Procès pour génocide Hategekimana/Manier à Paris, 22 mai 2023. J7

           Audition de Callixte KANIMBA, colonel de gendarmerie à la retraite.

           Audition de Jean-Marie Vianney NZAPFAKUMUNSI, MUNSI depuis sa naturalisation, ancien lieutenant-colonel de gendarmerie.

           Audition d’Erasme NTAZINDA, maire de NYANZA.

•           Audition de l’abbé Hormisdas NSENGIMANA, cité à la demande de la défense.

________________________________________

Audition de monsieur Callixte KANIMBA, colonel de gendarmerie à la retraite, en visioconférence de KIGALI.

Le témoin connaît Philippe HATEGEKIMANA, ils ont combattu ensemble à RUHENGERI. Il est à la retraite depuis 2014.

A la demande du président, monsieur KANIMBA décline les étapes de sa carrière. Il occupait un poste important à KACYIRU, comme commandant de quatre compagnies de gendarmes : celle de Nyamirambo, de GIKONDO, de Remera et de Nyarugenge. La compagnie de l’aéroport de KANOMBE était sous le commandement du colonel Jean-Marie Vianney NZAPFAKUMUNSI qui sera entendu dans la matinée.

Le témoin précise que certains officiers avaient une escorte. C’était le cas de Laurent RUTAYISIRE (NDR. Il a refusé de venir témoigner) qui aurait été inquiet pour sa sécurité).

Le témoin connaît le surnom BIGUMA de l’accusé, seul gendarme à porter ce pseudonyme. Ils sont restés trois ans ensemble à RUHENGERI.

Pendant toute son audition, le témoin va affirmer que Philippe HATEGEKIMANA est arrivé à KIGALI avec la compagnie de BUTARE le 19 avril sous le commandement de Cyriaque HABYARABATUMA. Ce que ce dernier, entendu le mardi 16 mai, a démenti. Augustin NDINDILYIMANA, entendu le même jour, parle de la mi-mai.

Contrairement à ce qu’a prétendu l’accusé, Philippe HATEGEKIMANA ne s’est pas présenté à lui dès son arrivée. Il n’était pas sous ses ordres.

Le témoin dit avoir quitté KIGALI le 29 ou le 30 mai pour GIKONGORO. Il n’y a pas croisé BIGUMA. C’est d’après les médias qu’il aurait appris que l’accusé était venu en France.

Monsieur le président ne comprend pas très bien : « Il y a un mystère HATEGEKIMANA. Laurent RUTAYISIRE dit que l’accusé a été son chef d’escorte mi-mai 1994 ! »

Maître GUEDJ, pour la défense, conteste cette date.

Sur questions du président, le témoin évoque son départ de Kigali : d’abord pour le CONGO (Kinshasa), puis le Gabon. De là, il est rentré à Kigali. Il n’a gardé aucun contact avec l’accusé.

La seule question que le témoin se pose en conclusion : « Qui a muté Philippe HATEGEKIMANA à KACYIRU ? C’est la question. »

Sur questions des avocats des parties civiles, le témoin dit qu’il connaît BIGUMA depuis 1993, étant originaire d’une commune voisine, celle de KARAMA. Il ne sait pas si l’accusé a quitté KIGALI avec Laurent RUTAYISIRE, étant lui-même déjà parti de la capitale.

Sur question du président, Callixte KANIMBA n’a pas été poursuivi pour génocide. Il a rejoint le FPR en 1996. A Bukavu, comme au Gabon, il a rejoint les Frères Maristes. Il savait que les Tutsi étaient massacrés mais ne savait pas qui organisait les massacres ! Au camp de Kacyiru, il n’y avait pas d’Interahamwe. Il ne sait pas non plus si des gendarmes ont été impliqués dans les massacres. Il ne sait pas non plus si des Tutsi ont été tués sur les barrières car à partir du 6 avril, il n’a pas quitté le camp KACYIRU ! (NDR. Qui peut le croire ?) Sauf pour se rendre à une réunion le 7 avril à trois ou quatre kilomètres du camp. Sur le trajet, aucune barrière ! Tout était calme, seuls quelques bruits de tirs. Des militaires ont participé aux massacres, mais pas les gendarmes, pas en sa présence en tout cas.

C’est par une dame qu’il a appris ce qui était arrivé à Antoine NTGUGURA (NDR. Sa fille s’est constituée partie civile.)

Lors de son départ de KIGALI, il n’a rencontré qu’une seule barrière, à GIKONGORO !

