Le message du Président français Emmanuel Macron lors de son visite au Mémorial de Kigali pour rendre hommage aux victimes du Génocide
Dans son discours au Mémorial de Gisozi à Kigali, le Président MACRON s’est engagé à donner plus de moyens à la justice française dans la poursuite des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide du Rwanda et qui vivent en France. Le CPCR interpelle le président pour connaître les décisions concrètes qui seront prises.
Monsieur Le Président de La République,
Comme vous le savez, le principe de compétence universelle autorise le pouvoir judiciaire français à poursuivre et à condamner les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi et qui résident en France. Malheureusement, nous avons constaté, dans les années qui ont suivi le génocide des Tutsi au Rwanda, une inaction complète des autorités françaises alors qu’il était de notoriété publique que de nombreux criminels s’étaient réfugiés dans notre pays, parfois avec l’aide de hauts responsables français.
Révoltés par cette situation, nous inspirant de ce qui avait été fait en Belgique, nous avons dès 2001 constitué une association, aujourd’hui reconnue d’intérêt général, dénommée « Le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda », CPCR, dont l’objectif est la poursuite des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi vivant sur le sol français. Pour cela, nous nous sommes investis dans un immense travail d’enquête, essentiellement au Rwanda, afin de recueillir des témoignages nous permettant de déposer entre les mains du Doyen des juges d’instruction compétents des plaintes avec constitution de partie civile.
Malgré les très nombreux obstacles qui nous ont été opposés, nous avons pu constituer à ce jour une trentaine de dossiers et sommes fiers d’avoir poursuivi le premier criminel condamné par une juridiction française pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité, monsieur Pascal SIMBIKANGWA , le 14 mars 2014, par arrêt de la cour d’assises de Paris, confirmé par arrêt de la cour d’assise de la Seine-Saint-Denis devenu définitif le 25 Mai 2018 après rejet d’un pourvoi par la Cour de cassation.
Depuis, seuls deux autres criminels que nous avons poursuivis ont été condamnés pour génocide, messieurs BARAHIRA et NGENZI, à la peine de réclusion criminelle à perpétuité. Monsieur MUHAYIMANA sera jugé du 22 novembre au 17 décembre. Nous avons appris hier que monsieur BUCYIBARUTA serait jugé du 9 mai au 1 juillet 2022. Deux autres affaires, concernant deux médecins, sont en cours d’audiencement. De nombreux autres dossiers sont en souffrance.
La lenteur des procédures d’instruction sont révoltantes. A titre d’exemple, la plainte que nous avons déposée à l’encontre de Madame Agathe HABYARIMANA en février 2007 est toujours en cours d’instruction alors que le statut de réfugiée lui a été refusé, considérant qu’elle portait de lourdes responsabilités dans le génocide des Tutsi. Refusée également sa carte de séjour.
Une telle situation est absolument incompréhensible dans la Patrie où a été signée la Déclaration des Droits de l’Homme et monsieur Vincent DUCLERT, auteur d’un rapport que vous aviez commandité, a récemment demandé qu’il y soit mis fin par des mesures fortes.
Nous nous sommes réjouis de votre discours du 29 mai à KIGALI, avec certaines réserves toutefois, et avons remarqué votre annonce solennelle de «poursuivre l’œuvre de justice» en vous engageant «à ce qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper au travail des juges». Vous reprenez ainsi notre propre engagement depuis plus de 20 années «Pour que Justice soit faite». Malgré notre ardeur, notre travail incessant, le bilan, après 27 années, est très inquiétant et révolte à juste titre les familles et amis de plus d’un million de victimes de ce génocide pour lequel vous avez reconnu solennellement les responsabilités de la France.
Depuis 27 années, nous avons entendu de nombreux engagements, hélas rarement suivis d’effet, sauf la constitution du pôle spécialisé en 2012 que nous avions appelé de nos vœux. Et ce malgré un nombre considérable de courriers à différentes autorités de notre pays, courriers restés sans effet.
Dans la mesure où vous avez eu le courage, ce qui a été reconnu par le Président KAGAME , de créer la commission DUCLERT puis très rapidement de faire vôtres ses conclusions , nous espérons que, dans les semaines qui viennent, vous userez de votre autorité et de la légitimité que vous donne vos déclarations historiques, pour imposer des mesures draconiennes pour que les tueurs présents sur notre sol soient enfin jugées et cela, dans l’urgence, car, vous le savez , les deux décennies perdues ne se rattraperont pas . Des témoins en grand nombre sont déjà décédés et nous ne cessons de répéter que le temps joue en faveur des bourreaux.
Nous nous permettons de faire quelques suggestions. La création du pôle spécialisé a été un progrès incontestable mais il manque de juges d’instruction travaillant uniquement sur le génocide des Tutsi. Il serait nécessaire, par exemple, de créer une section à laquelle serait affectée un plus grand nombre de juges qui y travailleraient à temps plein. Pour accélérer les jugements, il serait nécessaire également d’organiser des sessions d’assise simultanées ; le développement des enregistrements décidé récemment pour rétablir la confiance dans notre justice, devrait faciliter cette nouvelle organisation puisque le nombre de salles équipées sera beaucoup plus important.
Vous savez que le CPCR s’est battu depuis 20 ans pour que les juridictions françaises acceptent d’extrader vers le Rwanda et cela, en vain, compte tenu de la résistance de la Cour de cassation.
L’exemple le plus révoltant est celui de Agathe HABYARIMANA dont l’extradition a été refusée en 2011. Dans le cadre du rétablissement de bonnes relations avec le RWANDA, nous pensons que la signature d’une convention d’extradition entre les deux pays permettrait un progrès important.
Par ailleurs, l’opinion publique internationale, spécialement rwandaise et française, a besoin de mesures fortes qui signifient que l’impunité est terminée, que dorénavant tout sera fait pour la recherche de la vérité, même si certains esprits tentent de résister, souvent pour des motifs trop personnels, en tout état de cause bien éloignés de la recherche de la justice et du respect de la dignité.
Nous sommes la patrie où a été signée la Déclaration des Droits de l’Homme ; soyons la patrie des Droits de l’Homme
Nous vous remercions infiniment de prêter la plus grande attention à notre requête ou plutôt à la requête des disparus et des familles de victimes, des mutilés physiques ou moraux et de leurs amis. Vous pourrez ainsi rendre à notre pays sa grandeur politique et morale, ce que vous avez commencé à KIGALI il y a quelques jours en prenant de la hauteur et ainsi en échappant aux esprits partisans, souvent peu soucieux dans les faits des Droits de l’Homme.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.
Pour Alain GAUTHIER, président du CPCR
Madame Dafroza GAUTHIER, co-fondatrice de l’association. (Fin)