avait supprimé sa ligne mais les écoutes de son fils GILBERT ont permis d’apprendre que son père était parti au Cameroun (billet aller-retour mais dont il n’utilisera que l’aller), que sa mère avait envoyé la somme de 5 000 euros à sa sœur installée à YAOUNDE. (NDR. Conversations de Philibert avec sa petite amie).
Lorsque madame MANIER, qui avait rejoint son mari, revient en France, les juges organisent des perquisitions dans leur appartement. Selon elle, son mari aurait quitté NYANZA le 18 avril pour Kigali.
Pour le témoin, cela ne fait aucun doute : les MANIER voulaient fuir au CAMEROUN.
Monsieur le Président prend la main, rappelle que Philippe MANIER avait repoussé un rendez-vous à Pôle emploi car ils devaient déménager, mais un déménagement prévu pour l’année suivante. Nous n’avons dans le dossier aucune déclaration de leur fille Anita installée au CAMEROUN. Leur fils GILBERT, le plus jeune, a refusé d’être entendu.
Le président LAVERGNE se lance alors dans une lecture très complète des écoutes : la fuite du Rwanda, les circonstances de son arrivée en France (dans l’avion, leur mère leur demande de déchirer leurs papiers d’identité dans les toilettes, leur présence en CENTRAFRIQUE dont il est le seul à parler et où son père « vendait de l’or ». Il évoque des « magouilles » pour pouvoir prendre l’avion (NDR. Ce qui confirme l’intervention de « passeurs » dont a parlé son père). Au Cameroun, c’est leur mère qui aurait l’idée de venir en France.
Lors des questions du ministère public, on apprend le mode opératoire des gendarmes qui attaquent la population avant de laisser la population achever le travail.
Puis on évoque l’établissement des « planches photographiques qui sont présentées aux témoins pour voir s’ils reconnaissent l’accusé. Si un certain nombre d’entre eux ne le reconnaissent pas, c’est tout simplement parce qu’ils ne l’ont jamais vu. Mais tous ont entendu parler de « BIGUMA ».
La première question de la défense (maître LOTHE) porte évidemment sur « les massacres du FPR», sur les menaces que l’on fait peser sur les prisonniers au Rwanda, sur la question de savoir si des autorités rwandaises participent aux auditions. Le témoin répond par la négative à cette dernière question. Maître GUEDJ poursuit l’interrogatoire et évoque aussi les conditions de détention au Rwanda, conteste le témoignage du gendarme Angélique TESIRE (qui sera entendue le mercredi 17 mai) et n’oublie pas d’évoquer les tortures pratiquées dans les prisons rwandaises. (NDR. Une leçon bien apprise que l’on connaît depuis longtemps).
Invité par monsieur le président à réagir, monsieur MANIER se contente de déclarer : « TOUT CE QUI A ÉTÉ DIT SUR MOI EST FAUX. » Pour justifier le fait qu’il n’éprouvait pas de haine envers les Tutsi, il raconte qu’en 1963, son père a aidé des Tutsi à partir vers le BUGESERA. Son associé, dans son entreprise de taxi, était d’ailleurs un enfant de ces derniers, son ami. Mais il n’a gardé aucun contact avec lui. Ce qui étonne le président.
L’accusé évoquera ensuite les conditions de leur fuite au ZAÏRE, celles de leur vie au camp de KASHUSHA où règne la peur. Certains militaires avaient gardé leurs armes mais pas lui (même s’il a dit, à un moment de son interrogatoire, qu’il avait traversé la frontière avec un pistolet). En novembre 1996, c’est l’attaque du FPR qui les obligera à fuir dans la forêt jusqu’à arriver au CONGO BRAZZAVILLE. C’est là qu’ils vont se rapprocher de missionnaires qui vont leur conseiller de quitter ce pays. Au CAMEROUN, ce sont les Sœurs de Saint-Joseph qui vont leur venir en aide et les aider à rencontrer les passeurs.
Lorsque monsieur MANIER rejoint sa femme en France, fin 1998 ou début 1999, il est arrêté par la police aux frontières et passera trois ou quatre jours en détention. Il finit par obtenir un sauf-conduit. Devant l’OFPRA, il va dire qu’il était menacé, Hutu et ancien militaire. Si on lui avait refusé le statut de réfugié, il aurait insisté. Retourner au Rwanda, c’était risquer la mort. En tant que Hutu modéré, il a sauvé des Tutsi et d’en donner la liste. Il n’oublie pas de préciser que, comme Hutu modéré, un gendarme, MUSAFIRI, a voulu le tuer. Lors de sa fuite, il devra passer par RUSHASHI pour remettre au colonel RUTAYISIRE la solde des militaires qu’il était allé chercher à KACYIRU.
On en restera là concernant l’interrogatoire de personnalité, même si des faits ont été abordés. Monsieur MANIER conteste toutes les accusations portées contre lui. Attendons l’audition des nombreux témoins qui viendront défiler à la barre.
Projection de l’enregistrement vidéo de la déposition spontanée effectuée par monsieur Jacques SEMELIN en qualité de témoin de contexte lors du procès en première instance de Laurent Bucyibaruta.
Projection d’un court documentaire « Confronting Evil », de Human Rights Watch. (Fin).
Ce compte rendu a été réalisé au nom du CPCR (Collectif des parties civiles pour le Rwanda) par Margaux Gicquel, Alain Gauthier, Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page.