Thème générique: «Le racisme : mythe, fatalité ou réalité ?» : «La communication interculturelle comme fait et comme facteur de prévention de racisme»

Dr Jean Mukimbiri, Médiateur

Le présent exposé a été fait le 17 Juin 2023 par Dr Jean Mukimbiri, Médiateur, dans un colloque organisé à Liège en Belgique par MSFO et le Réseau International Recherche et Génocide (RESIRG). Il porte sur le Thème générique : « Le racisme : mythe, fatalité ou réalité ? » : « La communication interculturelle comme fait et comme facteur de prévention de racisme ». Lire l’exposé :

« La communication interculturelle comme fait et comme facteur de prévention de racisme » : tel est le thème de l’exposé qui nous été proposé, dans le cadre légal du Décret, en Belgique, sur la promotion de la citoyenneté et de l’interculturalité, sous les auspices de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Abordant ce sujet, nous ne pouvons pas, d’une part, faire l’économie d’une réflexion sur le rapport de la nature humaine à la violence, dont une des formes se trouve être l’acte, ou l’action raciste.

Le dernier état de la recherche scientifique en biologie, d’un côté et, de l’autre côté, le dernier état de la recherche en sciences sociales, mettent-ils, en évidence, des facteurs qui soient un obstacle insurmontable, ou tout au moins sérieux, à la construction de la paix dans le monde ?

CINQ éléments de la réponse à la question nous sont fournis par la recherche de pointe, à travers des formulations que nous citons. Ces cinq éléments de réponse émanent du Manifeste (scientifique) de Séville, qui a été diffusé par décision de la Conférence générale de l’UNESCO, à sa vingt-cinquième session, à Paris, en France, le 16 novembre 1989. 

On se souviendra que l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture) qui a, aussi, dans ses attributions, l’information, la communication, l’informatique, se trouve être, dans le monde, le plus haut organe de pensée scientifique sur, notamment, le double plan éthique et de veille stratégique, dans les domaines du savoir que nous venons d’évoquer.

Venons-en donc aux CINQ éléments de réponse qui nous sont fournis par la recherche de pointe, à travers des formulations que nous citons, en référence au rapport entre nature humaine et violence, de type raciste, notamment :

1. IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT de dire que nous ayons hérité, de nos ancêtres, les animaux, une propension à faire la guerre.

2. IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT de dire que la guerre, ou toute autre forme de comportement violent, soit génétiquement programmée dans la nature humaine.

3. IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT de dire qu’au cours de l’évolution humaine, une sélection s’est opérée en faveur du comportement agressif, par rapport à d’autres types.

4. IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT de dire que les hommes ont « un cerveau violent », bien que nous possédions, en effet, un appareil neuronal nous permettant d’agir avec violence. Cet appareil neuronal n’est pas activé de manière automatique, par des stimuli internes ou externes.

5. IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT de dire que la guerre est un phénomène instinctif, ou qu’elle répond à un mobile unique.

Toujours en abordant ce sujet, nous ne pouvons pas, d’autre part, faire l’économie d’une réflexion sur les généralités de la communication. La communication, selon Paul WATZLAWICK, est une condition sine qua non de la vie humaine et de l’ordre social. Dans la perspective ainsi indiquée, la communication interculturelle se réalise entre individus, ou entre acteurs sociaux, se référant à des configurations culturelles différentes, utilisant des codes différents, et transmettant des contenus culturels non partagés. 

Pour des raisons obvies, la communication interculturelle évoque les notions de culture, d’interculturalité et de diversité culturelle, concepts qui sont à différencier de la multiculturalité. 

En 1955 déjà, GUDYKUNST et KIM relèvent que nous communiquons comme nous le faisons parce que nous avons été élevés dans une culture particulière, et parce nous avons appris la langue, les règles et les normes de la culture qui sont les nôtres. Force est donc de se décentrer, par rapport à sa propre culture, afin de comprendre la culture de l’autre, pour une bonne communication interculturelle.

Que, par exemple, la culture soit abordée sous l’angle philosophique, opposant nature et culture, ou l’inné et l’acquis, que la culture soit abordée sous le rapport sociologique, qui est axé sur la communauté de culture, un constat se dégage, d’une manière exemplaire : la nature humaine est fondamentalement la même, à la naissance, même si nos cultures diffèrent.

