· Audition de monsieur Japhet GATAZIRE, témoin de la défense.
Ancien secrétaire du préfet de GIKONGORO.
· Audition de monsieur Dominique NSABIMANA, témoin de la défense.
Subordonné de monsieur Japhet GATAZIRE;
· Audition de monsieur Nyangezi MASABO, témoin cité par la défense.
En visioconférence de la Belgique.
· Audition de monsieur Fidèle UWIZEYE, fils de monsieur BUCYIBARUTA.
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Audition de monsieur Japhet GATAZIRE, témoin de la défense. Ancien secrétaire du préfet de GIKONGORO.
Le témoin était enseignant. Après deux années d’études, il est devenu fonctionnaire à partir de 1974. D’abord à la préfecture de CYANGUGU puis, à partir de 1980, à la préfecture de GIKONGORO où il fera la connaissance de Laurent BUCYIBARUTA à partir de 1992 lorsque ce dernier sera nommé préfet. Il restera secrétaire de la préfecture jusqu’en 2005.
Sur questions de monsieur le président, le témoin reconnaît qu’à cette époque « les gens n’étaient pas très épanouis » (sic). Les gens se fréquentaient peu, après le travail, ils rentraient chez eux. Il a connu le préfet au travail, n’est allé chez lui qu’une seule fois. Il ne pourrait reconnaître ni son épouse ni ses enfants. Lui-même se considérait comme « un subalterne » et ne pouvait fréquenter le préfet.
« Laurent BUCYIBARUTA vous impressionnait » demande le président?
« Non, c’était un homme simple. »
« Mes fonctions? Je travaillais à la réception et parfois aux archives ordinaires de la préfecture. J’étais aussi chargé du fonctionnement du secrétariat, j’accueillais les visiteurs et m’occupais du courrier. Quant aux documents confidentiels, je ne les voyais pendant la guerre (sic), qu’ils soient entrants ou sortants. Les fax arrivaient soit dans mon bureau soit dans celui du préfet. Pareil pour le téléphone qui fonctionnait occasionnellement pendant le génocide. »
Monsieur le président interroge ensuite le témoin sur le personnel de la préfecture. Il y avait plusieurs sous-préfets, un chargé des affaires politiques, Oreste HABINSHUTI, qui sera assassiné, un pour les affaires juridiques, Pierre-Célestin MUSHENGEZI, parti en exil, Jean-Bosco RUHAMAGAYE, aux affaires sociales et avec qui il a travaillé. Jean-Baptiste RUSATSI était chargé des affaires économiques: il s’est réfugié à BUTARE au début du génocide. « Il faisait partie de la catégorie pourchassée » (sic) dira le témoin, comme gêné de dire qu’il était Tutsi.
Quant aux fonctionnaires tutsi de la préfecture, le témoin reconnaît qu’il y en avait mais qu’ils ne pouvaient plus travailler. Venir au travail aurait été « suicidaire » pour eux. Il se pourrait que certains se soient rendus à MURAMBI, mais comme le témoin n’y est jamais allé, il ne peut savoir. Et d’ajouter: « Si j’étais allé à MURAMBI, je ne serais pas là devant vous! » (NDR. On se demande pourquoi! Il n’était pas menacé.) A cette époque, les gens tuaient et pillaient sans être punis.
La campagne de pacification? Le témoin avoue que ça a existé mais, pas plus que les autres, ne s’est inquiété de savoir ce que les fonctionnaires tutsi étaient devenus.
Aloys KATABARWA, le chauffeur du préfet? Il l’a revu après le génocide. Il était malade.
Des bourgmestres ont été impliqués dans le génocide? Le témoin n’en sait rien. « Ce sont des choses qui se disaient » se contente-t-il de dire.
Qui a pris la décision d’envoyer un bulldozer pour enterrer les cadavres? « Le préfet n’avait pas de bulldozer. » C’est le MINITRAPE qui détenait les engins. Il ne sait pas non plus si les prisonniers ont été réquisitionnés pour l’enfouissement des corps. L’administration pénitentiaire dépendait du ministère de la Justice.
Pendant le génocide, selon le témoin, aucune administration judiciaire ne fonctionnait. On voyait les gens incendier, tuer, mais personne n’a jamais été arrêté.
