L’écrivain JMV Rurangwa
C’est hier le 30 Juin 2022 que la pièce de théâtre « Essuie tes larmes, et tiens-toi debout » de Jean-Marie-Vianney Rurangwa a été présentée au site mémorial de Gisozi. L’activité s’inscrit dans le cadre de la 28ème Commémoration du Génocide des Tutsi.
Comme on peut s’y attendre, la pièce passe en revue les souffrances indicibles qu’ont traversées les Tutsi depuis la colonisation qui a divisé les Rwandais pour asseoir les bases de l’extermination d’une partie de la population de 1959 à 1994.
On revoit les diverses théories du peuplement du Rwanda par des populations d’origine bantoue et d’autres de souche hamitique ou nilotique. Puis vint les jours où l’on a divisé les Rwandais en trois ethnies : Hutu, Tutsi et Twa. Mais le personnage principal interroge comment le pays est allé à la dérive. Comment la chair des Tutsi a été livrée aux chiens et aux chacals.
« Ils avaient des champs et du bétail. Ils vivaient dans un beau pays. Rien ne leur manquait pourtant », dit-il en se jurant d’écrire et de dire le calvaire qu’ont enduré les siens.
Sous un jeu de lumière clair-obscur, sombre, et dans un rythme de chants populaires accompagnés de flûte, le spectacle est saisissant et vibre d’émotion intense dans un environnement lugubre.
Vue partielle de sa Troupe Culturelle et Artistique
D’habitude, dans leurs croyances, les Rwandais étaient convaincus que l’Imana ou Dieu Tout-Puissant passe sa journée ailleurs, et rentre le soir au Rwanda. Mais un jour, Dieu n’a pas passé la nuit au Rwanda. Le pays a été alors livré aux vautours et aux rapaces. Sinon au long exil des siens, comme le traduit le refrain sur scène : «Agiye i Shyanga inyuma y’ishyamba. A cause de la haine, c’est-à-dire : Il s’en va dans l’errance et le long exil, loin de ses forêts. A cause de la haine ».
Le personnage central évoque avec peine son village d’enfance de Nyarunazi et de son long exil.
Mais un jour, la nostalgie irrésistible de regagner la mère-patrie, au prix d’immenses sacrifices et du sang, saisit les Rwandais. C’est à partir de là que le pays au triste destin est transformé en charniers d’innocents. Entendez ici le Génocide des Tutsi.
Un chef milicien du Parti extrémiste Coalition pour la Défense de la Démocratie (CDR) se fait nommer Nyagasani, le Tout-Puissant
Il fait trembler le pays. Il arrête, torture, dépouille, viole et tue impunément. « Votre place n’est plus au Rwanda. Mais dans les eaux des affluents du Nil. Les crocodiles se régalent de votre chair », vociféra l’impénitent Nyagasani, ancien camarade de classe des victimes suppliciés.
« Un Prof et camarade de classe, comment peut-il m’envoyer à la mort ? S’il s’agissait d’un vilain voyou, peut-être, je comprendrais », fait remarquer le jeune Bugabo, avant de mourir supplicié.
Sa belle fiancée Kamagaju s’éteindra après avoir été torturée et abusée dans son intimité, sous les ricanements sadiques du chef des milices CDR.
De cette même manière, les bourreaux avinés extermineront enfants, jeunes, femmes et vieux de l’ethnie tutsi.
A la fin, les bourreaux sont à leur tour hantés et torturés par le souvenir de leurs crimes, comme le rapporte le jeune Philibert :
« Le souvenir des victimes que suppliciés refait surface sur ma conscience et m’empêche de dormir. Mon cœur n’est point en paix nuit et jour à aucun moment. J’ai perdu mon calme et ma sérénité. Je suis même prêt au suicide pour échapper au souvenir de mon mal. Je reste pourchassé par le regard accusateur des innocents que j’ai immolés », confesse-t-il, éperdu, avant d’ajouter, suffocant :
« Nous avons déshumanisé nos victimes pour les tuer ensuite comme des insectes, des cancrelats, après les avoir dépouillées de leur valeur humaine et de leur dignité. Le crash de l’avion du Président Habyarimana fut un prétexte pour les exterminer et servir de justification face à la Communauté Internationale. L’attentat a réveillé le monstre qui sommeillait en nous », avoue-il.
