Procès pour génocide de Bucyibaruta à Paris.17 mai. J7

L’église de Kibeho 

Audition de monsieur Dismas NSENGIYAREMYE, ancien premier ministre de avril 1992 à juillet 1993.

Audition de monsieur Callixte GATETE, rescapé, factotum à l’usine de thé de Mata.

Audition de monsieur Valens BUTERA, rescapé, partie civile. En visioconférence depuis le Rwanda.

Audition de monsieur Protais UWIMANA, rescapé.

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En ce mardi 17 mai, nous commençons à entendre les témoins du génocide perpétré contre les Tutsi à Kibeho, à l’église et aux alentours entre le 11 et le 15 avril 1994.

Audition de monsieur Théoneste BICAMUMPAKA. En visioconférence depuis le Rwanda. Le témoin a été condamné pour génocide par les Gacaca.

« Ce que j’ai à dire à la Cour, c’est que j’ai été condamné pour les faits que j’ai commis en 1994. Ce sont les mêmes faits pour lesquels Laurent BUCYIBARUTA est jugé. En 1994, j’étais agriculteur et je travaillais à l’usine de thé de Mata comme cueilleur. Le directeur de l’usine s’appelait NDABARINZE.

Je connaissais aussi l’agronome, Innocent BAKUNDUKIZE. C’est lui qui sera nommé bourgmestre de Mubuga après la mort de NYIRIDANDI, tué par les gendarmes. Laurent BUCYIBARUTA a présidé la cérémonie d’investiture. »

Sur question de monsieur le président, le témoin rapporte que, avant le génocide, des groupes de jeunes étaient entraînés au maniement des armes dans un camp militaire nouvellement installé tout près de l’usine. Il ajoute, sans que cela ait un lien avec la question: « Ce que je sais, c’est que, lors de la réunion organisée par le préfet Laurent BUCYIBARUTA, ce dernier aurait dit que des étrangers allaient venir les interroger. Il fallait leur dire que ceux dont les maisons avaient été incendiées avaient fui. Et d’ajouter qu’en 1994, ce sont « les Tutsi qui ont été tués. » Il était lui-même Hutu.

Le témoin signale des attaques de gendarmes venus de Gikongoro aidés par les policiers communaux de Mubuga. De son côté, la population hutu traquait les Tutsi et les tuait. Ces derniers avaient rejoint l’église de Kibeho après l’incendie de leurs maisons.

Le témoin n’a pas vu le sous-préfet Damien BINIGA, mais il a vu le bourgmestre de Rwamiko, Silas MUGERANGABO. Quant à Charles NYIRIDANDI, il sera tué par les gendarmes à la mi-mai pour n’avoir pas participé aux massacres selon Théoneste BICAMUMPAKA.

Le président lit les déclarations que le témoin a faites devant les enquêteurs du TPIR [1]. Ce dernier confirme la plupart de ses propos, sauf la date concernant la mort de NYIRIDANDI qu’il situe avant l’attaque de l’église!

Concernant les attaques, le témoin précise que les armes à feu étaient aux mains des gendarmes et des policiers communaux. La population avait des armes traditionnelles: machettes, gourdins, bâtons… Il y avait de très nombreux attaquants et beaucoup de réfugiés, hommes, femmes, enfants qui seront tous tués.

Pourquoi a-t-on tué des enfants? «A cause des mauvaises autorités, des ordres reçus» dira le témoin. Quant aux viols, il ne les reconnaît pas.

L’église paroissiale de Kibeho a été brûlée, pas l’église des apparitions qui sera construite après doit-il préciser. Quant au nombre de victimes, difficile de les évaluer: 40 000? « Nos voisins tutsi sont morts là. » « Bien sûr que les gens ne méritaient pas de mourir: « les dirigeants devraient répondre de ces crimes. »

Toiture incendiée de l’église de Kibeho.

Le témoin déclare que Laurent BUCYIBARUTA aurait envoyé un bulldozer pour ensevelir les morts. Le préfet, lors des questions, aura l’occasion de dire que ce n’est pas vrai.

