RDC : Ntoro, un village martyr, évacué par les Tutsi trois fois en 30 ans

By Alain Destexhe*

Le village de Ntoro, peuplé au départ de 800 familles, illustre tragiquement le sort des Tutsis congolais. Trois fois depuis 1994, ces éleveurs ont dû abandonner leurs terres. Presque toutes leurs vaches ont été massacrées, et nombre d’entre eux ont été tués par les milices qui sévissent dans la région.

Dès 1995, les génocidaires hutus et l’armée rwandaise défaite ont commencé à s’aventurer toujours plus loin à partir des camps de Goma, où ils étaient généreusement assistés par les organisations internationales, qui fermaient les yeux sur le fait qu’elles aidaient des assassins (y compris les femmes, souvent complices du génocide). Le bétail volé était abattu dans des abattoirs financés par l’aide internationale ! Dépouillés, menacés de mort simplement parce qu’ils étaient tutsis – et pour les génocidaires, il s’agissait d’achever le “travail” – ils ont dû se réfugier au Rwanda ou en Ouganda, où ils ont vécu dans des camps pendant des années.

Le 5 octobre 2023, le village a été incendié par la milice hutue Nyatura, les FDLR et les FARDC. Les troupes burundaises, présentes dans le cadre d’un des multiples “accords de paix”, campaient sur une colline à quelques centaines de mètres. Elles sont restées l’arme au pied, en parfaite complicité avec les incendiaires. Les habitants, ayant eu le temps de fuir à Bwiza, en zone contrôlée par le M23, sont revenus deux mois plus tard, après la reprise de la zone par ce dernier. Ils ont trouvé leur village entièrement dévasté.

Depuis, ils l’ont reconstruit, mais de manière plus concentrée : les habitations isolées – que l’on voit brûler sur les images – ont été jugées trop difficiles à défendre. Le travail accompli est impressionnant. Le bois neuf témoigne de la reconstruction récente. En journée, lors de ma visite, un seul groupe électrogène fonctionne. À quelques kilomètres de là, on voit la ligne électrique qui alimente la ferme de Kabila mais aucun village.

Ces Tutsis congolais, enracinés dans le Masisi depuis toujours, ont été chassés trois fois de leurs terres en trente ans, la dernière fois il y a moins de deux ans. Ils ont été massacrés, leur bétail volé ou tué.

Pourquoi feraient-ils confiance aux autorités de Kinshasa ou à la “communauté internationale” ? Le M23 est leur seul protecteur, le seul garant de leur survie. L’alternative ? Au pire, la mort. Au mieux, une vie indigne dans un camp de réfugiés dans un autre pays que le leur, sous l’assistance des ONG et des Nations Unies, le camp du bien et de la bien-pensance du monde occidental. Ntoro est loin d’être un cas isolé, des centaines de villages ont vécu pire.

Pour l’ONU, l’Union européenne, la Belgique ces gens n’ont sans doute pas le droit de vivre. (Fin).

*Alain DESTEXHE, Sénateur honoraire belge, Ancien secrétaire général de Médecins sans frontières (MSF) international, Initiateur en 1997 de la Commission d’enquête du Sénat belge sur le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.

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