L’ancien chef rebelle congolais Bosco Ntaganda
La Cour Pénale Internationale (CPI) a fixé à 30.000.000 des dollars le montant des réparations aux victimes de l’ancien seigneur de guerre congolais Bosco Ntaganda.
«À la lumière des circonstances de cette affaire, en gardant à l’esprit les droits de la personne condamnée et en adoptant une approche conservatrice, la Chambre a fixé à 30.000.000 USD le montant total des réparations dont M. Ntaganda est responsable », indique la CPI dans un communiqué.
La CPI a également conclu que «M. Ntaganda était indigent aux fins des réparations et a encouragé le Fonds au profit des victimes à compléter le montant des réparations accordées dans la mesure du possible dans les limites de ses ressources disponibles et à s’engager dans des efforts de collecte de fonds supplémentaires si nécessaire pour compléter la totalité de ce montant ».
La Chambre a établi que, à la lumière des crimes pour lesquels M. Ntaganda a été condamné, les victimes éligibles pour ces réparations comprennent : les victimes directes et indirectes des attaques, les victimes des crimes contre les enfants soldats, de viol et d’esclavage sexuel, et les enfants nés du viol et de l’esclavage sexuel. Elle a également défini les préjudices causés aux victimes, décrivant les grandes souffrances et les conséquences durables qu’elles ont subies.
La Chambre a décidé d’accorder des réparations collectives avec des éléments individualisés, considérant qu’il s’agissait du type de réparation le plus approprié dans cette affaire, car elles peuvent offrir une approche plus holistique pour remédier au préjudice multiforme subi par le grand nombre de victimes éligibles à recevoir des réparations.
Les modalités de réparation peuvent inclure des mesures de restitution, de compensation, de réhabilitation et de satisfaction, qui peuvent incorporer, le cas échéant, une valeur symbolique, préventive ou transformatrice. Le Fonds au profit des victimes a été chargé de concevoir un projet de plan de mise en œuvre sur la base de toutes les modalités de réparation identifiées dans l’Ordonnance, en consultation avec les victimes.
La Chambre a noté que la priorité devra être donnée aux personnes nécessitant des soins médicaux et psychologiques immédiats, aux victimes handicapées et aux personnes âgées, aux victimes de violences sexuelles ou à caractère sexiste, aux victimes sans abri ou en difficulté financière, ainsi qu’aux enfants nés du viol et de l’esclavage sexuel et aux anciens enfants soldats.
La Chambre a rendu son Ordonnance en reconnaissant particulièrement les souffrances des victimes de violences sexuelles et à caractère sexiste et en adoptant des principes supplémentaires qui devraient guider chaque étape du processus de réparation, y compris, entre autres, une approche des réparations sensible au genre et inclusive à son égard, en tenant dûment compte et en répondant aux besoins spécifiques de tous les individus, sans discrimination fondée sur le sexe ou l’identité de genre.
L’Ordonnance fixe également les délais pour que le Fonds au profit des victimes soumette son projet de plan général de mise en œuvre avant le 8 septembre 2021, au plus tard, et un plan d’urgence pour les victimes prioritaires avant le 8 juin 2021, au plus tard.
Le juge Chang-ho Chung, juge président pour la procédure de réparation, a lu un résumé de l’ordonnance de réparation à l’encontre de M. Ntaganda, qui sera mise en œuvre par le biais du Fonds au profit des victimes. Le juge Chang-ho Chung a rappelé la large portée de l’affaire et le grand nombre potentiel de victimes éligibles à recevoir des réparations.
Pour rappel, le chef rebelle congolais Bosco Ntaganda avait été condamné le 7 novembre 2019 à une peine totale de 30 ans d’emprisonnement. Le temps passé en détention à la CPI – du 22 mars 2013 au 7 novembre 2019 – sera déduit de la peine.
Ntaganda avait été jugé pour 13 chefs de crimes de guerre et 5 chefs de crimes contre l’humanité. Parmi ces chefs d’accusation : meurtre et tentative de meurtre, viol, esclavage sexuel, attaque contre des civils, pillage, déplacement de civils, attaque contre des biens protégés, et enrôlement et conscription d’enfants soldats âgés de moins de 15 ans et leur utilisation pour les faire participer activement à des hostilités – tous présumés commis dans le contexte du conflit armé en Ituri en 2002 et 2003.
Qui est Bosco Ntaganda
Bosco Ntaganda est né en 1973 à Kinigi, au Rwanda. Adolescent, il s’est enfui en RD Congo au milieu des attaques contre les Tutsis au Rwanda. Il a commencé sa carrière militaire en 1990 au sein du Front patriotique rwandais (FPR), un groupe rebelle rwandais alors basé en Ouganda. Le FPR a ensuite mis fin au génocide des Tutsi en 1994 et formé le gouvernement qui est toujours au pouvoir au Rwanda.