A son retour au Rwanda, il a été affecté à l’Etat-major, comme commandant de 2010 à 2014. Il n’a jamais subi de pression en vue du procès, n’a jamais été inquiété.

Maître PHILIPPART se présente comme avocate de la fille d’Antoine NTAGUGURA, professeur à NYANZA, qui aurait été tué par des gendarmes.

Le témoin : « Je connais bien son papa. On parle de Philippe HATEGEKIMANA dans ce dossier. Mais je n’en sais pas plus. »

L’avocate générale, madame VIGUIER, a beau faire remarquer au témoin que BIGUMA n’est pas parti ce jour-là de NYANZA, ce dernier continue d’affirmer que les gendarmes de BUTARE ont rejoint KACYIRU le 19 avril. Il est affirmatif, même si l’accusé dit le contraire. Possible que BIGUMA soit venu après ? « Possible, mais… » De toutes façons, monsieur KANIMBA reconnaît ne pas savoir ce qui s’est passé à NYANZA.

La seconde avocate générale, madame AÏT AMOU, refait dire au témoin que l’accusé ne s’est pas présenté à lui lors de son arrivée à KACYIRU. Il a « croisé » BIGUMA au camp de KACYIRU et confirme que ce dernier a bien été affecté à la défense du camp. L’avocate lit la déposition de Laurent RUTAYISIRE : BIGUMA a été détaché dans la seconde moitié de mai 1994.

Maître GUEDJ, pour la défense, questionne le témoin à son tour. Monsieur KANIMBA n’a pas été témoin d’actes criminels commis par l’accusé. Lui-même n’est jamais allé à NYANZA en 1994. Si BIGUMA a été muté à KACYIRU, ce n’est pas pour être affecté à la protection de Laurent RUTAYISIRE. Il ne connaît pas la date de cette affectation.

Avocat : « Laurent RUTAYISIRE était-il inquiet pour sa sécurité ? »

Témoin : « Il ne s’entendait pas bien avec les officiers du Nord. Personnellement, je n’ai pas craint pour ma sécurité. » C’est la première fois qu’il est entendu qu’il est entendu dans le cadre du génocide.

Avocat : « Quelles fonctions avez-vous occupées après le génocide ? »

Témoin : « J’ai été commandant de regroupement à BUTARE, RUHENGERI et KIGALI. Puis officier au Bureau 1, commandant de bataillon puis de brigade. » Il confirme qu’il a été promu par le FPR et qu’il a participé à des missions à l’extérieur du pays.

« Personne n’est venu me parler avant mon audition » répond le témoin sur question de l’avocat de la défense.

Audition de monsieur Jean-Marie Vianney NZAPFAKUMUNSI, MUNSI depuis sa naturalisation, ancien lieutenant-colonel de gendarmerie, cité à la demande du ministère public.

Le témoin évoque rapidement sa situation en avril 1994. Il commandait la compagnie de l’aéroport de KANOMBE, puis a été désigné officier S3 du camp KACYIRU. Son supérieur direct était le gendarme Nyirimanzi, la gendarmerie étant passée sous les ordres de l’armée. Selon des rumeurs, des officiers ont été mutés car ils n’étaient pas très « chauds » pour s’engager dans le génocide.

Callixte KANIMBA l’a remplacé en novembre 1993. Il n’a jamais eu BIGUMA sous ses ordres.

Le témoin connaît bien BIGUMA qui a travaillé au Bataillon commando de RUHENGERI. Il se souvient de lui comme d’un grand sportif. Il connaissait aussi son épouse qui était sous ses ordres quand il était sous-lieutenant, croit-il se souvenir. Depuis 1994, il n’a pas revu Philippe HATEGEKIMANA. Contrairement à ce que dit l’accusé, le témoin ne l’a jamais rencontré au camp KACYIRU. Il ne sait pas non plus si BIGUMA a été nommé à l’escorte de Laurent RUTAYISIRE. « Ce n’est pas logique qu’un adjudant-chef soit nommé chef d’escorte d’un officier, mais ça pouvait arriver » poursuit le témoin.

A-t-il entendu dire des choses sur l’implication des gendarmes à NYANZA ? Non, il n’est jamais allé à NYANZA.

Le témoin est amené ensuite à évoquer les troubles que le Rwanda a connus au moment du multipartisme. Allusion à la mise à la retraite de SERUBUGA et de RWAGAFILITA qui lui reproche son éviction.