Des pillages sur les cadavres? Le témoin n’en a pas été témoin. « Les tueurs se sont rétribués eux-mêmes en volant les vaches et autres biens. »

Sur question d’un assesseur, le témoin précise qu’on n’a pas utilisé d’engin de chantier pour détruire l’église. (NDR. Des trous avaient été creusés dans les murs à l’aide de grenades, ce qui permettait de tuer à l’intérieur ou de mette le feu. Des photos seront projetées à l’occasion de l’audition du dernier témoin.)

«Les responsables devraient répondre de leurs actes, avez-vous», questionne maître GISAGARA.  «Vous pouvez expliquer? » Réponse lapidaire du témoin; « La population a été manipulée. »

Maître LEVY, de la défense voudrait savoir comment le témoin a pu entendre les propos échangés entre l’abbé NGOGA et BINIGA. « Où étiez-vous pour les entendre? » « J’étais sur place, j’ai tout entendu moi-même » répond le témoin. Et de confirmer que BINIGA était bien le meneur de cette attaque.

Le témoin termine son audition en précisant qu’il a lui-même été arrêté à son retour d’exil trois ans après la fin du génocide.

Au bas des murs de l’église, traces des trous laissés par les explosions de grenades des assaillants.

Audition de monsieur Callixte GATETE, rescapé, fac- totum à l’usine de thé de Mata.

Le témoin est employé à l’usine de thé de Mata. Il nomme les mêmes personnes que le témoin précédent concernant les « grands noms » de l’usine. C’est bien le directeur de l’usine qui était à l’initiative de l’entraînement des jeunes du MRND [2]. Un militaire encadrait ces Interahamwe [3].

Aloys SIMBA [4]? Il en a simplement entendu parler. Quant aux autorités locales, elles encourageaient les gens à tuer. En particulier le bourgmestre de Rwamiko, Silas MUGERANGABO. Le témoin a vu ce dernier venir animer une réunion à la cantine de l’usine. Le bourgmestre de Mubuga [5], il le connaissait aussi de nom. BINIGA [6] participait lui aussi aux réunions mais il ne l’a pas vu dans les attaques.

En 1994, le témoin était célibataire et quand les massacres ont commencé, il a fui à Kibeho avec sa famille, tout le monde disant qu’on ne pouvait pas tuer dans l’église (NDR. Allusion aux massacres des années 60) Avant les attaques de l’église, ils se sont défendus à Rwamiko. A l’église, il évalue à 20 000 le nombre des réfugiés, hommes, femmes, enfants, vieillards. Il y avait des gens partout, dans l’église et en dehors, au presbytère et dans les classes. Le prêtre de la paroisse encourageait les gens à fuir vers Butare. On apprendra, lors d’une autre audition, que l’abbé NGOGA serait tué dans sa fuite.

Les attaques de l’église ont duré trois jours. Le directeur de l’usine est venu avec des Interahamwe [7], mais il n’est pas resté. C’est à la troisième attaque que les gendarmes sont arrivés. Les réfugiés, quant à eux, se sont défendus à l’aide de pierres.

Le témoin a perdu plusieurs membres de sa famille dont sa sœur et ses cinq enfants. Quant aux viols, lui non plus n’en parle pas. Il précise simplement: «  Il y avait une telle violence que les tueurs n’avaient pas le temps de violer» !

Les attaquants ont mis le feu à l’église en utilisant de l’essence qui servait à enflammer des branches aux portes de l’église. Parce qu’ils n’ont pas pu allumer des feux à toutes les portes, des réfugiés ont pu s’enfuir. C’est le cas du témoin qui a fui vers Karama avec ses parents, dans la préfecture de Butare. Des massacres seront perpétrés là aussi.

S’il a signalé la présence de militaire dans une de ses dépositions, c’est tout simplement qu’il en a vu sur la route lors de sa fuite vers le Burundi. Il ne peut certifier qu’ils se rendaient à Karama. Ils étaient conduits par Callixte NDAYISABA.  Le témoin restera au Burundi jusqu’en juillet.