Les différences culturelles ne doivent pas, raisonnablement, induire quelque racisme que ce soit, puisque nous appartenons tous à la même espèce humaine. Nos différences culturelles ne touchent pas à l’inné, nos différences ne touchent que l’acquis. C’est parce que la grille de lecture de la culture de l’autre peut nous manquer, ou peut nous échapper, que nous attribuons le caractère caché de cette culture à une autre nature chez autrui, ou à une nature autre, chez autrui, alors que sa nature est, comme la nôtre, la nature humaine. La communication interculturelle apparaît donc, ici, comme fait et comme facteur de prévention de racisme.

En fait, la culture est constituée d’une partie visible, et d’une partie invisible. Retenir la seule partie visible, au détriment de la partie invisible, peut nous conduire à des interprétations erronées sur une culture différente de la nôtre. Une métaphore, une image, concrétise l’idée relative à la partie visible, et à la partie invisible, de la culture. 

Cette métaphore, ou cette image, est L’ICEBERG. Il en est de la culture comme de l’iceberg. Schématiquement représentée, l’iceberg de la culture exhibe, en structure superficielle, comportements, langages et symboles, tandis qu’en structure profonde, la culture recèle, ou cache les significations qui échappent aux personnes étrangères à la culture : normes qui président aux comportements, normes qui gouvernent valeurs et croyances, etc.

Les différences fondamentales liées aux valeurs culturelles sont souvent invisibles. Or, ce sont ces différences fondamentales liées aux valeurs culturelles qui influencent, fortement, l’interaction entre des personnes ou entre des groupes. Et ce sont les mêmes différences, fondamentales, qui influencent la capacité, ou non, de négocier un signifié commun, au niveau interculturel. 

L’INCAPACITE à négocier un signifié commun, au niveau interculturel, peut être génératrice de racisme. Peut-être … Pas nécessairement…  La CAPACITE à négocier un signifié commun au niveau interculturel peut prévenir le racisme. 

Sur un autre plan, un certain CUCHE, en 2004, affirme que la culture est le produit d’un ensemble d’éléments en interaction permanente, éléments qui constituent un tout cohérent .  Selon BALIGH, en 1994, avant d’aboutir à l’état de produit, la culture est un processus de construction. 

D’après cet auteur, ce processus de construction de la culture est influencé par plusieurs déterminants, déterminants principalement constitués par des institutions. Vous avez noté : « Principalement constitués par des institutions, et donc pas seulement par des institutions… » Pour quelques exemples de déterminants qui influencent la culture, retenons : 

Pour Henriette MIALY RAKOTOMENA, la culture peut aussi influer sur ces institutions  et sur ces autres déterminants. Il y a, là, une relation dialectique. Sur un autre plan donc, des relations d’influence réciproques existent entre l’environnement et la culture. Mais, une fois de plus, les relations d’influence réciproques entre environnement et culture ne touchent pas à notre nature, qui nous est commune à tous. C’est dire qu’entre autres, les stéréotypes ne doivent pas être reportés sur – ou rapportés à – la nature. 

S’il existe des cultures particulières, avec toutes les spécificités qui les caractérisent, la nature humaine les sous-tend, dans l’unité de l’espèce humaine. De ce fait, aucun groupe humain ne doit être « racisé ou racialisé. » Le terme de « race » revêt d’ailleurs aujourd’hui une connotation sociologique, ce vocable n’a pas de connotation génétique. Une communication interculturelle idoine prévient contre un telle « racisation », ou contre une telle « racialisation », et donc aussi contre le racisme qu’elle peut générer. 

L’aspect dynamique de la culture ne peut, ni ne doit aller contre le postulat en vertu duquel la communication interculturelle est fait et facteur de prévention de racisme. On aura compris que reconnaître la diversité culturelle revient à la constatation et à l’exploitation positive de l’existence de cultures différentes, au bénéfice de notre commune nature humaine. 