Joseph NSABIMANA? Là encore, « On m’a dit ». Il était Hutu, a tenté de se réfugier à BUTARE et a été tué, « comme complice du FPR. »
Les armes? Il a entendu dire qu’on en avait distribué. Monsieur le président lit les déclarations que le témoin a faites devant les enquêteurs du TPIR : « Pendant le génocide (…) quelques hauts cadres avaient des armes. Certains paysans proches de SIMBA en avaient aussi. Ainsi que plusieurs bourgmestres et sous-préfets. J’ai vu BINIGA en porter (…) Des armes ont été distribuées à tous les fonctionnaires. Des autorisations de port d’armes ont été délivrées par le ministre de la défense. Autorisations qui étaient enregistrées à la préfecture. »
Des sous-préfets auraient été impliqués dans les massacres? « Seulement BINIGA qui portait un fusil au vu de tous. C’est lui qui a supervisé les massacres de MUNINI pendant le génocide. »
SINDIKUBWABO ! KAMBANDA ! Le témoin ne se souvient pas. Il se rappelle la venue de Callixte KALIMANZIRA sur la place du marché où il a tenu une réunion juste avant la prise de KIGALI par le FPR. Par contre, le témoin précise que ceux qui commettaient les massacres ne s’entendaient pas avec Laurent BUCYIBARUTA. Ils lui reprochaient de cacher des Inyenzi à sa résidence. Par contre, le colonel SIMBA, qui était présent, a défendu le préfet: il avait une femme et un chauffeur tutsi! Les gens du MDR n’aimaient pas BUCYIBARUTA pour ces deux raisons. Si le témoin a participé à cette « réunion », c’est parce qu’il habitait tout près.
L’objet de la réunion? Que les gens s’auto-protègent contre l’insécurité. On disait que l’ennemi avait envahi le pays et que les gens devaient prendre les armes contre le FPR, et donc contre les Tutsi, selon certains.
Autre déclaration du témoin devant les enquêteurs du TPIR: « En juin, les massacres à GIKONGORO sont terminés mais on assassine encore ceux qui cherchaient à s’échapper. Quand on les attrapait, ils étaient traités comme des complices et tués. » Sur question du président, le témoin précise: « Qu’ils soient Tutsi ou Hutu qui travaillaient avec les Tutsi. »
KALIMANZIRA? « Il était secrétaire général au ministère de l’Intérieur, service de l’administration locale. Il est resté moins d’une semaine à GIKONGORO. Il est parti ensuite à CYANGUGU. Il n’avait pas de bureau à la préfecture. Il passait et repartait. »
Charles NYANDWI? « Je ne l’ai pas vu à la préfecture. Il a logé à l’hôtel. »
Du côté des gendarmes, le commandant BIZIMANA (en fait BIZIMUNGU) était malade. C’est SEBUHURA qui dirigeait à sa place. « Je ne sais pas s’il a été impliqué dans les massacres, mais c’étaient les gendarmes qui étaient « chauds » (sic), qui tuaient et pillaient, dès le début du génocide. »
Le témoin a bien entendu parler d’enfants qui auraient été sauvés par la préfecture. Il donne quelques détails de l’opération. Ils ont été conduits à NYANZA après la mort de leurs parents. Ce doit être Laurent BUCYIBARUTA qui les a confiés aux gendarmes.
Le président cite à nouveau des propos tenus par le témoin: «A un certain moment, beaucoup de réfugiés sont venus dans la cour de la préfecture. A mon avis, des Hutu qui avaient épousé des Tutsi. Ils n’avaient ni abri ni nourriture. Ils ont été nourris par la CARITAS. Laurent BUCYIBARUTA ne s’occupait pas d’eux. Aucun réfugié n’a été tué dans la cour de la préfecture »
Madame l’assesseur va demander au témoin combien de secrétaires travaillaient à la préfecture. Trois ou quatre, précise-t-il. Le téléphone fonctionnait? Il y avait deux lignes: une dans son bureau et une dans celui du préfet. Si le préfet était là, le secrétaire lui passait la communication. Sinon, il en référait à un sous-préfet.
Maître GISAGARA demande au témoin combien de temps il a travaillé à GIKONGORO. Une question qui irrite monsieur le président car la réponse a déjà été donnée. Ce dernier exige des réponses courtes et rapides.
Toujours sur questions de maître GISAGARA, le témoin précise qu’il y avait à 50 à 60 fonctionnaires à la préfecture. L’avocat s’étonne que personne ne se soucie du sort de ceux qui ont disparu. Le comptable qui é té tué n’a pas été remplacé. Le témoin dit qu’on le payait en lui donnant des haricots. Par contre il n’est pas au courant concernant la distribution des bons d’essence.
