Un policier tanzanien surveille des réfugiés burundais à l’ouest de la Tanzanie le 17 mai 2015
Kigali La Tanzanie devrait assurer la protection sur son territoire des réfugiés burundais qui fuient des abus généralisées dans leur pays, au lieu d’exiger qu’ils retournent au Burundi contre leur volonté, recommande Human Rights Watch (HRW).
«Il faut s’assurer que les retours sont volontaires », selon l’organisation internationale de défense des droits humains basée à New York.
Les autorités tanzaniennes ont annoncé un plan visant à renvoyer au Burundi d’ici à la fin de cette année la totalité des 183 000 réfugiés burundais qui se trouvent actuellement en Tanzanie. Au lieu de cela, elles devraient permettre aux réfugiés qui craignent des persécutions de rester en Tanzanie.
«La Tanzanie devrait affirmer publiquement que les réfugiés ne seront pas renvoyés sous la contrainte ou forcés de se faire inscrire en vue d’un rapatriement au Burundi », a déclaré Bill Frelick, directeur de la division Droits des réfugiés à Human Rights Watch. « La Tanzanie et les pays voisins, avec le soutien des partenaires internationaux, devraient d’urgence aider et protéger les Burundais qui fuient les abus qui perdurent au Burundi. »
Le Burundi a plongé dans une crise politique, des droits humains et humanitaire généralisée lorsque le président Pierre Nkurunziza a annoncé sa décision de briguer un troisième mandat controversé en 2015, déclenchant une immense vague de protestations.
À la suite d’une tentative avortée de coup d’État par des officiers de l’armée en mai 2015, le gouvernement a intensifié sa répression des opposants, poussant plus de 400 000 citoyens à fuir le pays. Les abus ont continué, visant en particulier les membres réels ou supposés de l’opposition, en amont des élections présidentielles et législatives prévues en mai 2020.
La position de la Tanzanie sur la situation des réfugiés burundais n’est pas claire. En août 2019, le ministre de l’Intérieur, Kangi Lugola, a affirmé qu’à partir du 1er octobre, « 2 000 réfugiés … seront rapatriés chaque semaine, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de réfugiés burundais en Tanzanie. » Cette déclaration a suscité la crainte que le gouvernement ne force les réfugiés à retourner au Burundi.
Cependant, le 17 septembre, lors de la 42ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le représentant permanent adjoint de la Tanzanie, Robert Kainunula Vedasto Kahendaguza, a appelé la communauté internationale à intervenir dans la crise migratoire la plus sous-financée du monde, en aidant à financer « le rapatriement de tous les réfugiés burundais qui se seront fait enregistrer dans ce but » en vertu d’une assistance au rapatriement volontaire mise en place en 2017.
Kahendaguza n’a pas dit que les réfugiés seraient forcés de retourner au Burundi, créant la confusion sur le point de savoir si les autorités ont l’intention de commencer à rapatrier les réfugiés burundais le 1er octobre, comme Lugola l’avait annoncé.
Le 24 août, la veille de l’annonce de Lugola, le Burundi et la Tanzanie ont signé un accord, vu par Human Rights Watch, qui affirme que la présence de réfugiés en Tanzanie a créé dans la communauté internationale la fausse impression que le Burundi n’est pas en paix, et que par conséquent « les réfugiés doivent rentrer dans leur pays d’origine, volontairement ou non » d’ici au 31 décembre.
Dans une communication aux médias, en réponse à l’accord signé en août, un porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a déclaré fin août que des centaines de personnes continuaient de fuir le Burundi chaque mois et que la situation dans le pays « n’est pas propice pour inciter aux retours. »
La Tanzanie et le Burundi s’étaient fixé comme premier objectif, en mars 2018, d’assurer que 2 000 Burundais retourneraient volontairement dans leur pays chaque semaine, aux termes d’un accord tripartite de 2017 avec le HCR visant à faciliter – et non pas promouvoir – les rapatriements volontaires.
Cependant, le nombre de retours a été bien inférieur, avec seulement 74 088 personnes retournées au Burundi entre septembre 2017 et le 31 juillet 2019. En août, un peu plus de 180 000 réfugiés burundais vivaient encore dans les trois camps installés dans la région de Kigoma, dans le nord-ouest de la Tanzanie.
La Convention de 1951 sur les réfugiés et la Convention africaine de 1969 sur les réfugiés interdisent le refoulement, le retour de réfugiés dans des lieux où leur vie, leur intégrité physique ou leur liberté seraient menacées. Le refoulement se produit non seulement quand un réfugié est directement rejeté ou expulsé, mais aussi quand la pression indirecte est si intense qu’elle conduit le réfugié à croire qu’il n’a pas d’autre option que de retourner dans un pays où il court de graves risques personnels.