A la fin de sa déposition, le témoin souhaite ajouter:  «Je connaissais Laurent BUCYIBARUTA comme préfet de Gikongoro. Il a trahi les Rwandais. Il n’a pas été un soutien pour les personnes qui étaient sous son autorité. Je souhaite que Laurent BUCYIBARUTA rentre au Rwanda pour demander pardon aux Rwandais. Avec ce qu’on a vécu, on garde des traumatismes mais j’ai choisi de me reconstruire. Les tueurs, je les vois de temps en temps. Ils ont demandé pardon lors des Gacaca [8]. Ce qui me fait de la peine, ce sont ceux qui nient le génocide et qui n’ont jamais demandé pardon. »

Audition de monsieur Valens BUTERA, rescapé, partie civile. En visioconférence depuis le Rwanda.

Maître FOREMAN précise à monsieur le président que le témoin est aussi partie civile.

Le témoin commence par évoquer les attaques subies à Kibeho. Le 12 avril, au cours de laquelle certains réfugiés sont morts. Puis lorsque les tueurs sont revenus les 13 et 14 avril. « C’est ces jours-là que ma famille a été décimée. J’étais marié, j’avais sept enfants. Tous ont été tués. »

Valens BUTERA travaillait comme contremaître à l’usine de thé de Mata. C’est bien le directeur, Juvénal NDABARINZE qui organisait des entraînements en vue de tuer les employés de l’usine. Ce dernier était un extrémiste, tendance Pawa [9]. Il en était de même pour Innocent BAKUNDUKIZE, qui sera nommé bourgmestre de Mubuga un peu plus tard. Les entraînements se faisaient à Nyamyumba, dans un camp militaire. Il s’agissait d’un camp nouvellement installé dont les militaires avaient été envoyés soi-disant pour assurer la sécurité. Des entraînements se déroulaient aussi à Mata.

Les gens qui suivaient les entraînements étaient exclusivement des Hutu du MRND [10], de la CDR [11] ou du MDR [12]. Tous ont adhéré à la tendance Pawa. C’était des Interahamwe [13].

Les militaires venaient de Butare et de Gikongoro. Les gendarmes ne sont arrivés qu’au moment du génocide. Quant aux armes livrées aux tueurs, le directeur de l’usine en a livré. Ce dernier faisait partie de l’Akazu [14], ou en était en tout cas un proche. Il venait du Nord et avait été nommé là pour agir le génocide venu.

Quant à BAKUNDUKIZE Innocent, il le connaissait bien, c’était son voisin. Directeur adjoint de l’usine avant le génocide, il participait aux réunions et est un des responsables des attaques à l’église de Kibeho.

Avant le génocide, des attaques ont été perpétrées à Cyafurwe. Les Tutsi ont été battus et ils ont dû fuir quand on a brûlé leurs maisons. Ces événements se sont déroulés dès le mois de mars 1994. C’est le bourgmestre de Rwamiko, qui les a organisées.

En 2001, lors d’une audition, le témoin avait mentionné des entraînements organisés en août 1993. Une réunion avait été organisée sur le terrain de volley-ball de l’usine. Le président lit la déposition du témoin devant le TPIR en mai 2001:

«J’ai participé à la dite réunion au cours de laquelle NDABARINZE et Sila MUGERAMGABO ont pris la parole. NDABARINZE a tout d’abord fustigé les Tutsi qu’il a rendus responsables de ce qui s’était passé dans la cellule de Cyafurwe. Il a dit que les Tutsi ont planifié de tuer les Hutu, mais que les Hutu avaient le droit de se défendre. Nous avons essayé d’expliquer à NDABARINZE que nous étions victimes de l’attaque lancée par les Hutu et que nous avions besoin de protection. NDABARINZE a tout simplement rejeté nos doléances et a dit que la prochaine fois nous devrions assurer notre propre sécurité

Le témoin confirme ces propos.

Monsieur le président continuera à lire de nombreux autres extraits de la déposition du témoin qui ne fera que confirmer tous ces propos. Ces extraits concernent le récit des attaques du 7 avril, du 11 avril, des 12 et 14 avril.

Il serait trop long de citer ces extraits in-extenso.  Ils soulignent la grande responsabilités des autorités de l’usine dans l’organisation des massacres à Kibeho.

L’usine sera fermée pendant deux jours mais les ouvriers hutu reviendront progressivement. Les Tutsi qui ont tenté le même retour ont été tués. Le témoin ira consulter son voisin BAKUNDUKIZE qui lui conseillera de ne pas retourner au travail.