Sur question du ministère public, le témoin dit qu’il n’a pas travaillé le 21 avril. Mais il ne se souvient pas de la date de la réunion organisée par KALIMANZIRA. Le 3 juin? Le témoin ne se souvient pas.
Maître BIJU-DUVAL sur la réunion au cours de laquelle il a été traité d’Inyenzi : « Ce sont les partisans du MDR, avec GASANA à leur tête » qui ont utilisé cette expression.
Le rôle de BUCYIBARUTA dans l’évacuation des enfants? Vous avez déclaré: « Je me souviens avoir révélé au préfet l’existence d’enfants menacés. Le préfet a aussitôt donné des ordres aux gendarmes d’évacuer ces enfants. »
Le témoin de répondre: « Je m’en souviens. J’étais chez moi. Un voisin est venu m’avertir que des enfants étaient en danger près de la prison. Deux filles. J’ai appelé la gendarmerie. On m’avait donné un numéro de téléphone: je suis tombé sur BUCYIBARUTA qui a donné des gendarmes pour les protéger. »
Etonné de l’explication, monsieur le président demande où était le préfet. « A la préfecture » répond le témoin. Et le président d’ironiser: « Vous ne connaissez pas son téléphone? »
On s’en tiendra là.
Audition de monsieur Dominique NSABIMANA, témoin de la défense. Subordonné de monsieur Japhet GATAZIRE;
Le témoin travaillait sous les ordres de monsieur GATAZIRE. Il fait quasiment le même travail que lui. Il a accompagné deux fois le préfet dans des déplacements, dont une fois à NYARUGURU, dans la commune KIVU, au moment où naissait le multipartisme. Des dissensions étaient nées dans la population: d’où une insécurité certaine. Le témoin devait prendre des notes en vue de faire un compte-rendu. Il en était toujours ainsi lorsque les réunions n’étaient pas confidentielles.
Après l’attentat et la diffusion du communiqué qui demandait aux gens de rester chez eux, le témoin serait tombé malade jusqu’à la mi-mai. Il n’aurait repris le travail qu’en septembre. Toutefois, il se rendait de temps en temps à la préfecture, mais pas pour travailler. Des réfugiés passaient dans les bureaux pour demander des attestations afin de pouvoir continuer leur route. C’est un certain Frédéric qui délivrait ces documents.
Après la commission du génocide, les gens fuyaient, le travail ne se faisait pas, précise le témoin. Beaucoup de gens avaient peur. L’insécurité régnait.
Il a vu le préfet pendant le génocide. C’était « un travailleur posé, jamais impliqué dans la ségrégation. » C’était les Tutsi qui étaient persécutés, affirme le témoin. Il s’agissait d’une ségrégation sur base régionale entre gens du Nord et gens du Sud. « Lui ne prenait parti ni pour les uns ni pour les autres. »
Pendant le génocide, monsieur NSABIMANA n’a pas discuté avec le préfet: « J’étais malade pendant les massacres. Je ne sais plus quand je l’ai vu pour la dernière fois. »
Monsieur le président lui rafraîchit la mémoire en lisant ses déclarations: « Je l’ai revu une dernière fois à la chute du régime KAMBANDA, en juillet. Je l’ai vu à la hauteur de la station. Je lui ai demandé si je devais fuir. « Fuir est une décision souveraine » (personnelle) m’a-t-il répondu. Je suis resté, lui est parti. »
« Et la campagne de pacification » ? lui demande monsieur le président.
« Cela ne me dit rien. Est-ce que je confonds avec la défense civile? SIMBA a été envoyé par le gouvernement dans la province du sud. Il a fait distribuer des armes pour contrer les Inkotanyi qui approchaient. Personnellement, je ne dirai pas que Laurent BUCYIBARUTA s’est rendu coupable de génocide. » C’est ce qu’il avait déjà dit devant les enquêteurs.
Maître TAPI veut savoir si on pouvait joindre le préfet au téléphone. Le témoin ne sait pas.
A maître GISAGARA qui demande s’il n’existe aucune preuve pour impliquer le préfet, le témoin répond que c’est aux juges de se prononcer en fonction des preuves qu’ils reçoivent.