Ntaganda avait ensuite rejoint l’Armée Patriotique Rwandaise (APR, armée formée par le FPR) et avait participé en 1996 à l’invasion militaire de la RDC par la rébellion de l’AFDL(Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération) soutenue par le Rwanda et qui avait permis à Laurent Desiré Kabila de prendre le pouvoir en RDC.
En 1998, lors de la « deuxième guerre du Congo », Ntaganda avait rejoint un groupe armé congolais soutenu par le Rwanda, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD). En 2002 et 2003 alors que sévit une guerre interethnique qui oppose les Lendu aux Hema en Ituri, Bosco Ntaganda est le chef d’Etat-major de l’Union des Patriotes Congolais(UPC), la milice de Thomas Lubanga qui prétendait défendre les intérêts du groupe ethnique Hema dans l’actuelle province congolaise de l’Ituri située au nord-est de la RDC.
Thomas Lubanga avait été condamné à 14 ans de prison en 2012 pour avoir recruté et exploité des enfants soldats en Ituri. Il a été libéré en mai 2020 après avoir purgé sa prison. Et c’est à la tête de cette milice de Thomas Lubanga que Bosco Ntaganda aurait enrôlé des enfants et les aurait fait participer aux combats. Ces “exploits” lui vaudront même le surnom de Terminator.
Trois ans plus tard, Ntaganda devient le numéro 2 de la rébellion du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP). Ce mouvement dirigé par Laurent Nkunda avait pris les armes contre le régime de Joseph Kabila une année après l’organisation des élections présidentielle et législatives de 2006. En août 2006, la CPI émet un premier mandat d’arrêt contre Bosco Ntaganda.
Chef de la branche armée du CNDP, Bosco Ntaganda- ancien de l’AFDL la rébellion qui a fait tomber Mobutu et du RCD la rébellion pro rwandaise qui a pris les armes contre Laurent-Désiré Kabila en 1998- s’attribue le grade de général. Ce grade lui sera officiellement reconnu après la signature d’un accord de paix avec le gouvernement congolais, le 23 mars 2009. Deux mois plus tôt, le chef de la rébellion du CNDP, Laurent Nkunda avait été arrêté au Rwanda où il se trouve toujours.
L’accord du 23 mars prévoyait notamment la reconnaissance des grades des militaires du CNDP et la transformation de ce mouvement rebelle en parti politique. Ce qui fut fait. C’est dans cette logique que Bosco Ntaganda et ses hommes vont réintégrer l’armée congolaise.
Le 14 mars 2012, la CPI rend le tout premier verdict de son histoire contre Thomas Lubanga, ancien chef milicien de l’Ituri. Bosco Ntaganda est cité dans ce verdict comme étant le coauteur des crimes pour lesquels Thomas Lubanga est reconnu coupable. Le procureur de la CPI, Luis Moreno O’Campo demande au gouvernement congolais de livrer Bosco Ntaganda pour qu’il réponde de ces accusations. Kinshasa refuse. Ntaganda a peur, quitte Goma et se retranche dans le Masisi. C’est le début de la mutinerie des soldats de l’armée congolaise qui lui sont restés proches.
Début mai, les mutins annoncent la création d’une nouvelle rébellion, le mouvement du 23 mars (M23). Ils réclament la pleine application de l’accord signé en 2009 entre le CNDP et le gouvernement. Le M23 est dirigé par Sultani Makenga et nie tout lien avec Bosco Ntaganda. Mais ce dernier conserve une influence dans le mouvement via ses fidèles.
Six mois après sa création, le M23 prend le contrôle de la ville stratégique de Goma au Nord-Kivu. Et élargit l’assiette de ses revendications, évoquant notamment les élections de 2011 entachées de “fraudes et d’irrégularités”. La rébellion quitte Goma moins de deux semaines plus tard en échange des négociations, qui se tiennent encore à Kampala.
Dissensions au sein du M23
Sous l’égide des Nations unies, onze pays signent fin février à Addis-Abeba un accord-cadre de paix et de coopération dans la région. Ils s’engagent à ne pas abriter ni soutenir des criminels recherchés par la justice. Au lendemain de la signature de cet accord, des dissensions apparaissent au sein du M23 entre une faction fidèle à Sultani Makenga et l’autre fidèle à Bosco Ntaganda. Les deux camps rivaux vont s’affronter d’abord sur le plan politique, ensuite sur le plan militaire à Rugari jetant dans la rue de nombreuses familles.
Le 15 mars, la faction de Sultani Makenga prend le dessus sur celle de Bosco Ntaganda et la déloge de Kibumba (30 km de Goma) où elle avait établi son Etat-major. Des cadres du M23 fidèles à Bosco Ntaganda traversent alors la frontière et se réfugient au Rwanda.
Le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende affirme que Ntaganda se trouve aussi au Rwanda. Ce que Kigali dément. Avant d’annoncer, 24 heures plus tard, que Bosco Ntaganda s’est rendu à l’ambassade américaine à Kigali. Le chef rebelle demande alors, de plein gré, à être transféré à La Haye pour être entendu par les juges de la CPI. Finalement. (Fin)