Les jeunes activistes Eric Muhindo, à gauche, et Elisée Lwatumba, au centre, à la prison centrale de Butembo, dans l’est de la RDC. © 2021 Privé
Les autorités congolaises devraient libérer immédiatement et sans condition deux activistes arrêtés arbitrairement le 19 avril 2021 après avoir manifesté pacifiquement dans l’est de la République démocratique du Congo, a déclaré Human Rights Watch(HRW). Elisée Lwatumba et Eric Muhindo, tous deux membres du mouvement citoyen Lutte pour le Changement (Lucha), ont été accusés d’« incitation à la désobéissance civile » et de « menaces d’attentat », et risquent jusqu’à cinq ans de prison selon leur avocat.
L’arrestation des deux activistes dans la province du Nord Kivu et les accusations infondées portées contre eux s’inscrivent dans un contexte de répression gouvernementale contre les mouvements pro-démocratie, les médias et d’autres voix dissidentes, qui s’intensifie depuis début 2020. Le 6 mai 2021, près de trois semaines après leur arrestation, l’état de siège a été imposé dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri, menaçant encore davantage les libertés et droits fondamentaux, et paralysant de fait les procédures judiciaires.
« La détention arbitraire d’Elisée Lwatumba et d’Eric Muhindo nous rappelle l’inquiétante réalité des manifestants pacifiques qui encourent toujours des risques en RD Congo », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal pour la RD Congo à Human Rights Watch. « Les autorités devraient démontrer leur engagement en faveur de la liberté d’expression en libérant immédiatement les deux activistes et en abandonnant les charges retenues contre eux ».
Des agents de l’Agence nationale de renseignements (ANR) ont arrêté Lwatumba et Muhindo alors qu’ils rentraient chez eux après une manifestation pacifique le 19 avril à Butembo, dans la province du Nord Kivu. Muhindo a déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient été embarqués dans un véhicule de police et emmenés dans un cachot de l’ANR. « Ils nous ont frappé avec des bâtons, même pendant qu’ils nous interrogeaient », a déclaré Muhindo. « Ils voulaient nous forcer à avouer que nous étions des [rebelles] Maï-Maï, et que nous faisions partie d’un groupe qui fomentait une révolte ».
Plus tôt dans la journée, les deux activistes avaient pris part à des manifestations en ville dans le cadre d’un mouvement de grève générale ayant débuté le 5 avril dans les villes de Goma, Beni et Butembo au Nord Kivu. Les manifestants appelaient les autorités à faire cesser les tueries perpétrées par les groupes armés sur le territoire de Beni et demandaient le départ de la MONUSCO, la mission de maintien de la paix des Nations unies dans le pays, incapable, selon eux, d’assurer la protection des civils.
Les groupes armés et les forces gouvernementales ont tué plus de 1 250 civils au cours d’attaques dans le territoire de Beni depuis le début d’une opération militaire d’envergure le 30 octobre 2019. Ces grèves générales ou « journées ville morte » ont largement paralysé l’activité socio-économique de la province.
Lwatumba et Muhindo ont passé deux nuits dans un cachot des services de renseignement, puis ont été emmenés au parquet, où ils ont été interrogés en présence de leur avocat. Le 24 avril, ils ont été transférés à la prison centrale surpeuplée de Butembo. Confrontés à des conditions extrêmement difficiles, ils ont chacun payé environ 27 dollars américains pour avoir accès à une partie de la prison où ils ont été autorisés à faire venir un matelas de chez eux, qu’ils partagent avec deux autres détenus, selon Muhindo.
Des militants des droits humains congolais et internationaux ont fait campagne pour leur libération. Le 13 juillet, le ministre congolais des droits humains, Fabrice Puela, a déclaré aux journalistes qu’il ne fallait pas que « pour avoir manifesté pour l’intérêt de la République – ces compatriotes, nos enfants – puissent avoir leur avenir sacrifié ». Puela a indiqué avoir discuté de leur situation avec le chef de la justice militaire « pour entrevoir les conditions pour leur obtenir la libération provisoire ».