Le ministère public rappelle au témoin ses propos sur les personnes chargées de renseigner le préfet: « Oui, certainement, le capitaine SEBUHURA était omniprésent. Il circulait partout et devait renseigner le préfet. » Le témoin confirme: « Je ne peux pas dire que je ne le voyais pas. C’est lui qui était à la tête de la gendarmerie. Quand j’ai pu sortir, il était toujours là. »
Maître BIJU-DUVAL répète les propos du témoin: « SEBUHURA devant sans doute renseigner le préfet. » C’est une déduction de votre part, vous n’avez pas été témoin?
Le témoin: C’est ainsi qu’était l’administration. C’est une déduction, oui.
L’avocat de la défense n’est pas satisfait de la réponse. « Votre réponse n’est pas claire. Vous n’avez pas été témoin? »
Le témoin: Pas témoin oculaire.
Maître BIJU-DUVAL rappelle les propos du témoin: « Laurent BUCYIBARUTA était calme, impartial. Il ne s’est ouvert de ses positions politiques personnelles à personne. C’était quelqu’un de modéré. »
Le témoin confirme.
Maître BIJU -DUVAL enfonce le clou, citant toujours le témoin: « Je ne l’ai jamais entendu faire une remarque particulière sur les ethnies. Je jurerais qu’il était neutre. Il n’avait rien contre les Tutsi. Je ne l’ai jamais entendu tenir des propos hostiles au Tutsi. » Vous confirmez.
Le témoin: Je peux le répéter.
L’avocat de la défense semble satisfait de la réponse. À l’instar de monsieur le président, on peut toutefois se poser la question: « La neutralité, dans une telle situation, est-elle une position tenable?»
Audition de monsieur Nyangezi MASABO, témoin cité par la défense. En visioconférence de la Belgique.
Le témoin commence par dire qu’il a manifesté le souhait de ne pas être entendu pendant le procès mais monsieur le président lui signale que c’est à la demande de la défense.
Il connaît Laurent BUCYIBARUTA pour l’avoir vu plusieurs fois, que ce soit à KIBUNGO ou à KADUHA, dans un cadre professionnel: il s’occupait d’aménagement du territoire.
A GIKONGORO, il le rencontre pendant le génocide. Le témoin quitte KIGALI au début du génocide pour mettre sa famille à l’abri et décide de se réfugier chez sa mère à KINYAMAKARA. Bien que Hutu, il se sent menacé. Ils quittent la capitale le 11 avril. A la sortie de KIGALI, au pont de la NYABARONGO, ils passent la barrière grâce à leur carte d’identité hutu. Il n’y voit aucune exécution de Tutsi.
Passé par RUSATIRA, il se rend donc chez sa mère, à SUMBA, un quartier de GIKONGORO. Il décide de se rendre à la résidence du préfet auprès duquel il espère obtenir des bons d’essence. En vain, car l’essence était distribuée par d’autres groupes de pression dont les gendarmes. Monsieur le président lui rappelle qu’il souhaitait aussi pouvoir téléphoner à l’étranger.
Le préfet lui est apparu comme quelqu’un « d’impuissant » par rapport à ce qui se passait dans sa préfecture. Sans être un intime du préfet, ce dernier se laisse aller à quelques confidences, ce qui interroge monsieur le président. « C’était dans l’air du temps, dira le témoin. Il ne se méfiait pas de moi. »
A ce moment-là, les maisons ne brûlaient pas encore sur les collines, c’est le lendemain qu’il verra cela, de chez sa mère. Les responsables des troubles étaient les gendarmes.
Monsieur le président lit un extrait du livre de Alison DES FORGES, Aucun Témoin ne doit survivre, (page 366), concernant ces événements:
« A Kinyamakara, deux gendarmes qui se présentèrent comme des responsables de la sécurité parcoururent la région en appelant la population à attaquer les deux mille Tutsi de la commune. Ils agirent discrètement, parlant à des petits groupes de personnes ici et là, plutôt que d’organiser un rassemblement public. Ils dirent aux Hutu que s’ils ne brûlaient pas les maisons des Tutsi, les gendarmes reviendraient brûler toutes les maisons, parce qu’étrangers à la région, ils seraient incapables de distinguer la maison d’un Hutu de celle d’un Tutsi. Des assaillants n’ayant pas réussi à venir à bout de la population – hutu comme tutsi – d’une colline de la commune de Karambo, qui avait pris la défense d’une femme tutsi, se retirèrent pour revenir le lendemain accompagnés de la gendarmerie, avec l’intention de reprendre l’attaque. Pendant ces premiers jours d’incendies, de pillages et de tueries, une certaine confusion régnait sur la question de savoir qui serait pris pour cible. Les gens ayant appris très vite que des responsables gouvernementaux hutu et membres du MDR, du PSDet du PL avaient été tués à Kigali, la population crut dans un premier temps que les partisans locaux de ces partis allaient être aussi attaqués. »
A la question de savoir si c’est la situation qu’il a connue, si c’est ce dont il a parlé avec le préfet, le témoin répond « à côté de la plaque »: « Laurent BUCYIFARUTA n’était pas en mesure de contrôler quoi que ce soit, il ne maîtrisait rien. Il était très calme, on le prenait volontiers pour un prêtre. Je l’ai vu entre le 11 et le 18 avril. Il était dépassé, inquiet pour sa femme qui était retenue dans l’Est du pays. »
Sur question de monsieur le président, le témoin répond qu’il ne savait pas que sa femme était Tutsi mais il connaissait l’endroit où elle était retenue.