Lorsque le témoin arrive à la paroisse, les classes sont pleines de réfugiés, ainsi que l’église, le presbytère et les alentours. Ils n’ont rien à manger, rien à boire: «Si on allait puiser, on nous chassait. Un prêtre nous a accueillis mais il n’avait pas assez de nourriture. »

Concernant l’attaque du 14 avril, des renforts sont amenés de plusieurs communes. Tous les grands responsables dont on a déjà parlé sont là.

Le témoin n’a pas vu Laurent BUCYIBARUTA sur place. Il l’avait vu lors de visites qu’il rendait au directeur de l’usine. « Je l’ai vu au moins trois fois à l’approche du génocide. » Ce que le préfet contestera lorsqu’on lui demandera de commenter les témoignages qu’il a entendus dans la journée.

Lors d’une réunion à la commune de Mubuga, en février 1994, le témoin aurait entendu Laurent BUCYIBARUTA déclarer aux Tutsi qui étaient là que cela ne les concernait pas et qu’ils devaient rentrer chez eux. Le préfet, une fois encore, niera avoir tenu de tels propos.

Le témoin a perdu plus de trente-cinq personnes le 14 avril à Kibeho, de la famille de son père: cousins, oncle paternel…

Monsieur le président demande au témoin comment s’est passé sa vie à son retour du Burundi. «La vie était difficile mais plus tard j’ai retrouvé mon travail à l’usine et petit à petit j’ai refait ma vie, je me suis remarié. » Il a réintégré sa parcelle et vit tout près de ses bourreaux: « Ils sont là. Nous avons pu nous réconcilier. On vit ensemble. »

Ce qu’il pense du procès? « Les gens qui ont joué un rôle doivent être poursuivis et jugés. »

Maître PHILIPPART, avocate du CPCR, évoque les attaques de 1993 et demande au témoin si le préfet pouvait ignorer ces attaques.  » Pas possible d’ignorer ces attaques. Les autorités faisaient des rapports au préfet » répond le témoin.

Quant à savoir s’il y a eu des enquêtes après ces attaques, le témoin répond par la négative.  « Même les maisons brûlées, ils ne nous ont pas aidé à les reconstruire. »

Une avocate générale lit un extrait de l’audition de 2015 par les enquêteurs français à propos de BINIGA. Le témoin confirme qu’il a vu le sous-préfet le 12 avril au début de l’attaque mais qu’il est resté dans la voiture des gendarmes. Quand il est reparti, les gendarmes ont tiré sur la foule.. Par contre pas de sous-préfet le 14 mais beaucoup de gendarmes.

Maître LEVY, pour la défense, revient sur la réunion de Mubuga au cours de laquelle son client aurait renvoyé les Tutsi chez eux. L’avocat fait remarquer au témoin que ces propos sont contraires à ses déclarations de 2015:  « Je le connaissais depuis qu’il était préfet. Il présidait les réunions. Il n’y avait rien de mauvais, rien à voir avec les sujets ethniques, je n’avais aucun reproche à faire à Laurent BUCYIBARUTA. » Pourquoi ces contradictions?

« Je disais cela à propos de ce qui se passait avant le génocide, quand il y avait la paix. Je parlais d’événements à l’approche du génocide. Après, Laurent BUCYIBARUTA a changé » précise le témoin.

Dernière question au témoin. « A votre retour à Mubuga, la ville avait été reprise par le FPR? » Le témoin confirme.

Monsieur le président reprend la parole pour demander au témoin s’il a assisté à des pillages sur les corps des victimes.  «J’en ai vu beaucoup, partout».

« Et des femmes violées? » demande monsieur LAVERGNE. « Je n’en ai pas vu de mes yeux mais ça se dit beaucoup. » (NDR. Même si des rescapés ont assisté à des viols, ils ne le diront pas. Pas directement en tout cas.)

Le Père NGOGA? « J’ai entendu dire qu’il serait mort à Butare. »

Audition de monsieur Protais UWIMANA, rescapé.