LA DIVERSITE CULTURELLE a été consacrée par une Déclaration de l’UNESCO, Déclaration du 02 novembre 2001.  Pour l’Unesco : « L’acceptation de la diversité culturelle », sur fond de l’unité de la nature humaine, « est une des formes majeures de la tolérance. »

Pour les ANTHROPOLOGUES et pour les SOCIOLOGUES, sur fond de cette unité de la nature de l’espèce humaine, la diversité culturelle est non négociable. 

Cela étant posé, il y a trois approches, dans une situation interculturelle : approche anthropologique, approche psycho-culturelle, approche strictement psychologique.

1. L’approche anthropologique considère tout homme dans sa dimension universelle. On considère qu’il y a, toujours, des points communs entre tous les humains : les besoins physiologiques par exemple. Ces besoins tiennent de l’unité du genre humain ou de l’espèce humaine, dans la diversité des cultures.

2. L’approche psycho-culturelle considère qu’un homme qui appartient à un groupe partage des choses en commun avec les membres de ce groupe (les croyances par exemple). 

3. L’approche psychologique considère que tout être humain a quelque chose d’unique (la personnalité, ou le caractère par exemple) (Lainé : 2004).

Aucune de ces trois approches ne peut remettre en cause l’unité de l’espèce humaine.

A ce stade de nos développements, venons-en aux obstacles à la communication interculturelle. 

En 1997, LARAY M. BARNA énumère six barrières à la communication interculturelle : 1. Une grande anxiété. 2. Supposer la similitude au lieu de la différence. 3. L’ethnocentrisme. 4. Préjugés et stéréotypes. 5. Mauvaise interprétation du non-verbal. 6. La langue.

Les six barrières à la communication interculturelle amènent à reconnaître le caractère arbitraire de nos propres comportements culturels. On doit être prêt à se réexaminer, en se référant aux comportements observés dans les autres cultures, ainsi que le propose COHEN (COHEN, 1998).

Proposons des lectures, pour la clarification de ces différents concepts opératoires. Lisez, par exemple, sur les stéréotypes, SAMOVAR, PORTER (1991), Barna Group (1997), FRED E. JANDT (2001) et, surtout, Jacques-Philippe LEYENS (1983) sur la « prophétie auto-réalisatrice » des stéréotypes.

Au sujet de la mauvaise interprétation du non-verbal, par exemples, citant l’une ou l’autre de ses sources, Cédric LIVET indique, en 2013, que 65% à 90% du message de toute communication humaine relève du non verbal.

Concernant les dimensions-clés de la communication non-verbale, il vous sera donné d’en connaître la série ci-après :

1. les mouvements du corps et du visage,                                                                                                   

2. l’usage des bras, des mains, de la tête, des sourcils, de la bouche (de manière consciente et non-consciente),                                                                                                                

3. le contact visuel ou le regard,                                                                                                       

4. le ton de la voix, le timbre de la voix, les harmoniques du timbre de la voix, le volume de la voix,                                                                                                                       

5. l’espace (à quelle distance, ou à quelle proximité, les personnes se tiennent-elles, lorsqu’elles se parlent ?). Sont-elles face à face, ou se tiennent-elles de biais ?)                        

6. Il y a, aussi, le toucher, l’environnement, la forme et la décoration des pièces de nos maisons, l’ameublement, l’architecture, le temps et la façon dont il est conçu et utilisé, lors des conversations et des rendez-vous.                                                                                                 

7. Enfin, concernant les dimensions-clés de la communication non-verbale, le silence est, aussi, une modalité d’expression.

Quelles compétences interculturelles engager, ou mettre en œuvre, pour venir à bout des barrières à la communication interculturelle ?

Disons, d’abord, que la compétence interculturelle est une compétence spécifique liée à l’exploitation positive de la différence culturelle. La compétence interculturelle peut être définie comme l’ensemble des capacités requises pour une interaction réussie, avec une personne, ou avec un groupe de personnes de culture différente. 

Il va sans dire que la panoplie des compétences interculturelles appréhende la différence entre nature et culture, excluant donc de rapporter la culture à la nature, permettant, ainsi, de comprendre que la communication interculturelle est un fait et un facteur de prévention de racisme.