Monsieur le président continue sa lecture. A l’évocation d’une situation rendu très grave par les agissements d’un gendarme, le témoin nomme le capitaine SEBUHURA qu’on aurait surnommé SATAN, se souvient-il. Après cette visite, le témoin n’a pas revu le préfet. Il décidera de rentrer à KIGALI en août: c’est à cette occasion qu’il sera arrêté.
Autre extrait de l’ouvrage d’Alison DES FORGES:
« Dans les communes de Kivu et de Kinyamakara de la préfecture de Gikongoro, des soldats ou des gendarmes organisèrent la foule rassemblée sur le marché et les gens trouvés au bord des routes, pour attaquer les Tutsi. »
Monsieur MABABO n’en a pas entendu parler.
Puis d’évoquer le rôle du bourgmestre MUNYANEZA. « On dit qu’il a essayé de s’opposer aux violences au début. Il aurait pris des sanctions contre les fauteurs de troubles. » C’est ce que confirme Alison DES FORGES:
« Dans la commune de Kinyamakara, le bourgmestre Charles Munyaneza – supposé être un membre du MRND – tenta également de mettre un terme aux violences pendant les premiers jours d’avril. Fils d’une Tutsi, il était connu pour être en bons termes avec les Tutsi. Mais de la même façon qu’à Musebeya, les chefs politiques locaux étaient fin disposés à agir, si le bourgmestre refusait de soutenir les violences. Après le passage dans la commune, de gendarmes qui avaient donné à la population le signal de commencer à massacrer les Tutsi, un chef local du MDR Power aurait lui-même réuni une centaine de personnes pour qu’elles se livrent aux pillages et à l’incendie des maisons, en commençant d’abord dans son propre secteur à Kiyaga, puis dans d’autres. Un fonctionnaire, qui fut témoin de la propagation des violences, fit observer :
«Il y avait déjà eu des massacres à Mudasomwa et personne n’avait réagi. Il y avait eu des tueries à Nyamagabe et personne n’avait réagi. Des massacres étaient perpétrés à Kivu et à Nshili. Il n’est donc pas surprenant qu’il y en ait eu à Kinyamakara… [Quand les attaques ont commencé] les conseillers n’avaient pas le pouvoir d’y mettre un terme parce qu’ils n’avaient pas d’armes. Ils ne pouvaient rester au pouvoir qu’en cautionnant les attaques. Le bourgmestre était le seul qui pouvait s’y opposer parce qu’il avait des armes à sa disposition. »
Lorsque le bourgmestre tenta de mettre un terme aux tueries, il fut considéré comme « complice » de l’ennemi. Une foule attaqua sa maison, où il cachait des Tutsi qui avaient fui les massacres de la commune voisine de Nyamagabe. Munyaneza et ceux qui étaient avec lui réussirent à repousser les assaillants et cinq d’entre eux furent tués. »
Le témoin avoue ne pas avoir connaissance de ce qui s’est passé à KADUHA. Les réunions de pacification, ça ne lui dit rien.