Protais UWIMANA : je suis agriculteur, j’habite à NYAMABUYE, cellule de MATA, district de NYARUGURU. Avant le génocide j’ai vu Laurent BUCYIBARUTA deux fois car j’étais un membre de l’autorité administrative de GIKONGORO.

Président : vous vous êtes constitué partie civile ?

PU : non

Prestation de serment.

Déclaration spontanée :

Avant ce génocide, le 8 avril 1994, nous sommes allés en réunion à la commune de RWAMIKO. Une fois sur place, on nous a dit que cela ne nous concernait pas et donc nous sommes rentrés.

Président : vous l’avez vu à d’autres occasions ?

PU : une autre fois mais je me souviens pas bien de la date. Lorsque nous nous sommes réfugiés à l’église de KIBEHO, il est venu et a demandé que la population pourchassée et qui s’était réfugiée soit déplacée et installée dans un endroit appelé NYARUSHISHI.

Président : vous avez souvenir d’avoir vu Laurent BUCYIBARUTA alors que vous étiez à l’église de KIBEHO ?

PU : oui

Président : vous êtes sûr que c’était lui ?

PU : c’était lui. Lorsque nous avons fait la réunion, je l’ai vu de mes propres yeux avec le bourgmestre Silas MUGERANGABO.

Président : je vous demande de vous retourner

PU : cela fait longtemps. Moi-même j’étais un jeune enfant mais je ne suis pas sûr que ce soit lui.

Président : vous n’êtes pas sûr que c’est la personne que vous avez vu à l’église ou à la réunion avec le bourgmestre à RWAMIKO ?

PU : avec le temps qui s’est écoulé, et le fait qu’à l’époque j’étais un enfant, je ne suis pas sûr que ce serait lui.

Président : j’aimerais que vous nous expliquiez ce que vous faisiez en 1994, quel était votre métier ?

PU : j’étais adjoint au responsable de la cellule.

Président : de quelle cellule ?

PU : cellule de NYAMUBUYE

Président : dans quelle commune ?

PU : commune de RWAMIKO

Président : secteur ?

PU : RWAMIKO aussi

Président : vous faisiez partie d’un parti politique ?

PU : à l’époque, nous faisions tous partie du MRND

Président : à l’époque vous êtes agriculteur, vous travailliez à la plantation de thé de MATA ?

PU : je n’y ai jamais travaillé

Président : comment se comportait le bourgmestre MUGERANGABO ? Apparemment vous le connaissiez.

PU : je le connaissais en sa qualité de bourgmestre.

Président : il avait une attitude neutre, comment était-il par rapport aux Tutsi ?

PU : en ce qui concerne les Tutsi, avant le génocide, je voulais dire qu’il nous considérait tous sur un pied d’égalité mais après la tenue de la réunion, il est devenu clair qu’apparaissait le divisionnisme.

Président : quelle réunion ?

PU : après que BUCYIBARUTA est venu, il n’y a pas eu d’autre réunion.

Président : c’est la réunion à laquelle vous n’avez pas pu assister ?

PU : nous autres ne sommes pas allés à la réunion, nous avons fui immédiatement.

Président : fui la réunion ?

PU : la chasse à l’homme avait commencé, ainsi que les incidents.

Président : dans votre souvenir, c’était avant ou après la mort de Juvénal HABYARIMANA ?

PU : il y a eu d’abord une réunion quand ils étaient en train de faire leur politique, avec la CDR Power [15].

Président : je ne comprends pas bien, c’est Laurent BUCYIBARUTA qui est venu sur place faire une réunion CDR power?

PU : c’était une réunion à RWAMBA avec le sous-préfet NYABARINZE

Président : Damien BINIGA, ça vous dit quelque chose ?

PU : il était sous-préfet

Président : À MUNINI ?

PU : oui

Président : le témoin ne confond pas Damien BINIGA avec Laurent BUCYIBARUTA ?

PU : non, je ne confonds pas. Damien BINIGA je le connaissais. Lorsque le préfet BUCYIBARUTA nous a trouvés à l’église, il a expliqué que c’était le préfet qui demande qu’on nous déplace à NYARUSHISHI.

Président : qui a dit ça ?

