Procès pour génocide de Rwamucyo à Paris – 7ème jour

Le procès à l’encontre de Monsieur Eugène RWAMUCYO a débuté ce mercredi 9 octobre par la lecture d’un courrier de Monsieur Alphonse KAREMERA, ancien ophtalmologue au CHUB et ancien doyen de la faculté de médecine à l’UNR. Ce dernier devait être entendu en tant que témoin durant la procédure, mais en raison de son état de santé, l’audition a été annulée. Dans son courrier, Monsieur Alphonse KAREMERA décrit le contexte de la création de l’UNR. Il mentionne le recrutement de l’accusé. Il ajoute que celui-ci dispensait des soins préventifs. Il précise notamment que ce dernier s’est intégré « facilement » et que le bureau a constaté « la qualité de son enseignement ». Il décrit ensuite le climat d’insécurité qui a émergé en avril 1994. Après avoir mentionné le serment d’Hippocrate prêté par les médecins, il affirme que « ceux qui ont pris notre place veulent accuser l’ancienne élite d’avoir fait un génocide. Eugène RWAMUCYO n’a pas fait de génocide ». A la fin de la lecture du courrier, Monsieur le Président a demandé à l’accusé d’expliquer la notion de « soins préventifs à la population » abordée par Monsieur Alphonse KAREMERA. L’accusé explique que cela signifie notamment édicter des mesures de prévention et organiser des mesures d’hygiène dans les camps de déplacés. Il mentionne  alors son implication dans les camps de « réfugiés » et affirme ne pas avoir été en contact avec des organisations non gouvernementales (ONG). Interrogé sur ses visites dans les camps par les conseils des parties civiles, l’accusé n’a pas su préciser les camps visités et leur localisation à Butare et dans le pays.

La retranscription de l’interrogatoire de Monsieur KAREMERA a ensuite été lu par Monsieur le Président. Dans cette audition, Monsieur KAREMERA souligne l’implication politique d’Eugène RWAMUCYO, il affirme que celui-ci appartenait à la CDR et ajoute penser que l’accusé faisait partie des fondateurs du cercle des républicains progressistes (CRP). Monsieur Eugène RWAMUCYO a réagi à ces propos en déclarant ne pas vouloir que ce procès prenne une tournure politique.

L’audience aurait dû se poursuivre par l’audition de Monsieur Sosthène MUNYEMANA, ancien médecin au CHUB, mais celui-ci étant absent, la Cour a procédé à la lecture de retranscriptions d’interrogatoire relatant les propos tenus par Monsieur Vincent NTEZIMANA, ancien professeur à l’UNR. Monsieur RWAMUCYO, invité à réagir à ces éléments, déclare que l’une des premières choses qu’il a « regretté en arrivant au Rwanda qu’il avait le multipartisme » et que « si tout pays en guerre pouvait éviter cela, la population serait épargnée du chaos ». Il affirme par la suite être « contre le FPR et son plan », il ajoute avoir fait ce qu’il a pu dans la mesure des moyens qu’il avait. A la suite des déclarations de l’accusé, le Président de la Cour a prononcé la suspension de l’audience.

La journée a ensuite repris avec l’audition de Madame Marie-Jeanne MUKABERA, ancienne archiviste et réceptionniste au CUSP. Cette dernière a été assistée d’interprètes lors de son audition. Elle déclare tout d’abord avoir été collègue avec Eugène RWAMUCYO au CUSP. Elle affirme avoir vu dans son bureau à la fin du génocide « deux fusils et ces petites armes là que l’on porte en main » (précisant plus tard qu’elle parlait de grenades). Interrogée en ce sens par Monsieur le Président, la témoin a affirmé que l’accusé n’avait pas de bonne relation avec Abel DUSHIMIMANA (ancien directeur du CUSP), selon elle Eugène RWAMUCYO disait qu’Abel DUSHIMIMANA « était un sudiste qui s’était fait passer pour un Hutu ». Elle souligne notamment que l’accusé aurait fait obstacle à l’élection de Abel DUSHIMIMANA. Elle affirme avoir entendu l’accusé dire « les Tutsi nous allons vous tuer », et précise qu’il aurait fait allusion à Abel DUSHIMIMANA et tous les autres Tutsi. Par la suite, la témoin soutient avoir vu des personnes être rassemblées en ville et ajoute avoir vu le Docteur RWAMUCYO transporter des corps de Tutsi et de personnes vivantes près de chez elle afin de les ensevelir. Néanmoins, le Président de la Cour relève que ces éléments n’ont jamais été mentionnés dans les nombreuses auditions réalisées par la témoin. Interrogée sur la liste de noms de Tutsi qu’elle aurait aperçu dans le bureau de Monsieur RWAMUCYO, Madame Marie-Jeanne MUKABERA affirme « qu’il s’agit d’une liste qu’ils ont cachée immédiatement » et n’aurait pas pu la lire. Elle aurait aperçu la liste depuis la porte du bureau. Elle déclare ensuite avoir vu la liste depuis la fenêtre et ne pas être entrée dans le bureau. Le Président de la Cour relève alors des incohérences dans ses propos, celle-ci ayant notamment lors d’auditions précédentes affirmé être entrée dans le bureau et avoir pu lire sur la liste les trois premiers noms et avoir lu l’intitulé de la liste.  Différentes incohérences et contradictions ont aussi pu être relevées par la Défense. Des problèmes de mémoire ont été soulevés par la témoin en raison de problèmes de santé plutôt récents. En outre, la témoin, ayant des problèmes de vue, n’a pas pu distinguer sur l’écran Eugène RWAMUCYO et affirme si elle le reconnaissait ou non.

La journée s’est poursuivie avec l’audition de Monsieur Abel DUSHIMIMANA, ancien collègue de Eugène RWAMUCYO au CUSP. Monsieur DUSHIMIMANA, lors de son audition, a relaté trois éléments marquants par rapport à l’accusé. Tout d’abord, il aborde l’élection du directeur du CUSP à laquelle Monsieur DUSHIMIMANA était candidat. D’après le témoin, l’accusé aurait pris le rôle de directeur de campagne de son adversaire. Il souligne que l’argument de campagne employé ne reposait pas sur ses compétences professionnelles mais sur un argument ethnique et régional. L’accusé aurait notamment dit « on ne peut pas permettre à un Tutsi en provenance du sud d’être élu ». (Il était dit que celui-ci aurait changé d’ethnie et ne serait pas réellement Hutu). Deuxièmement, le témoin affirme s’être vu refuser la reprise de son poste de directeur par le vice-recteur en complicité avec Eugène RWAMUCYO qui aurait fait en sorte qu’il s’oppose à la reprise de son poste. Dernièrement, le témoin souligne l’engagement politique de l’accusé qui est devenu membre du bureau politique de la CDR, parti opposé au FPR. Il ajoute notamment que l’accusé lui aurait dit « si vous continuez comme cela, on peut aller jusqu’à vous tuer ». Il affirme que Eugène RWAMUCYO avait toujours une position très négative envers les personnes du Sud.

L’accusé a pu répondre suite à ces affirmations. Il a notamment déclaré : « je n’ai jamais considéré que je parlais avec un Tutsi » et a fini son intervention par un mot d’excuse : « Aujourd’hui j’ai compris que j’ai vexé des personnes, je ne savais pas que je les avais vexées. Je m’ excuse ». Sur ces paroles, l’audition s’est achevée. (Fin).

Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France