Alison DES FORGES:
« Les réunions de « pacification » eurent lieu et le message fut transmis, mais les massacres ne cessèrent pas pour autant. De surcroît, le message présageait bien souvent de nouveaux massacres, les Tutsi étant alors incités à sortir de la clandestinité. Dans la commune de Kinyamakara, le bourgmestre tint une réunion le 29 avril pour annoncer le rétablissement de l’ordre, comme on lui avait demandé de le faire. Pensant que les directives étaient sincères, un responsable amena son jeune beau-frère à la réunion. Il avait protégé le jeune Tutsi dans sa maison, laquelle avait été attaquée deux fois. Des chefs anti-Tutsi, comme le chef local du MDR-Power qui avait lancé la première attaque dans la commune (voir plus haut), et la jeunesse du MRND voulurent s’en prendre à la fois au responsable et à son beau-frère. Un témoin déclara :
« Pendant la réunion, quelqu’un a demandé : « Le moment est-il venu d’arrêter les tueries alors qu’il y a encore des Tutsi en vie ? » Ils n’avaient pas honte de poser de telles questions, même en public. C’était le moment de tuer. Ils ne réalisaient même pas que c’était un être humain qu’ils étaient en train de tuer. »
En la circonstance, le bourgmestre protégea les personnes visées, annonçant que quiconque les tuerait, serait poursuivi. Mais après la réunion et la déclaration sur le rétablissement de la sécurité, « les autorités ont continué de rencontrer les chefs de bande pour organiser la recherche des Tutsi qui restaient ». Dans bien des cas, les Tutsi qui, après la proclamation de « paix », apparurent au grand jour, furent immédiatement assassinés. La régularité avec laquelle les tueries suivaient les déclarations de garantie des autorités, démontre que la promesse de sécurité n’était pas un engagement sincère – que les autorités étaient de toute façon incapables de faire appliquer -, mais
qu’il s’agissait plutôt d’une tactique délibérée pour poursuivre le génocide. »
Le président commente et questionne: « Les Tutsi sont immédiatement assassinés. Les promesses de sécurité, c’était un engagement sincère? Une tactique délibérée? »
Puis page 399, sur les massacres de KADUHA… Allusion au message du président SINDIKUBWABO le 19 avril à BUTARE. MUNYANEZA change complètement d’attitude :
« Le massacre de Kaduha ajouta du poids au message délivré quelques jours auparavant, par Sindikubwabo. Les responsables civils comprirent et « se soumirent aux militaires » comme le préfet l’avait conseillé au bourgmestre de Kivu. À Kinyamakara, le bourgmestre qui, se conduisant dans un premier temps de manière responsable avait tenté de réprimer la violence, devint apparemment un des meneurs du massacre après le 20 avril. Il relâcha de la prison de Kinyamakara les Hutu qui y étaient détenus en raison des attaques qu’ils avaient menées contre des Tutsi, puis il aurait mobilisé les Hutu de sa commune pour mener des attaques au-delà des limites de la préfecture, dans la commune de Ruhashya à Butare, commune jusqu’alors paisible. Un fonctionnaire déclara ainsi, que « Les violences étaient surtout le fait des autorités militaires et personne ne pouvait les arrêter. » »
Le témoin semble avoir oublié pas mal d’événements. Il mettra cela sur le compte d’une récente opération au cerveau. Il s’exprime d’ailleurs parfois avec une certaine difficulté. Il se souvient tout de même que MUNYANEZA est réfugié actuellement en Angleterre.
« Vous, demande le président, vous avez été poursuivi et arrêté?
« Quand je rentrais à KIGALI, en quittant la Zone Turquoise. On m’a mis des meurtres sur le dos alors que je n’ai jamais vu de meurtres. On m’a accusé faussement. »
Sur question du président, il se souvient d’un certain JOSUE, un membre de la milice du MRND qui organisait des perquisitions chez lui à la recherche d’armes.
El la défense civile. SIMBA? Il connaît le colonel mais ne l’a jamais rencontré. IL est d’ailleurs resté chez lui, pour protéger sa famille comme il le répètera souvent. Ce fut un grave traumatisme pour lui d’être condamné. Il a fait appel trois fois… Il viendra en BELGIQUE en 2006.
Madame l’assesseur évoque le cas des personnalités importantes assassinées le 7 avril. Qu’en était-il de son ministre de tutelle?
« Je n’ai pas de nouvelles. Peut-être qu’il a fui? J’ai quitté mon domicile le samedi 9 pour me rendre chez un ami, Georges GERIN. »
L’assesseur: Vous aviez peur de quoi?
Le témoin: Je ne sentais pas spécialement protégé. Je pensais revenir à KIGALI après avoir mis ma famille à l’abri.
Maître TAPI: A quelle date rencontrez-vous Laurent BUCYIBARUTA à GIKONGORO?
Le témoin: début avril, après le 11.