Cela étant posé, les conditions de base à la compétence interculturelle sont :

1. la sensibilité 

2. la confiance en soi,

3. la compréhension d’autres manières de penser, 

4. de même qu’une capacité à pouvoir communiquer son propre point de vue, de manière à être compris et respecté, de manière à se montrer flexible, quand cela est possible, et de manière à être clair, quand cela est nécessaire.

Selon GEERT HOFSTEDE (1994), la compétence interculturelle constitue un troisième niveau d’apprentissage. Quels sont donc les deux premiers niveaux d’apprentissage, en matière de compétence interculturelle ? La compétence interculturelle est le résultat de la prise de conscience du fait que l’on a reçu une certaine programmation mentale de l’acquisition de connaissances sur l’autre culture, d’UNE PART et, d’AUTRE PART, une certaine programmation mentale de l’acquisition de la pratique. 

La compétence interculturelle résulte de l’interaction entre plusieurs dimensions, toutes non racisantes, et donc non racistes. Retenons trois de ces dimensions : dimension communicative, dimension cognitive, dimension affective. Allons-y point par point, ou dans l’ordre.

Dimension communicative : c’est tout ce qui se rattache à la communication verbale et à la communication non-verbale comme, respectivement, la langue, les mimiques, les gestes, et tout ce qui a trait à la communication comportementale, c’est dire tout ce qui est relatif au savoir-être : respect, flexibilité, écoute …

Dimension cognitive : c’est tout ce qui se rattache à la connaissance sur la notion de la culture de l’autre, et sur la notion de sa propre culture.

Dimension affective : c’est tout ce qui se rattache à la sensibilité et à la compréhension par rapport à l’autre culture. (GERSTEN 1992 ; Iles 1995). 

Les compétences interculturelles supposent, entre autres, des capacités à :

– travailler efficacement au sein d’une autre culture (GERTSEN, 1992) ;

– et, en même temps, savoir gérer des situations (FLYE Sainte Marie, 1997) ;

– Etc.

Je vous invite à lire Brian W. SPITZBERG qui, en 2007, a présenté le profil du communicateur interculturel efficace.

QUELLE CONCLUSION, AU SUJET DE « LA COMMUNICATION INTERCULTURELLE COMME FAIT, ET COMME FACTEUR DE PREVENTION DU RACISME ? »

La violence, dont est le racisme, n’est pas NATURELLE. Le racisme n’est pas NATUREL, le racisme est CULTUREL. La communication interculturelle peut donc être fait et facteur de prévention de racisme.

La violence, dont est le racisme, n’est pas GENETIQUE. Le racisme n’est pas GENETIQUE, le racisme est PEDAGOGIQUE ou, plutôt, anti-pédagogique, en l’occurrence. La communication interculturelle peut donc être fait et facteur de prévention de racisme.

La violence, dont est le racisme, n’est pas BIOLOGIQUE. Le racisme n’est pas BIOLOGIQUE, le racisme est SOCIOLOGIQUE. La communication interculturelle peut donc être fait et facteur de prévention de racisme.

Selon la synthèse de La Déclaration de Séville, Déclaration qui a été rédigée en 2006, sous la plume de Richard PETRIS, Directeur et fondateur de l’Ecole de la Paix de Grenoble, et sous la plume de Philippe MAZZONI, de cette même Ecole :

« La guerre et la violence ne sont pas une fatalité biologique. Il est possible de mettre fin à la guerre et aux souffrances qu’elle entraîne. Cela suppose que tous se mettent à l’œuvre, et ce travail doit commencer dans l’esprit des hommes, d’hommes confiants dans la possibilité de la paix. Si l’homme a fait la guerre, alors il est capable de construire la paix. Chacun a son rôle à jouer. »

Voilà qui rejoint l’esprit de l’Article Premier de l’Acte Constitutif de l’Unesco qui stipule : « La guerre prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix », par l’éducation, par la science, par la culture, par l’information, par la communication et, aujourd’hui, par l’informatique.

Voilà donc une synthèse qui, sur le double plan éthique et scientifique, vient, non pas infirmer, mais confirmer que « La communication interculturelle peut être fait et facteur de prévention de racisme. » (Fin)