En août dernier, Mireille, âgée de 16 ans et Patrick, à peine 17 ans, tout juste sortis du Centre de transit et d’orientation (Cto) pour enfants-soldats de Nyanzale, à 120 km au nord de Goma, décident de vivre en union libre, car la famille de la fille ne voulait plus d’elle. C’est aussi le cas de Joséphine, habitante de la cité de Masisi, un peu plus loin. Elle a rejoint, en 2008, le Congrès national pour la défense du peuple (Cndp) pour éviter les représailles de son mari, un veuf, choisi par ses parents alors qu’elle n’avait que 16 ans. Ce dernier s’était engagé dans les rangs des Patriotes résistants congolais (Pareco), un des principaux groupes armés du Nord-Kivu.
Lorsque son ex-époux a été “brassé” avec d’autres forces et groupes armés et muté au Sud-Kivu, Joséphine a rejoint les Pareco. Fin 2009, lorsqu’elle en est sortie avec un enfant, elle n’a pas eu d’autre choix que de se marier à un policier, à peine trois jours après avoir quitté le Cto de Masisi pour revenir à la vie civile. “Mon père ne voulait plus de moi avant même la réunification avec les familles”, explique-t-elle, car il avait eu des témoignages sur l’utilisation faite de sa fille par les combattants. Ajouter à cela, “le refus de l’homme que mes parents avaient choisi pour moi”, continue-t-elle.
Esclaves et prisonnières
Souvent rejetées par leur famille pour avoir servi d’esclaves sexuelles aux officiers, leur principale fonction dans ces groupes armés, les filles-soldats hésitent à quitter ces groupes. Selon les estimations de l’Unicef, ces filles représentent environ 10 % des enfants-soldats dans l’est de la RD Congo, mais seulement 2 % des démobilisés depuis 2004. Par exemple, sur les 3 730 kadogo (enfants-soldats) que la Caritas Goma, une des organisations qui essaient de les réinsérer, a réunifiés avec leurs familles respectives, on ne compte que 70 filles, soit là aussi moins de 2 %.
Pour les experts, ce faible taux de réintégration familiale a plusieurs causes. Il s’explique par la réticence des officiers, qui les utilisent pour leur plaisir, à les libérer. C’est le cas de Béa, 16 ans, une de trois filles admises au Cto de Kanyabayonga, à 155 km au nord de Goma, qui y est péniblement arrivée avec des cicatrices plein le dos, des punitions infligées à chaque fois qu’elle a tenté de s’évader.
La honte et la peur
Les experts sont aussi unanimes à dire que ces filles-soldats hésitent à quitter la forêt, car elles ont honte de ce qu’elles ont vécu et craignent de ne pas être acceptées dans leurs familles et communautés. Selon Emmanuel Gahima, responsable du Cto de Nyanzale, “toute fille enrôlée comme combattante est persona non grata dans son milieu d’origine” parce qu’elle est considérée pour une prostituée, fonction qu’elle a exercée sous la contrainte dans la forêt.
“C’est ce qui a poussé mon amie à rester là avec un officier, de peur que ses parents ne se comportent comme les miens”, déplore Joséphine, étouffant un sanglot en se rappelant sa pénible vie dans ces groupes armés. Pour un père dont le fils est dans un Cto, “c’est ‘culturellement correct’ qu’un garçon devienne kadogo, mais pas une fille qui sera victime de violences sexuelles”.
Un rejet qui pousse bon nombre des rares filles démobilisées soit à se prostituer, soit à retourner dans les groupes armés, car la plupart d’entre elles reviennent avec des enfants qu’elles ne savent pas comment nourrir. C’est pourquoi les responsables des organisations humanitaires organisent des campagnes pour informer les parents sur les droits de l’enfant. Mais, si ceux-ci acceptent à peu près les garçons, ne cachant pas leur intérêt pour les outils de travail qu’on leur donne pour exercer un métier à la sortie du Cto, ce n’est pas encore le cas pour la plupart des filles. “Seules les filles qui ont été enlevées par des rebelles (seul un petit nombre des filles-soldats part volontairement, Ndlr) pour aller au front sont acceptées par certains parents après des séances de médiation”, précise Matilde du Cto Mweso.
Selon l’Unicef, le nombre d’enfants-soldats, tombé à 2 000 en 2009, dépasse aujourd’hui les 3 000 à la suite de nouveaux recrutements des groupes armés.