Je regrette la rupture des relations diplomatiques entre le Rwanda et la Belgique, tout en comprenant pleinement la position rwandaise.

By Alain DESTEXHE*

Le ministre belge des Affaires étrangères, Maxime Prévot, qualifie sur X cette décision de “disproportionnée”. Pourtant, depuis plusieurs semaines, persuadé d’être au centre du jeu diplomatique, il mène au nom du gouvernement belge une campagne agressive pour influencer la position de l’Union européenne et des organisations internationales dans un sens ouvertement hostile au Rwanda. Jamais la Belgique n’avait adopté une posture aussi offensive sur aucun dossier depuis 1994.

Comme je l’ai expliqué dans La Libre (24/02/25) https://lalibre.be/debats/opinions/2025/02/24/la-belgique-est-mal-placee-pour-donner-des-lecons-au-rwanda-la Belgique aurait dû se tenir à l’écart des conflits régionaux et maintenir une stricte neutralité.

Hélas, comme je le redoutais, le gouvernement belge a réveillé au Rwanda des blessures historiques qui s’étaient apaisées depuis les excuses officielles du Premier ministre Guy Verhofstadt en 2000. Faut-il rappeler :

– Que les Belges n’ont pas seulement introduit la mention ethnique sur les cartes d’identité : ils ont créé ces catégories racialisées, instrumentalisant des divisions artificielles et instaurant une politique de discrimination systématique qui a empoisonné les relations entre Rwandais durant des décennies ;

– Que le revirement brutal de la politique belge en 1959 a provoqué une première “purification ethnique” des Tutsis, causant des milliers de morts et l’exode de dizaines de milliers d’entre eux vers les pays voisins — une mémoire toujours vive, car de nombreux Rwandais adultes aujourd’hui ont personnellement vécu cet exil et la dure réalité des camps de réfugiés ;

– Qu’en 1994, la Belgique disposait de signes avant-coureurs du génocide des Tutsis et n’a rien fait pour l’empêcher, ni même pour alerter sur son imminence ;

– Que le gouvernement belge de l’époque a mené une campagne acharnée pour obtenir le retrait total de la MINUAR, supprimant ainsi le dernier rempart contre les génocidaires ;

– Que certains partis belges ont maintenu des liens avec le gouvernement génocidaire, y compris après le génocide, et ont continué à entretenir une lecture biaisée et révisionniste des événements.

Que le gouvernement actuel ignore ou feigne d’ignorer ces faits est non seulement incompréhensible, mais profondément irresponsable.

De plus, le Parlement belge a voté à l’unanimité une résolution d’une agressivité inouïe à l’égard du Rwanda, appelant à suspendre tous les accords économiques et l’aide, et affirmant que le Rwanda représente une “menace pour la stabilité régionale”. Ce texte reflète une méconnaissance criante de la situation sur le terrain — au Kivu, où j’étais encore il y a trois jours — et dans toute la région. Il contient également des affirmations factuellement erronées et inutilement hostiles.

Le gouvernement et le Parlement belges pensent-ils pouvoir insulter, menacer et contraindre sans provoquer de réponse ?

J’espère sincèrement que cette crise diplomatique n’altérera pas les liens d’amitié profonds qui unissent de nombreux Belges et Rwandais, dont beaucoup sont également citoyens belges. (Fin). 

Alain DESTEXHE est un sénateur honoraire belge, initiateur et secrétaire de la Commission d’enquête du sénat belge sur le Rwanda (1997)

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