Lwatumba, 22 ans, était en dernière année de lycée au moment de son arrestation. « Je vais manquer les examens d’État [donnant accès à l’enseignement supérieur] », a-t-il déclaré à Human Rights Watch. Muhindo, 32 ans, est marié, père de deux enfants, et dirige une petite entreprise. « Il est devenu très difficile de m’occuper de ma famille », a-t-il expliqué.
Leur affaire devait initialement être entendue par le Tribunal de paix, un tribunal civil chargé de la petite criminalité et délits. Cependant, en vertu de l’état de siège – contrairement aux normes régionales en matière de droits humains – leur affaire sera désormais renvoyée devant un tribunal militaire. Dans sa note d’information du 7 juillet, le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme, BCNUDH, a indiqué qu’en raison de l’absence de traitement de nombreux dossiers, « des dizaines de personnes restent en détention préventive sans être entendues, en violation de la loi ». Le BCNUDH expliquait que « les moyens correspondants n’ont pas été accordés aux cours et tribunaux militaires pour traiter les dossiers pénaux qui étaient en cours dans les juridictions civiles. »
Un troisième activiste de la Lucha est détenu arbitrairement à Goma depuis le 6 juillet. Parfait Muhani était venu de Butembo dans le cadre de son travail lorsque les autorités locales lui ont demandé de rencontrer le chef provincial de l’Agence nationale de renseignements. Cependant, il a en réalité été conduit à l’auditorat militaire.
Il a été interrogé sur les allégations portées par la Lucha un mois plus tôt et selon lesquelles des responsables de la Fondation Denise Nyakeru Tshisekedi, la première dame, auraient détourné une partie des dons destinés aux populations déplacées par la récente éruption du volcan Nyiragongo. La fondation a déposé une plainte pour diffamation contre la Lucha. La Lucha a également accusé des responsables locaux, dont certains ont depuis été arrêtées, d’être responsables du détournement des dons.
« J’ai dit que je n’y étais pas [à Goma, au moment de l’éruption], et que je ne savais rien de l’affaire », a déclaré Muhani à Human Rights Watch. « Quand ils ont fini de m’interroger, ils m’ont dit : “Vous êtes en état d’arrestation” ».
Muhani a déclaré avoir passé une nuit dans un cachot de l’auditorat, où il a été sommé de payer 10 dollars, faute de quoi il serait torturé. Le lendemain, un mandat d’arrêt provisoire lui a été présenté et il a été transféré à la prison centrale de Goma, où il est toujours incarcéré, inculpé pour « imputation dommageable », « outrage à la magistrature suprême » et « association de malfaiteurs ». Ces chefs d’accusations sans fondement contre Muhani devraient être abandonnés et il devrait être libéré immédiatement et sans condition, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch a documenté des dizaines de cas où des agents de l’État et des forces de sécurité ont pris pour cible des activistes et journalistes au cours de l’année écoulée. Le 20 janvier, un tribunal militaire a acquitté huit membres de la Lucha, alors qu’ils venaient de passer un mois en détention en risquant jusqu’à 10 ans de prison pour avoir participé à une marche pacifique dans le territoire de Beni.
Toujours à Beni, des dizaines d’enfants qui manifestaient pour la paix ont été violemment interpellés et arrêtés en masse par les forces de police le 29 avril. Le 17 juin, le président Felix Tshisekedi a demandé pardon à tous les enfants concernés. Il avait pourtant nommé, le 25 mai, le commandant de la police responsable de la rafle, François Kabeya, au poste de maire de Goma.
« Le gouvernement congolais continue de prendre pour cible les activistes qui soulèvent des vérités dérangeantes et plaident pour la paix et la justice », a déclaré Thomas Fessy. « Elisée Lwatumba, Eric Muhindo et Parfait Muhani n’auraient jamais dû être arrêtés et désormais, l’état de siège, retardant les procédures, les maintient injustement en détention ».(Fin)