
By Survie*
La journée du 7 avril est dédiée chaque année, depuis 2019 en France, aux rescapé.es et aux familles des victimes du génocide perpétrés contre les Tutsis au Rwanda en 1994. La réalité historique de l’antitutsisme, la persistance des discours négationnistes en France, et les lectures ethnicistes réductrices de la crise actuelle en République Démocratique du Congo imposent une grande vigilance pour préserver cette mémoire.
Un concert au profit de l’Unicef, intitulé « Solidarité Congo, soutien aux enfants victimes du conflit à l’est du Congo », était prévu à l’Accor Arena de Bercy précisément le 7 avril. Il a été reporté au 22 avril suite aux protestations d’associations de rescapé.es du génocide des Tutsis , sur demande de la mairie de Paris auprès de la préfecture. Les déclarations d’un des artistes – Gims – selon lequel « c’est pas un jus d’orange qui va calmer la haine d’un Tutsi », et certains commentaires sur les réseaux sociaux ont fait craindre que le choix de la date du 7 avril ne manifeste une volonté de mettre en concurrence les victimes. Autrement dit : de recouvrir les souffrances liées au génocide perpétré contre les Tutsis par celles subies par les populations congolaises depuis 1996.
Dans une conférence de presse, les organisateurs du concert ont assuré que leur intention n’était en aucun cas de « heurter, blesser ou de salir qui que ce soit ». Ils ont certifié ne pas avoir choisi la date du 7 avril « à dessein pour insulter la mémoire [des victimes du génocide des Tutsis] ». « Nous respectons le génocide qui a eu lieu au Rwanda », a déclaré le porte-parole des organisateurs.
Une requête en référé liberté a pourtant été déposée, et rejetée, auprès du tribunal administratif de Paris en vue de maintenir le concert à la date du 7 avril. L’association requérante, Convergence pour l’Émergence du Congo, dont les liens avec les organisateurs du concert ne sont pas précisés, y défendait l’idée que « [s]i le Rwanda, pays africain, peut organiser en France pays de liberté, une commémoration pour les atrocités survenues dans son pays, il doit également être permis à l’artiste Gims originaire de la RDC pays africain, d’exprimer sa douleur en France pour les enfants à travers son art dans un concert humanitaire. Par ailleurs, il n’y a aucune loi française qui retient la date du 7 avril comme étant une exclusivité des Rwandais pour commémorer leur génocide ». Cette formulation curieuse – la journée de commémoration du génocide des Tutsis le 7 avril n’est pas organisée par « le Rwanda », mais par la République française – vise bien à retirer aux « Rwandais » une « exclusivité » supposée par l’organisation de ce concert de solidarité au profit des enfants victimes des conflits en RDC précisément le jour de la commémoration officielle du génocide des Tutsis.
Il est impératif de dénoncer les crimes odieux sur les civils qui se poursuivent en toute impunité depuis 1996 dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), dans l’indifférence complice de la communauté internationale. Massacres, atrocités, viols : les populations congolaises subissent des violences incessantes. Des armées étrangères et de très nombreux groupes armés ont eu ou ont encore une lourde responsabilité dans ces crimes.
La condamnation ferme des violations du droit international perpétrées dans l’Est de la RDC depuis les années 1990 est indispensable. Mais cette dénonciation ne doit pas être instrumentalisée pour s’attaquer à la mémoire du génocide perpétré contre les Tutsis. La solidarité avec les victimes congolaises n’implique pas de dresser une douleur contre une autre, ni d’amener à une chasse aux rwandophones ou à l’antitutsisme. Il est heureux que les organisateurs du concert « Solidarité Congo » aient affirmé : « On ne peut pas se permettre d’opposer deux souffrances ». Reste à voir si les prises de parole qui auront lieu le 22 avril lors du concert seront cohérentes avec cette profession de foi. (Fin).
* Survie est une association française créée en 1984 dont les objectifs officiels de l’association sont : promouvoir l’accès de tous aux biens publics mondiaux ; ramener à la raison la politique africaine de la France et combattre la banalisation du génocide.