Le président fait remarquer au témoin que malgré sa mauvaise entente avec RWAGAFILITA il aurait participé à ses obsèques. NZAPFAKUMUNSI rétorque que c’est dans la culture rwandaise d’accompagner un défunt à sa dernière demeure, même si ce n’était pas un ami.

Maître KARONGOZI fait remarquer au témoin qu’il n’y avait pas beaucoup d’adjudant-chef dans la gendarmerie. Être sportif était un plus.

A NYANZA, BIGUMA était responsable de l’octroi des permis de conduire ?

Le témoin : c’était une organisation interne. Lui-même l’a été. C’était un poste important à l’époque.

Le ministère public interroge le témoin sur sa fuite du Rwanda.

Le témoin : il a rejoint la France à partir du CAMEROUN. Il a utilisé les services des passeurs (NDR. Comme BIGUMA). Il a sollicité l’asile en utilisant son vrai nom, il n’a jamais menti sur son identité ni sur sa fonction au Rwanda. (NDR. Ce n’est pas ce qu’a prétendu l’accusé qui s’est dit obligé de ne pas évoquer son passé de militaire pour obtenir l’asile).

Le président cherche à savoir si les gendarmes possédaient des mortiers, voire un hélicoptère à NYANZA ;

Le témoin : pour NYANZA, qui était une unité indépendante, il ne sait pas. Mais la gendarmerie pouvait demander le soutien des militaires pour obtenir un hélicoptère.

C’est au tour de la défense de pouvoir interroger le témoin. Maître ALTIT fait savoir au président qu’il aura besoin d’une heure pour poser ses questions.

Après avoir demandé au témoin s’il préfère est entendu le soir-même ou s’il préfère revenir, monsieur le président décide de le convoquer à une date ultérieure qu’il lui fera connaître.

Audition de monsieur Erasme NTAZINDA, maire de NYANZA, en visioconférence de KIGALI, convoqué en vertu du pouvoir discrétionnaire du président. Il s’est constitué partie civile au début du procès.

 Le troisième témoin de la journée est Erasme NTAZINDA, l’actuel maire de NYANZA et rescapé du génocide des Tutsi. Dans sa déclaration spontanée, Erasme NTAZINDA raconte son parcours. Il est né à NYANZA. Plus tard, il est parti au nord du pays pour ses études à l’Université de NYAKINAMA. Au cours de ses études, il a observé les conséquences de la ségrégation et la mise en avant de l’ethnie, qu’il ressentait moins à NYANZA, notamment au sein de son organisation étudiante. Un exemple significatif : un candidat à la présidence de l’association des étudiants mentionnait sa nationalité hutu !

Quand Monsieur NTAZINDA a appris l’attentat contre le Président le 6 avril 1994 et le début des massacres partout dans le pays, il est vite rentré à NYANZA, où les massacres ont commencé plus tard. Au cours du génocide, le témoin a perdu sa sœur, son oncle, sa femme et leurs enfants lors du massacre de la colline de KARAMA.

Le témoin affirme la grande place qu’ont tenue les forces de l’ordre dans le génocide au Rwanda. Il a fallu que des militaires viennent « sensibiliser » au massacre pour que la population commence à participer au génocide. Dans cette région, il n’existait pas de ségrégation apparente avant avril 1994. Pour encourager la population à massacrer, il lui a notamment été dit que tuer un tutsi, cela permettait de récupérer ses biens après.

Le témoin se réfère à plusieurs reprises à un rapport, un rapport en kinyarwanda réalisé par des universitaires sous la direction de Déo BYANAFASHE ; Ce document, traduit en français, nous informe sur les massacres qui ont eu lieu dans la région et sur leurs conséquences.

Après sa déposition spontanée, le président LAVERGNE demande au témoin d’éclairer le jury sur l’histoire de la royauté et sur la place que le roi avait particulièrement à NYANZA. NYANZA est en effet le lieu de la dernière demeure du roi et de la reine tutsi. Cette présence permettait, selon Monsieur NTAZINDA, une certaine cohésion au sein de la population. C’est pour cette raison que pendant le génocide, les symboles de cette monarchie ont été pris pour cible. La reine, Rosalie GICANDA, sera une des premières victimes à BUTARE (NDR. Rentrée depuis peu de Belgique, elle subira une mort atroce et humiliante).

