«Haïti est un modèle pour le monde noir, car il s’est donné l’indépendance en 1804» -Rooney Saint-Eloi 

L’écrivain Rooney Saint-Eloi

Lors des Rencontres Internationales du Livre Francophone qui se tiennent à Kigali du 26 au 29 Mars 2025, et qui ont choisi pour Parrain, l’écrivain canadien d’origine haïtienne, Rooney Saint-Eloi (RSE), une interview a été réalisée avec cet auteur par André Gakwaya de l’Agence Rwandaise d’Information (ARI-RNA).

Poète, écrivain, essayiste et éditeur haïtien, Saint-Eloi est l’auteur de plusieurs livres de poésie, dont Je suis la fille du baobab brûlé (2015) et Jacques Roche, Je t’écris cette lettre (2013). Il a fondé la maison Mémoire d’encrier en 2003. Ses œuvres incluent des anthologies, des spectacles et des essais comme Passion Haïti (2016). Lauréat du Prix Biddle, il a été nommé Chevalier des Arts et des Lettres (2021).

ARI – Est-ce la première fois que vous arrivez au Rwanda et connaissiez-vous ce pays/

RSE – Chaque Haïtien a suivi et vécu dans son cœur et dans son âme ce que le Rwandais a vécu durant le Génocide de 1994. J’ai surtout connu le Rwanda grâce à une copine rwandaise, Immaculée, que j’ai rencontrée à l’Université de Laval au Québec où je suivais des cours. Il y a juste 32 ans. Et puis j’ai lu beaucoup d’ouvrages sur le Rwanda. Je suis écrivain et éditeur. J’ai publié des ouvrages des auteurs rwandais comme Béatha Meyresse et Dorcy. Parce que c’est une littérature qui parle de violence, de douleurs, mais aussi de joie.

Quand je dis bien, je veux dire que j’ai toute la bonne volonté d’entrer dans cette littérature, car c’est une littérature qui parle beaucoup de douleur, de violence, mais aussi d’amour et de joie. En tant que peuple noir, en tant qu’Haïtien, je pense que nous devons toujours rendre hommage à la façon dont nous nous sommes arrachés à tout ce qui nous a été imposé, à l’esclavage, à la colonisation. Je pense que nous devons connaître nos origines, car nous devons connaître tout ce qui nous a précédés, et dans mon écriture, dans tout ce que j’écris, j’essaie d’aller vers une connaissance de moi-même, une connaissance de l’autre.

Dans la connaissance de l’autre, je pense qu’il est fondamental de connaître la condition noire. C’est pourquoi j’écris beaucoup sur Haïti, sur le monde noir, sur ma mère, qui s’appelle Beata. J’ai écrit un livre intitulé « Quand il est triste, Bertha chante ».

C’est un hommage à la femme noire, un hommage à Bertha, qui a élevé seule quatre enfants, qui était seule, qui n’a jamais rien dit, qui n’a jamais baissé les bras, qui était toujours joyeuse, qui vivait toujours de bonne humeur, dans la joie. Je pense que c’est un modèle de résistance, la façon dont Bertha a su regarder le monde. C’est donc vraiment un hommage à Bertha, un hommage à toutes les femmes haïtiennes, à toutes les femmes noires.

ARI- Est-ce parce que votre père était mort, et que votre mère devait élever seule quatre enfants ?

St Eloi – Oui, mais c’est plus difficile, car dans le livre, quand elle est triste, Bertha chante. Bertha est celle qui choisit ses hommes, elle est dans une dynamique très féministe.

Ce n’est pas une femme qui subit la vie, c’est une femme qui va vers la vie, c’est elle qui fait et refait la vie. J’ai aussi écrit Passion Haïti, pour montrer mon lien avec Haïti. Comme je vis à Montréal, on me pose toujours des questions sur la vallée, sur Dessalines, sur le fait d’être Haïtien.

Même quand on vous invite à la télévision, à la campagne, on vous demande comment va votre pays. Où que vous alliez, votre pays vous suit, que ce soit en Haïti ou au Rwanda, on nous demande toujours comment va le pays. On ne demande jamais à un Allemand comment va l’Allemagne, mais quand on est ici au Rwanda, on vous pose la question.