Un autre avocat s’étonne qu’il n’ait pas vu de cadavres alors qu’il y a des milliers de morts à MURAMBI, à CYANIKA et à KADUHA. Il était là pour protéger sa famille!
Le ministère public veut connaître la distance qui sépare KIGALI de GIKONGORO. Elle propose 150 kilomètres ce que le témoin conteste (NDR. C’est pourtant vrai.)
Puis d’évoquer le rapport d’un certain Gaspard MUSABYIMANA versé par la défense dans lequel (Dc20/11) il parle de Akazu [17]. On y trouve le nom d’un certain Juvénal MASABO.
Le témoin reconnaît que c’est bien lui mais, contrairement à ce que le ministère public laisse entendre, il ne faisait pas partie de l’Akazu: « J’ai quitté la Présidence en 1992. » (NDR. Ce qui ne prouve rien, bien sûr.)
Maître BIJU-DUVAL se contente de remercier monsieur MASABO. Pas sûr qu’il soit très satisfait d’avoir fait citer un tel témoin.
Audition de monsieur Fidèle UWIZEYE, fils de monsieur BUCYIBARUTA.
« Pendant la guerre, j’étais à la maison » commence le témoin, nous étions en vacances. »
Très vite, monsieur le président questionne le fils de monsieur BUCYIBARUTA sur la composition de leur famille. Ils étaient huit enfants, deux sont morts au Zaïre dans des conditions que le témoin ignore. Les autres, dont une seule fille, vivent dans plusieurs lieux de la planète: LIEGE, au Kenya, à TROYES. Le témoin habite ANNECY, très attristé par la disparition de ses frères. D’ailleurs, ils se voient peu.
On aborde ensuite la personnalité de sa mère: « Elle est très malade, confie le témoin. Originaire de BYUMBA, sa famille tutsi a été décimée. » Mais au grand étonnement du président, le témoin avoue ne pas bien connaître ni les événements qui ont jalonné leur vie familiale, ni un certain nombre de membres de la famille.
Monsieur le président lit un extrait de la déposition de madame BUCYIBARUTA: « Mon mari n’a pas ordonné de massacres à GIKONGORO (…) Je suppose que ces massacres ont été commis par des extrémistes hutu. »
Au début du génocide, sa mère était partie à l’enterrement d’une de ses sœurs, dans la préfecture de BYUMBA. Elle va rester un temps à RWAMAGANA, chez une de ses sœurs qui est religieuse, après avoir trouvé refuge à la paroisse de KIZIGURO. Pour pouvoir continuer leur route, elle va décider de déchirer sa carte d’identité. Elle obtient aussi un laisser-passer du commandant de gendarmerie de RWAMAGANA. Elle pourra ainsi rentrer à GIKONGORO dans une voiture que son mari lui a envoyée. Des gendarmes l’accompagnent. Le témoin, quant à lui, a profité de voyage du préfet Godefroid RUZIDANA, préfet de KIBUNGO, pour rejoindre la capitale le 11 avril.
Voilà donc la famille réunie à GIKONGORO le 19 avril. Sa maman et sa grand-mère maternelle sont traumatisées.
La pacification? Cela ne dit pas grand-chose au témoin sinon que cela donnait la possibilité de sortit. C’est d’ailleurs au cours d’une de ses sorties qu’il dira plus loin avoir été arrêté et conduit au cachot communal.
Maître BIJU-DUVAL intervient pour dire que la pacification voulait simplement dire qu’il fallait arrêter les massacres. Ce n’était pas pour dire aux Tutsi de sortir de leurs cachettes. « Attention de na pas déformer le message de la pacification. »
Aloys KATABARWA, le chauffeur de son père, est resté caché chez eux jusqu’à l’arrivée des Français. Selon sa mère, il n’était resté que trois jours. Et le président de commenter: « C’est difficile de savoir ce qui s’est passé! »
Le témoin affirme que beaucoup de gens ont défilé au foyer familial, des connaissances de son père, des Tutsi comme des Hutu. Parmi ces gens-là, un ancien préfet, François NSHUNGUYINKA. Il ne se souvient pas, par contre, du passage de Jean KAMBANDA, qui l’a noté dans un de ses carnets.