Le témoin est ensuite amené à s’exprimer sur les conséquences actuelles qu’il observe dans la ville de NYANZA en tant que maire. NYANZA était une ville refuge pour beaucoup de Tutsi, elle a ainsi connu beaucoup de pertes de vies humaines. Il parle d’un manque de cohésion, de grand nombre de situations de précarité et de traumatisme pour les habitants de la région. Plusieurs dispositifs ont été mis en place pour proposer des suivis psychologiques et matériels et pour entretenir le processus de mémoire du génocide. Il affirme que le pardon est prêt à être accordé pour ceux qui le demandent, mais ce pardon doit se faire sur la base d’une reconnaissance du passé.

Maître ALTIT, pour la défense, attaque le témoin en rappelant au jury que Monsieur NTAZINDA a rejoint l’armée du FPR et qu’il s’est présenté en tant que maire sous l’étiquette du FPR.

Audition de l’abbé Hormisdas NSENGIMANA, cité à la demande de la défense, en visioconférence depuis l’Italie.

Le dernier témoin de la journée est l’abbé Hormisdas NSENGIMANA. Il est entendu en visioconférence depuis l’Italie où il exerce actuellement son ministère. Il affirme très bien connaître l’accusé puisqu’ils sont originaires de villages voisins, et qu’ils se sont côtoyés à l’église et à l’école. Il dit connaître aussi Dafroza et Alain GAUTHIER, ce dernier ayant été son professeur de français à SAVE.

Le témoin, dans sa déclaration spontanée, raconte son parcours. Il était directeur du collège du Christ Roi à NYANZA avant et pendant le génocide. Quand le FPR a pris la ville, il est parti à GIKONGORO, puis au CONGO et au CAMEROUN. C’est là qu’il a été arrêté afin d’être jugé par le TPIR au sujet de nombreuses accusations dont la direction d’escadrons de la mort et d’autres groupes d’attaquants. À la suite de témoins défaillants, Monsieur NSENGIMANA a été acquitté et est parti se réfugier en Italie. Après avoir parlé de son parcours, le témoin clame l’innocence de Philippe HATEGEKIMANA au motif qu’il était une personne « très équilibrée » et qu’il n’opérait pas de différence de traitement entre Tutsi et Hutu.

Monsieur le Président LAVERGNE va ensuite questionner le témoin sur les faits commis à NYANZA pendant le génocide. C’est avec assurance que l’abbé NSENGIMANA va affirmer qu’il n’a rien vu, qu’il est resté chez lui pendant l’intégralité du génocide, à part pour faire ses courses au marché et pour voit l’évêque de BUTARE, monseigneur GAHAMANYI, afin de lui demander quel comportement il devait avoir ! L’évêque lui aurait dit de rester dans son collège. Il n’a, selon ses dires, pas croisé l’adjudant-chef HATEGEKIMANA entre le 6 avril et la fin mai 1994 et ne l’a donc pas vu participer au massacre, ni lui, ni personne d’autre. Il n’aurait pas entendu parler du massacre de l’ISAR SONGA ou des autres tueries qui ont ravagé la région. Il n’a pas eu vent des meurtres des prêtres, de tutsi dans l’église de NYANZA, et n’a pas vu de corps lors de ses rares sorties. Il a vu quelques barrières mais ne sait pas qui les a érigées ou qui les contrôlait. Il dit qu’il ne sait pas pourquoi des gens ont tué, et qu’il faudrait plutôt leur demander à eux. Quand sont lus des extraits de son arrêt de jugement, le témoin clame ne pas avoir ce jugement sous les yeux et que rien n’empêche le président et les parties civiles de lui lire un faux extrait de jugement.

Il affirme tout de même être resté en contact avec l’accusé après le génocide et l’avoir revu en France il y a quelques années. Pour argumenter l’innocence de BIGUMA, il mentionne une anecdote selon laquelle l’accusé aurait aidé une famille de NYANZA à héberger une famille tutsi qui se cachait, en facilitant le transfert.

Les avocats des parties civiles qui remarquent qu’il n’a jusqu’alors jamais utilisé le mot génocide, mais utilise plutôt les mots « conflits », « guerre » « tensions », lui demandent s’il considère qu’il y a effectivement eu un génocide au Rwanda. Ce à quoi il répond que la question a été tranchée par les juges du TPIR, « on n’y revient pas ».

Avant de suspendre l’audience, monsieur le président porte à notre connaissance qu’il a demandé au général VARRET de se présenter devant la cour jeudi en fin d’après-midi. L’audience est suspendue à 16h45 et reprendra le lendemain à 9h par une audition en visioconférence. (Fin).

Compte rendu réalisé par le CPCR(Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda). Margaux GICQUEL, stagiaire ; Alain Gauthier, président du CPCR ; et Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.