Des déplacés du camp de Rusayo attendent pour collecter de l’eau. Près de 100.000 personnes fuyant le conflit au Nord-Kivu vivent dans ce camp. Le manque d’eau potable pose un risque de santé sérieux pour les déplacés. © Michel Lunanga/MSF
Dans les camps aux abords de Goma, près de 600 000 personnes déplacées vivent depuis des mois dans des conditions d’extrême précarité, avec un accès insuffisant à la nourriture, exposées à la violence. Dans certains sites, les équipes de MSF ont pu constater des taux de mortalité et de malnutrition alarmants. Les agences des Nations Unies ont récemment annoncé qu’elles allaient intensifier leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes dans l’est du pays. Il est urgent que ces intentions se traduisent en une assistance et une protection à la hauteur des besoins sur le terrain.
Taux de mortalité alarmants
Médecins Sans Frontières (MSF) constate depuis plusieurs mois la lenteur du déploiement et le niveau insuffisant de l’aide apportée aux personnes qui ont fui les combats suite à la résurgence du groupe armé M23 au Nord-Kivu. Dans plusieurs camps autour de la ville qui accueillent près de 600 000 personnes selon les chiffres des Nations Unies[i], les déplacés continuent de manquer d’assistance, et notamment de nourriture et d’abris, en quantité et qualité suffisantes, et ce malgré une certaine augmentation de l’aide ces dernières semaines.
Vendredi 16 juin, le système des Nations-Unies a décidé de relever le niveau de gravité attribué à cette crise jusqu’au niveau maximal dans l’échelle des organisations onusiennes. S’il s’agit d’un signe positif, il est urgent que cette prise de conscience se traduise en une augmentation significative, rapide et tangible de l’aide fournie aux populations sur le terrain.
En avril, MSF a mené une enquête de mortalité rétrospective dans les camps de Rusayo, Shabindu et Don Bosco, couvrant la période de janvier à avril. Cette enquête révèle des taux de mortalité alarmants chez les enfants de moins de 5 ans. A Rusayo, où l’on estime le nombre d’habitant entre 85 000[1] et 100 000, plus de 3 enfants sont décédés chaque jour en moyenne (1,6 décès pour 10 000 enfants par jour) de causes diverses, sur la période analysée.
Par ailleurs, à Elohim, qui comptait environ 4 000 habitants au moment d’une évaluation nutritionnelle rapide réalisée fin mai, les chiffres collectés par MSF étaient bien au-delà des seuils d’urgence, les taux de malnutrition aiguë sévère atteignant 4,9% chez les enfants de moins de 5 ans. Concrètement, en mai, un quart des enfants vivant dans ce site ont été pris en charge par MSF pour une forme de malnutrition. Dans ce même site, de nombreuses personnes déplacées rapportaient aux équipes n’avoir reçu aucune aide alimentaire depuis leur arrivée, pour certains en janvier. Dans d’autres sites, comme à Rusayo ou Shabindu, des distributions de nourriture ont été effectuées, mais seule une partie des habitants en a bénéficié. D’autres facteurs de risque viennent s’ajouter à cette situation nutritionnelle alarmante, comme des cas de rougeole et de choléra.
Manque de nourriture
Le manque de nourriture a également des conséquences chez les adultes, et notamment chez les femmes. Elles sont nombreuses à devoir quitter les camps et leur famille dans la journée pour tenter de trouver de la nourriture ou collecter du bois à l’extérieur, s’exposant ainsi à toute forme de violences, notamment sexuelles. Début mai, MSF a alerté sur le nombre élevé de femmes déplacées victimes de violences sexuelles ; 674 comptabilisées en deux semaines dans les camps de Bulengo, Lushagala, Kanyaruchinya, Elohim, Munigi et Rusayo. Aujourd’hui ce nombre demeure très important, atteignant toujours une quarantaine de victimes recensées par jour dans ces mêmes sites. Pourtant, malgré une apparente prise de conscience de la gravité de la situation de la part des acteurs humanitaires, les mesures d’aide et de protection ne bénéficient à l’heure actuelle qu’à une faible proportion des victimes. Il est urgent que la sécurité des populations civiles soit assurée à l’intérieur et à l’extérieur des camps.
« Cette situation catastrophique est d’autant plus incompréhensible qu’elle se déroule à proximité d’une grande ville comme Goma, là où l’aide pourrait facilement être déployée. Des activités de secours sont développées ici et là, mais sans aucune coordination ni vue d’ensemble de la situation dans les camps. L’ampleur de la mobilisation du système de l’aide est loin d’être suffisante, et beaucoup trop lente. Il y a également un manque de visibilité et d’information criant sur l’aide fournie, et sur le nombre de bénéficiaires, des informations pourtant nécessaires à la bonne organisation des secours » s’indigne le Dr. Guyguy Manangama, responsable des programmes d’urgence pour MSF.
Faible mobilisation
Les conditions de vie déplorables dans lesquelles les personnes déplacées sont contraintes de survivre depuis de nombreux mois sont d’autant plus néfastes qu’elles interviennent après que celles-ci ont fui de graves épisodes de violences. Ainsi, un autre volet de l’enquête conduite par MSF dans les sites de déplacés a démontré que la violence était la première cause (jusqu’à 40% dans certains camps) de l’importante mortalité constatée chez les hommes (avec 2 décès par 10 000 personnes et par jour, soit deux fois le seuil d’urgence établi à 1 décès pour 10 000 par jour), dans la période allant de janvier à fin avril. Ces violences ont notamment eu lieu dans leur lieu d’origine ou sur le trajet qui les a conduits dans la zone de Goma.
« L’ampleur des déplacements et leur durée sont historiques, même pour l’Est de la RDC. Cela donne une idée de l’échelle de la réponse qui doit s’organiser », poursuit le Dr. Manangama. « Or malgré la prise de conscience de la part du système humanitaire, des centaines de milliers de personnes continuent d’être largement négligées de la part des acteurs de l’aide ».
Pendant les premiers mois de la crise en 2022, la réponse humanitaire a été trop lente à se mettre en place, y compris celle de MSF, reconnaît l’organisation. Depuis, MSF n’a pas cessé de mettre en place des interventions pour apporter un soutien aux populations. Aujourd’hui, elle vient de mobiliser un million d’euros supplémentaires afin d’organiser des distributions de produits nutritionnels aux familles les plus vulnérables, notamment celles dont les enfants de moins de 5 ans sont atteints de malnutrition aiguë.
Au-delà des sites de déplacés autour de Goma, la situation humanitaire est également très précaire dans d’autres territoires du Nord-Kivu, comme dans les territoires de Lubero, Masisi ou Rutshuru, par exemple, où MSF est parfois la seule organisation présente sur place, et où le niveau d’aide fourni à la population est également gravement insuffisant. (Fin)