Une rescapée, Chantal MUKAMUNANA, l’aurait vu à une barrière avec son père. « Impossible, j’étais menacé car mon père était considéré comme un complice des Tutsi. » Et de raconter l’épisode de son arrestation lors d’une sortie nocturne. Il ne savait pas qu’il y avait un couvre-feu. Un gendarme est venu le sortir du cachot. Etonnamment, son père n’apprendra l’épisode que beaucoup plus tard. Comme le faisait remarquer monsieur le président, » il y a un problème de communication dans cette famille».
Son père? C’était quelqu’un de bienveillant. Il faisait comme il pouvait. Il n’a jamais fait de distinctions entre les personnes. A cette époque, tout le monde était angoissé, même lui.
MURAMBI? Le témoin a entendu les grenades. Ils écoutaient Radio Rwanda. Par contre, ce que diffusait la RTLM , « ce n’était pas normal de dire que l’ennemi c’était les Tutsi. » Cette nuit-là, ils se sont levés au bruit des armes, puis le témoin dit être allé se recoucher.
Concernant leur fuite au Zaïre, ils sont partis séparément. D’abord son frère MODESTE qui était séminariste. Il est parti de l’évêché et a conduit des fuyards à BUKAVU. Les autres sont partis le même jour, mais dans des véhicules différents. Le témoin en conduisait un. Seule sa grand-mère est restée à l’évêché avec des enfants.
A BUKAVU, la vie a été difficile: maladies, violences, camp de réfugiés. Ils sont restés ensemble pendant deux ans. Le témoin a quitté le Zaïre pour la Zambie. Après avoir eu des informations contradictoires sur le sort de ses parents, il a finalement appris qu’ils étaient en Centrafrique. Tous se retrouve en France en 2000.
La vie de ses parents en France? Sa mère était handicapée, papa accusé de choses qu’il n’avait pas commises. A GIKONGORO des gens témoignaient qu’ils étaient encore en vie grâce à son père Des tueurs se vantaient et se plaignaient de ne pas avoir pu tuer tout le monde, empêchés qu’ils en avaient été par les actions du préfet! C’est ce qui se disait au Congo en tout cas. Leur maison n’avait-elle pas été attaquée et placée sous la protection des Français?
« On est tous des victimes, continue le témoin. On a perdu de la famille des deux côtés. Ce qui me chagrine, c’est que mon père soit accusé de choses qu’il n’a pas commises. Il a fait ce qu’il a pu. On le présente comme un ennemi des Tutsi alors qu’il n’avait pas de haine envers eux. »
Sur questions de madame l’assesseur, le témoin dit que sa mère n’a jamais fait de différence non plus entre Hutu et Tutsi. Le couple formé par ses parents? Il était « génial ». Il ne les a jamais entendu se disputer. Lorsque madame l’assesseur lui révèle les circonstances de la rencontre de ses parents, à la messe: « Ah mais c’est génial», s’exclame-t-il. « Nous avons grandi dans la religion catholique. »
Maître PHILIPPART: Vous savez que les Tutsi avaient été envoyés à MURAMBI pour y être protégés. Il n’a jamais été question que vous y alliez aussi?
Le témoin: Je savais que les Tutsi étaient là-bas mais je ne savais pas qui les avait envoyés. Nous étions en sécurité à la maison. Sortir était dangereux.
Le ministère public: votre père disait que vous pouviez sortir?
Le témoin: oui, à l’arrivée des Français.
Le ministère public: votre père dit à partir du 19 avril! Un témoin a dit que Laurent BUCYIBARUTA allait à la messe avec ses enfants.
Le témoin: c’est faux.
Le ministère public: quand vous êtes arrêté, vous étiez sorti où?
Le témoin: pour me dégourdir, acheter des cigarettes.
Le ministère public: le couvre-feu était connu?
Le témoin: lorsque les Français étaient là, on pouvait sortir.
Le ministère public: votre père n’a jamais parlé de cette arrestation. Le 21, lors de l’attaque de MURAMBI, qu’a fait votre père?
Le témoin: il s’est levé et nous a dit de ne pas sortir. On est allés se recoucher. Je ne sais pas ce qu’il a fait.
A la question de savoir si son père était présent au petit déjeuner, le fils BUCYIBARUTA dit qu’ils ne prenaient pas le petit déjeuner ensemble.
Commentaire du président dubitatif: « La maison était si grande que vous ne savez pas ce qui s’y passe! »
L’audience est levée. Rendez-vous donné au lendemain 9h30. (A suivre)
Note de la Rédaction :
Ce compte rendu a été réalisé par Alain GAUTHIER, président du CPCR, et Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.