L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop
By Tirthankar Chanda*
Kigali: Romancier et essayiste, le Sénégalais Boubacar Boris Diop est l’une des voix majeures de la littérature africaine contemporaine.
En 1998, Boubacar Boris Diop avait participé à la résidence d’écrivains « Rwanda : écrire par devoir de mémoire » pour comprendre les faits et les rouages du génocide rwandais. Son roman, Murambi, le livre des ossements (2000), né de cette expérience, nous éclaire avec une extrême lucidité sur la barbarie humaine en temps de conflit.
Boubacar Boris Diop a expliqué lors d’une conversation radiophonique que la trame de son roman Murambi, le livre des ossements lui avait été inspiré par les témoignages des rescapés du génocide au Rwanda. En 1998, soit quatre ans après les massacres, il participa avec 9 autres écrivains africains à une résidence d’écriture au Rwanda. Cette résidence était organisée par un collectif culturel basé à Lille, qui s’inquiétait de voir la fiction africaine tarder à prendre en charge la tragédie humaine dont les collines rwandaises furent le théâtre entre avril et juillet 1994, avec quelque 800 000 à 1 million de morts.
Afin de mettre fin à ce « silence assourdissant » des créateurs africains, le collectif invita les écrivains à venir se confronter aux traces encore vivaces des tueries, et écouter les survivants et leurs bourreaux emprisonnés. Les organisateurs espéraient que ces rencontres puissent servir de déclic à la création, permettant de perpétuer à travers la fiction toute l’ampleur et l’horreur de la tragédie rwandaise.
Le déclic a bel et bien eu lieu… Murambi de Boubacar Boris Diop en est la preuve. Ce roman construit comme une enquête, au style volontairement dépouillé, est sans doute l’une des œuvres les plus puissantes et les plus abouties à émerger de cette résidence d’écriture. Celle-ci a donné lieu à une dizaine de livres, tous centrés d’une façon ou d’une autre sur la question de comment raconter la folie meurtrière. Les écrivains invités, parmi lesquels beaucoup ne connaissaient pas le Rwanda, furent marqués à tout jamais par les charniers, les ossements exposés et l’odeur persistante de la mort dans la ville, comme ils l’ont écrit.
Insoutenable aussi fut le récit des tueries que leur firent les rescapés, révélant la barbarie au cœur des sociétés et ce qu’Hannah Arendt appelle la « banalisation du mal ». Comment dans ces conditions encore croire qu’un jour nouveau est toujours possible ? Comment trouver les mots pour dire l’indicible de la pulsion exterminatrice ? Tel est le défi que Boubacar Boris Diop a eu à relever en écrivant son récit sur le génocide rwandais.
Défi
Le romancier a relevé le défi en optant pour une stratégie de récits fragmentaires, racontés pour l’essentiel à la première personne. Le lecteur suit dans Murambi une myriade de destins puisés à la fois dans le camp des victimes que dans celui des tueurs qui ont plongé le Rwanda dans la nuit. Faustin Gassama appartient à ce second groupe. Son témoignage est glacial, diabolique, mais dépourvu de commentaire moral quelconque permettant à l’auteur de rester fidèle au vécu de ses personnages.
Mais tous les Hutu ne sont pas des tueurs, comme en témoigne la personnalité lumineuse de la religieuse Félicité Niyitegeka évoquée dans le récit. Elle préfère mourir avec les Tutsi clandestins qu’elle aide à passer la frontière au Zaïre plutôt que de les dénoncer.
Autre personnage important du roman, Cornelius Uwimana, professeur d’histoire à Djibouti, qui revient au Rwanda, son pays natal, quatre ans après les massacres. C’est un personnage faulknérien. Fils métis, né d’une mère tutsi et d’un père hutu, Cornélius est ébranlé par la réalité du génocide dont il découvre en spectateur impuissant l’ampleur et la barbarie a posteriori. Le jeune homme est d’autant plus ébranlé par sa découverte que son retour coïncide avec des révélations terribles sur son père. La quête de la vérité sur les traces de ce père indigne, devenu le bourreau de Murambi et de sa propre famille, entraînera le fils au cœur des ténèbres rwandaises.
Dimension politique…
Murambi est un roman éminemment politique car en arrière-plan, il est traversé par des interrogations sur les soubassements historiques et sociopolitiques du génocide. Par la voix de ses personnages, le romancier s’élève contre les clichés sur la guerre dite « tribale » entre Hutu et Tutsi. « Les massacres du Rwanda ne datent pas de temps immémoriaux : les premiers massacres ont commencé en 1959 et il n’y a jamais eu d’ethnies au Rwanda. Rien ne séparait les Twa, les Hutu et les Tutsi. Alors qu’au Zaïre il y a 225 langues, il n’y a jamais qu’une seule langue au Rwanda, un seul dieu », a expliqué Boubacar Boris Diop lors d’une interview radiophonique à l’occasion de la parution de son livre.
Politique encore, la métaphore des soldats français dans le roman installant un terrain de volleyball au-dessus des charniers de Murambi où périrent 40.000 Tutsi. Force est de reconnaître qu’il y a ici une économie de moyens, une lucidité, une efficacité digne d’un romancier au sommet de son art. A lire absolument.
Murambi, le livre des ossements, par Boubacar Boris Diop. Editions Zulma, 220 pages, 8,95 euros. (Fin).
*Tirthankar Chanda est Journaliste littéraire à RFI, spécialiste des littératures du Sud et enseignant.