Puis il raconte les méthodes de tueries :
« Nous avons jeté les bébés contre les murs et fracassé leurs crânes. Nous avons jeté nos victimes dans les rivières infestées de crocodiles qui se régalent de leur chair ou les laissent prendre le chemin de leurs origines en Abyssinie. Nous avons violé les femmes devant leurs enfants, ou les jeunes filles devant leurs parents. Nous avons planté des piquets de bambous dans leur intimité. Nous avons fait violer des femmes et des jeunes filles par des miliciens infectés du VIH/Sida. Pour les exterminer tous. C’est cela notre drame. Comme il est terrible le regard des morts. C’est cela le trauma dont nous souffrons. Nous avons fui dans le haschisch et les boissons alcoolisées. Un vain médicament », confesse un milicien criminel sorti de ses gonds, abasourdi et hagard.
Un autre personnage à la mince silhouette élancée expose l’être et le néant, et parle de sa torture par les miliciens et de son salut par les combattants de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) :
« Quand je me suis sauvé en courant vers la famille de ma fiancée Virginie Nyirangazali, alors que tous les miens venaient d’être lynchés à mort, j’ai trouvé ma fiancée couchée sur le dos, le corps transpercé de couteaux, et la tête traversée par une flèche. Elle gisait dans le sang. Les bourreaux ont décidé de me brûler vif et de mettre mon corps sur les corps des membres de ma belle-famille. On préparait déjà le bûcher pour me supplicier quand miraculeusement les combattants de l’APR sont apparus. Je fus ainsi sauvé à la dernière minute. Mais le souvenir atroce de l’image de ma fiancée me hante. Je trouve le salut dans l’alcool. Je ne vis plus. Je suis le néant même ».
Un autre personnage a décidé de témoigner le restant de ses jours :
« Je parlerai toujours de la folie meurtrière du Hutu Power. Je demeurerai inconsolable. Je dirai au monde toutes mes souffrances. C’est ma raison d’être ».
C’est ainsi que sur scène, on entonne le chant collectif de consolation : « Essuie tes larmes, toi qui a perdu tous les tiens. Et tiens-toi debout. Agis de sorte que ce qui s’est passé ne se reproduise plus (Never Again). Ainsi se termine la pièce sur une note d’espoir.
Après la présentation de la pièce, l’auteur JMV Rurangwa, qui a écrit cette pièce et d’autres nombreuses certes, a informé que le présent ouvrage a été rédigé en 2003. Elle a été jouée au Canada où réside l’écrivain, en Ouganda, et en Egypte. Il affirme qu’il a ajouté d’autres éléments.
« J’espère que cette pièce a servi de catharsis, et vous a invités à la réflexion, même si elle suscité de l’émotion. Ainsi la douleur partagée est à moitié guérie. C’est un soulagement comme fiction de théâtre », a-t-il noté.
Puis il a présenté sa Compagnie Culturelle et Artistique qui porte son nom et qu’il vient de fonder.
Il a informé que cette Troupe présentera une autre pièce ce 04 Juillet à Rebero en guise de Célébration du 28ème Anniversaire de la Journée de Libération. Le public est invité.
Ensuite le sage et écrivain Antoine Mugesera s’est réjoui d’avoir maintenant JMV Rurangwa comme Expert en théâtre :
« Mon message est de vous exhorter à plus de vigilance pour empêcher que ce qui s’est passé ne soit pas réédité. Il faut bâtir un Rwanda nouveau qui réconcilie tous les Rwandais », a-t-il souligné. (Fin)