PU : ils sont venus et nous ont trouvé là où on avait trouvé refuge à KIBEHO. C’était le préfet, sous-préfet et bourgmestre de RWAMIKO. Ils nous ont expliqué comment nous devions nous réfugier à cet endroit-là à l’écart.

Président : ça c’est au moment où vous êtes réfugié  à KIBEHO ?

PU : oui

Président : c’est combien de temps après la mort d’HABYRIMANA ?

PU : ça devait être le 11 avril.

Président : on a annoncé la mort du Président HABYARIMNANA le 7 avril. Vous vous souvenez comment il a appris sa mort ?

PU : c’était un mercredi qu’il est mort. Le lendemain on nous a convoqués pour une réunion et une fois sur place on nous a dit que nous n’étions pas les bienvenus. Donc nous sommes rentrés rapidement puisque les autres restés derrière mettaient le feu aux maisons.

Président : votre maison est incendiée ?

PU : oui, celle de ma famille

Président : c’est à ce moment-là que vous partez à KIBEHO ?

PU : oui

Président : situation familiale à cette époque ?

PU : j’avais une fiancée et les travaux de ma maison étaient finis.

Président : vous viviez avec sa fiancée ?

PU : pas encore

Président : quand vous allez à la paroisse de KIBEHO, vous y allez avec vos parents ?

PU : tout le monde.

Président : votre fiancée aussi ?

PU : oui

Président : à cet endroit des membres de votre famille sont tués ?

PU : oui, des gens y ont péri. Ma mère, Marguerite, ma sœur Béatrice MUKAGERANGWA et KAREKESI Jean-Baptiste. Et d’autres dont il m’est pénible de donner les noms.

Président : qui est KAREKESI Jean-Baptiste ?

PU : mon père

Président : vous aviez un frère ?

PU : c’était mon petit frère qui travaillait à l’usine de MATA

Président : il été bien traité là-bas ?

PU : non, il y a été tué

Président : quand ?

PU : pendant la même période. Ils ont été enfermés dans l’enceinte de l’usine et ont été tailladés de partout avec les couteaux. C’était pour nous montrer le traitement qu’ils allaient nous infliger.

Président : vous avez vu le corps de votre frère tailladé ?

PU : ils l’ont amené en camionnette, l’ont mis debout et l’ont remis dans la camionnette pour le tuer à l’usine.

Président : vous savez si des jeunes Hutu ont été conduits à faire des formations militaires ?

PU : ils en recevaient.

Président : qui étaient ces jeunes ? Des Interahamwe ?

PU : les jeunes Interahamwe étaient amenés dans les camps militaires locaux pour recevoir cet entrainement.

Président : vous avez vu ces jeunes s’entrainer ?

PU : non, ils les emmenaient au camp militaire.

Président : vous avez entendu ensuite ce qu’ils comptaient faire ?

PU : ils ont mis en pratique sans tarder.

Président : vous vous souvenez d’avoir été entendu par les enquêteurs du TPIR ?

PU : certains m’ont auditionné mais je me souviens pas très bien

Président : dans cette déclaration – D352.

PU : j’ai entendu ces propos et je me dis que c’est la même chose que ce que j’ai dit à ceux qui m’ont auditionné.

Président continue la lecture. Dans votre audition, vous ne parlez jamais de Laurent BUCYIBARUTA ?

PU : oui, ça s’est passé ainsi. À ce moment-là je croyais Laurent BUCYIBARUTA mort et je ne croyais pas opportun de parler d’un mort.

Président : vous ne parlez pas de Laurent BUCYIBARUTA mais vous allez parler de Damien BINIGA. Avez vu Damien BINIGA à KIBEHO ?

PU : oui

Président : il était seul ou avec d’autres personnes ?

PU : ils nous ont demandé de quitter l’église pour partir dans un endroit reculé dans le but de nous exterminer aisément. Ils étaient avec des Interahamwe venus du côté de MUGASOMWA mais aussi de NYAMAGABE. À ce moment-là, Laurent BUCYIBARUTA, les militaires ainsi que les bourgmestres venaient à peine de partir de là et nous nous sommes battus. Le 3e jour ils avaient pris le dessus sur nous donc avec d’autres rescapés, nous avons fui.

Président continue la lecture.