J’ai donc écrit un livre intitulé Passion Haïti, pour parler d’Haïti, pour montrer aux étrangers ce qu’est Haïti, et pour montrer que ce n’est pas seulement la misère et la détresse. Parce que c’est un pays passionnant, qui m’a formé, qui m’a tout donné finalement Et puisque la terre c’est toutes les ides de joie, d’amour et de solidarité qui t’ont a traversé, et quand je suis accueilli l’académie des lettres du Québec, quand je parle comme académicien et je viens de Haïti, quand vous me célébrez, vous célébrez Haïti. Quand je suis ici au Rwanda, c’est la rencontre entre le Rwanda et Haïti C’est pour cela que j’ai écrit ma passion   Haïti parce que je pense que c’est fondamental.  Haïti est un modèle pour l’humanité malgré la détresse de la vie quotidienne. Haïti est resté un modèle pour le monde noir, comment ce pays s’est donné l’indépendance, comment ce pays s’est révolté C’est un modèle de résistance dans la condition noire, Haïti joue un rôle important, Haïti nous ramène toujours au cercle de l’humanité. Les humains appartiennent au cercle de l’humanité. Les esclaves d’Haïti se sont mis debout et ont créé une humanité noire en 1804 et c’est l’indépendance de Haïti. Et c’est une fierté. Mon pays a eu un grand rêve de liberté, d’humanité et d’égalité pour qu’on renouvelle encore aujourd’hui ce rêve d’humanité.

ARI – Et vos ouvrages se focalisent sur ce grand thème de cette humanité… 

RSE – J’attache une grande importance à la solidarité. En Haïti, les gens mangent et boivent ensemble. Même dans le créole haïtien, les gens disent : « Une fois la nourriture cuite, elle n’a plus de propriétaire ». C’est un pays qui a créé un espace commun. Que les gens vivent ensemble, mettent en commun ce qu’ils ont. Par exemple, l’éducation d’un enfant est faite par tous les papas, toutes les mamans et toutes les tante, c-à-d que les enfants jouent et mangent ensemble. Et le respect pour la nature est fondamental. Les gens vivaient avec la nature, les animaux. Quand on parle aujourd’hui de la philosophie du vivant, pour nous, c’est le quotidien du vivant. Parce que les gens vivaient dans les montagnes, avec les animaux, les jardins, c-à-d ça faisait partie de leur vie.  Donc, ce n’est pas une philosophie, c’est une pratique du quotidien. Pour moi, c’est fondamental. C’est l’héritage que Haïti a amené au monde. C’est une synergie. Et les gens vivaient avec les morts parce que la tombe était dans la cour. Il n’y a pas les vivants d’un côté et les morts de l’autre côté. Quand les gens avaient des problèmes dans leur quotidien, ils allaient parler aux grands-mères décédées pour demander la route à suivre.

ARI- Dans la cour…

RSE – Il y avait la tombe et les gens vivaient à côté. Les gens ne mettaient pas loin leurs morts. C’est un proverbe qu’on tient d’Afrique, quand un vieux meurt, c’est une hutte qui brûle, selon Hampaté Bâ. Je vois qu’il y a des maisons de retraite en Occident. Mais chez nous on ne peut pas en avoir. Mais en Haïti on respecte beaucoup les morts et les vieux. Il y a une exigence de transmission. C’est la grand-mère qui transmet la culture, la vie d’avant. C’est la grand-mère qui colle tous les bouts cassés de la société. On ne peut pas la mettre dans des lieux de mouroirs comme on fait en Occident. Donc, je pense qu’Haïti a donné beaucoup en termes d’exemple d’humanité.  Donc, je pense que c’est un modèle d’éclairage.

ARI- C’est cela votre présentation durant ces Rencontres du Livre Francophone ?

RSE – Moi je vais parler de ma poésie. Je suis poète. Je fais parler, j’écris des livres de poésie et la poésie dit cette humanité-là. Je suis nostalgique de cette humanité, parce que je crois qu’il y a un royaume et c’est un royaume perdu. Je vais vers ce royaume perdu et j’essaie de reconstituer ce que sait ce royaume perdu dans ma poésie. (Fin)

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