Depuis le milieu de l’année 2017, les conditions de vie se sont détériorées dans les camps de réfugiés en Tanzanie, en raison en partie du sous-financement chronique des opérations d’assistance aux réfugiés burundais dans la région.
Il y a eu des réductions des rations alimentaires entre août 2017 et octobre 2018; une interdiction faite aux réfugiés de sortir des camps, même pour trouver du travail ou ramasser du bois pour le feu; des violences contre des personnes qui étaient sorties; et des pressions en vue d’un retour au Burundi de la part de responsables tanzaniens.
Il y a eu également des informations concernant un manque de sécurité dans les camps et des menaces contre les réfugiés de la part de membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir au Burundi, les Imbonerakure.
En août 2018, le responsable de la protection au HCR a appelé la Tanzanie à « ne pas faire pression … sur les réfugiés directement ou indirectement afin d’influencer leur décision pour qu’ils rentrent dans leur pays. »
Certains réfugiés burundais ont dit qu’ils ont subi des pressions supplémentaires depuis l’annonce du ministre de l’Intérieur, faisant référence aux conditions dans le camp qui se dégradent.
Un réfugié du camp de Nyarugusu, parlant à Human Rights Watch sous couvert de l’anonymat, a déclaré : « Certains ont déjà décidé de partir car la vie dans les camps est devenue impossible. Le 9 septembre, ils ont fermé le marché improvisé qui existait dans notre camp. Ils ont aussi interdit les motos. Ils veulent rendre les conditions invivables, de sorte que nous n’ayons pas d’autre option que de partir.»
Des réfugiés ont récemment subi des abus après être rentrés au Burundi. Le 17 septembre, la Commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi a déclaré que certains Burundais rentrés de l’étranger, ou dans certains cas des membres de leurs familles, « ont été victimes de graves violations y compris de disparitions, de torture ou de mauvais traitements, d’arrestations et détentions arbitraires, et ils se sont sentis obligés de fuir à nouveau, car ils avaient peur pour leur sécurité.»
«Je ne suis membre d’aucun parti politique mais le gouvernement me considère comme un dissident parce que j’ai fui le Burundi », a déclaré par téléphone à Human Rights Watch un réfugié de 26 ans du camp de Nyarugusu, qui a lui aussi souhaité garder l’anonymat. «Quand nous avons entendu dire que tout le monde allait être renvoyé, j’ai eu peur. Je préfère mourir ici plutôt que retourner. Ils pensent que j’ai participé au coup d’État et, depuis que je me suis enfui en 2015, les Imbonerakure m’ont souvent menacé.»
En juin 2019, Human Rights Watch a publié un rapport documentant des schémas d’abus inquiétants, incluant des meurtres, des disparitions, des arrestations arbitraires et des passages à tabac, principalement par les Imbonerakure et les autorités locales et ciblant des membres réels ou supposés du parti d’opposition récemment enregistré, le Congrès national pour la liberté (CNL).
Le dernier rapport de la Commission d’enquête sur le Burundi, publié le 4 septembre, conclut que « de graves violations des droits de l’homme – y compris des crimes contre l’humanité – continuent … à travers le pays.»
Les cibles de ces exactions, précise le rapport, sont en particulier des membres réels ou supposés de l’opposition, des Burundais qui sont rentrés de l’étranger et des défenseurs des droits humains. Bien que Nkurunziza ait affirmé qu’il ne serait plus candidat à la présidence, la commission a attiré tout particulièrement l’attention sur le « risque majeur » posé par l’élection de 2020.
L’Union africaine (UA) a déclaré 2019 comme l’année des « réfugiés, rapatriés et personnes déplacées à l’intérieur de leur pays » et ses membres, dont la Tanzanie, se sont engagés à œuvrer vigoureusement pour protéger les réfugiés à l’échelle régionale.
«Il y a des signes clairs selon lesquels les autorités essayent de forcer les réfugiés burundais à rentrer dans leur pays, en violation des normes internationales et africaines », a affirmé Bill Frelick. « L’UA devrait réclamer d’urgence des éclaircissements au Burundi et à la Tanzanie pour savoir s’ils ont l’intention de mettre leur récent accord en application. Il ne s’est probablement jamais présenté de plus belle occasion pour l’UA de mettre ses États membres devant leurs responsabilités et de leur faire respecter leurs obligations en matière de protection des réfugiés. » (Fin)