Président : BINIGA s’est présenté comme l’étrangleur des enfants ?

PU : oui, il s’est appelé lui-même ainsi.

Président : vous avez expliqué que BINIGA a parlé au père NGOGA pour lui demander de dire aux personnes réfugiées qu’elles devaient partir de l’enclos de la paroisse pour aller à NYARUSHISHI.

PU : ces propos de nous amener à NYARUSHISHI avaient déjà été échangés avec le préfet. Après le départ du préfet, l’autre était en train d’expliquer à l’abbé qu’il fallait nous relâcher. Quand l’abbé a exprimé son refus, BINIGA a changé son nom en « étrangleurs d’enfants ».

Président : pourquoi, pour exprimer son mécontentement ?

PU : il était très furieux car, après, les militaires et Interahamwe ont lancé un assaut.

Président : vous vous êtes défendus ?

PU : nous avons résisté mais nous étions affaiblis. C’est après que les rescapés ont pu sortir.

Président : il y a eu une ou plusieurs attaques ?

PU : plusieurs attaques.

Président : à un moment, on a tenté d’incendier l’église ?

PU : le 13, tout le monde était affaibli, il y avait des corps de partout. Les gens sont rentrés dans l’église, d’autres ont défoncé les maisons, d’autres ont mis de l’essence et le feu.

Président : vous étiez là lorsqu’il y a eu des incendies ?

PU : lors des incendies, il y avait sur place une maison avec une arrière-cour, c’est par là que je me suis échappé. C’était avec d’autres jeunes avec moi. D’autres étaient attendus plus loin et ont été tués.

Président : vous vous enfuyez, tout seul ou avec d’autres personnes ?

PU : ceux qui ont tenté de partir avec moi ont été tués en cours de route, aucun d’eux n’a survécu.

Président : comment se passe votre fuite pour le BURUNDI, vous êtes poursuivi ?

PU : ils nous ont poursuivis. Lorsqu’ils ont incendié KIBEHO, ils nous ont suivi à CYAHINDA. Les Interahamwe nous ont fait asseoir par terre et BINIGA ainsi que les deux bourgmestres sont venus et ont dit aux Burundais que nous étions en train de fuir la famine. Ils ont répondu en demandant si la famine tailladait les gens.

Président : vous vous réfugiez au BURUNDI, vous vous engagez dans l’armée ?

PU : à mon retour d’exil, oui, mais je n’y suis pas resté longtemps à cause du traumatisme.

Président : que pouvez-vous dire à propos de ce traumatisme ?

PU : quand on faisait des exercices et le soir dans mon lit, les souvenirs de ce qui m’est arrivé me revenaient.

Président : c’était des cauchemars ?

PU : je rêvais des gens de mon âge, je me souvenais de mon père, ma mère, que j’avais laissé à l’intérieur de l’église. Je demandais à Dieu de m’aider pour que je ne verse pas de sang.

Président : je vais vous présentez quelques photo – D10483 établies par les enquêteurs de l’OCLCH.

D10483/70 : vous vous souvenez si à l’époque en arrivant il y avait un centre de santé ?

PU : oui, il y en avait un

Président : il a été détruit ?

PU : oui, on y a tué des gens.

Président : au fond on voit l’église, c’est bien là – D10483/74 ?

PU : oui

Président : est-ce que dans ces grands bâtiments il y avait des classes – D10483/7 ?

PU : oui, tout au fond, les bâtiments faisaient le tour.

Président fait défiler les photos. D10483/13– ici ce sont le presbytère et les bureaux, c’est ça ?

PU : oui, il y avait des bureaux

Président : vous alliez souvent à la paroisse ?

PU : oui

Président : vous êtes catholique ?

PU : oui

Président continue à faire défiler. Les gens réfugiés à la paroisse : certains étaient dans l’église, d’autres au presbytère et d’autres bâtiments ?

PU : lorsqu’on se place à l’entrée principale, toute la cour intérieure était remplie.

Président : c’est la cour devant le presbytère – D10483/18 ?

PU : oui

Président : il y avait d’autres bâtiments qui ont été détruits il me semble.

PU : je ne peux pas savoir car ils ont été détruits après notre départ.

Président continue de faire défiler la planche photographique. Ces photos correspondent bien au lieu où vous étiez ?

PU en pleurs : ce sont des endroits que je reconnais. Je me souviens de l’endroit où étaient mes parents ainsi que les membres de ma famille. Excusez-moi, les souvenirs me reviennent.

Président : vous n’avez pas à vous excuser Monsieur. Est-ce que vous avez pu, plus tard, lorsque vous revenez, retrouver le corps de vos parents ?

PU : j’ai vu celui de ma sœur. Pour les autres, ils les avaient déjà brûlés dans l’église.

Président : aujourd’hui, si je comprends bien, il y a un mémorial à KIBEHO.

PU : oui

Président : est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose ?

PU : non

Pas de question des PC.

QUESTIONS de l’avocate générale :

MP – SH : vous avez parlé, dans votre déposition, du Préfet. Vous voulez parler de l’autorité préfectorale qui était le sous-préfet BINIGA ?

PU : à cette époque, l’autorité de la sous-préfecture de MUNINI était BINIGA qui avait lui-même un supérieur hiérarchique.

MP : en tout cas l’autorité préfectorale que vous connaissiez était le sous-préfet BINIGA ?

PU : non, le sous-préfet BINIGA avait des supérieurs hiérarchiques à la préfecture.

Président : vous connaissiez bien le Père NGOGA ?

PU : oui

Président : qu’est-il devenu ?

PU : une fois qu’on avait découpé des gens et brûlé l’église, il était rescapé aussi et a été tué en route avec les autres.

Président : vous l’avez vu ou on vous l’a dit ?

PU : quand nous avons fui, nous nous sommes dispersés. Ce sont des choses qu’on m’a dites.

Président : aujourd’hui quelle est votre situation ?

PU : la tristesse ne m’a pas achevée, je me suis reconstruit. Je me suis marié et j’ai des enfants. Parce que nous avons des personnes qui nous réconfortent, la vie revient.

QUESTIONS DÉFENSE :

Me LÉVY : une précision. On a compris que dans votre déposition devant les enquêteurs du TPIR, vous n’avez pas mentionné la venue du préfet Laurent BUCYIBARUTA à KIBEHO. J’ai compris que c’était pour deux raisons : soit vous n’étiez pas sûr que c’était lui, soit car vous pensiez qu’il était mort et vous ne voulez pas parler des morts. Entre ces deux raisons, laquelle est la bonne ?

PU : dans ces temps-là, nous nous sentions délaissés, abandonnés de tous les pays. Il n’était pas nécessaire de parler d’une personne décédée. L’autre raison, quand j’ai appris par la suite qu’il avait été arrêté et qu’il y a eu ce procès, je me suis réjoui en me disant que ça serait bien qu’il puisse répondre de ce qu’il a fait.

Me LÉVY : donc votre témoignage aujourd’hui devant la Cour d’assises c’est de dire que vous ne l’aviez pas mentionné car vous pensiez qu’il était mort ?

PU : je ne l’ai jamais mentionné car je savais qu’il était mort.

Me LÉVY : quand vous donnez la liste des personnes se présentant à la paroisse de KIBEHO, vous citez Damien BINIGA, Silas MUGERANGABO et Charles NYLIDANDI. Mais quand vous donnez la liste en 2002, vous savez que Charles NYLIDANDI est mort ?

PU : je pensais qu’il avait fui

Me LÉVY : vous ne savez pas qu’il était mort en mai 1994 ?

PU : nous étions encore en fuite, je n’avais pas de nouvelles.

Me LÉVY : mais vous saviez que le préfet Laurent BUCYIBARUTA était mort ?

PU : non, on disait qu’il était mort.

Parole donnée à Laurent BUCYIBARUTA.

Président : il nous reste du temps. Je vais donc vous laisser la possibilité, comme exprimé par Me FOREMAN, M. Laurent BUCYIBARUTA de réagir aux témoignages de ce jour.

Laurent BUCYIBARUTA : j’aimerais réagir sur le dernier témoin. Il a dit que j’aurais dirigé une réunion à RWAMIKO et que j’aurais écarté des Tutsi. Cette réunion n’a