Le président burundais Evariste Ndayishimiye lors de son investiture le 18 juin 2020.
Au Burundi, la surveillance et le contrôle des médias et des organisations non gouvernementales et la condamnation de 12 journalistes et activistes en exil à l’issue de procédures entachées de graves irrégularités ont un effet dissuasif durable sur leur travail, a déclaré Human Rights Watch(HRW) aujourd’hui.
Presque un an après l’investiture du président Évariste Ndayishimiye, les autorités envoient toujours des signaux contradictoires. Elles ont levé certaines restrictions imposées à la société civile et aux médias depuis le début de la crise politique en 2015. Mais elles ont aussi renforcé les restrictions pesant sur les défenseurs des droits humains et les journalistes qui sont perçus comme critiques à l’égard du gouvernement. Un défenseur des droits humains et un ancien député condamnés pour des chefs d’accusation abusifs sont toujours en détention.
« Le gouvernement devrait aller au-delà des gestes symboliques de bonne foi pour s’attaquer au système de répression enraciné mis en place sous l’ancien président Pierre Nkurunziza avant son décès », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch. « Des réformes de fond sont nécessaires pour agir contre le manque d’indépendance de la justice, les procès politisés et l’absence de responsabilisation pour les abus commis depuis 2015. »
En avril 2021, Human Rights Watch s’est entretenu avec 36 journalistes et activistes de la société civile burundais, employés d’organisations non gouvernementales étrangères, membres du personnel des Nations Unies et diplomates – vivant dans le pays et en dehors – sur l’impact des réformes limitées du président Évariste Ndayishimiye. Tous ont parlé sous couvert de l’anonymat. Human Rights Watch a aussi examiné les lois, les documents judiciaires, les discours publics et les publications sur les réseaux sociaux.
Pendant le troisième et dernier mandat de Pierre Nkurunziza, la société civile et les médias indépendants ont été attaqués sans répit et certains de leurs membres ont été tués, ont disparu, ont été emprisonnés et menacés. Des dizaines de défenseurs des droits humains et de journalistes ont fui le pays et sont toujours à l’étranger à l’heure actuelle. L’impunité pour ces crimes est quasi totale et les réformes introduites par le président Évariste Ndayishimiye ont eu un impact limité sur la capacité des journalistes et de la société civile à s’exprimer librement.
Les réformes d’Évariste Ndayishimiye semblent destinées à améliorer l’image du Burundi et à rétablir les liens économiques avec la communauté internationale. Cependant, depuis son investiture en juin 2020, les graves atteintes aux droits humains, incluant des meurtres extrajudiciaires, des disparitions forcées et des arrestations arbitraires, ont continué, quoique dans une moindre mesure que lors des élections de 2020. La documentation des atteintes aux droits humains reste difficile en raison de l’accès restreint au pays pour les organisations internationales de défense des droits humains, des risques pour la sécurité des activistes burundais et de la crainte de représailles contre les victimes et les témoins par les autorités. Les auteurs présumés d’abus n’ont été arrêtés et jugés que dans quelques cas, même si leurs procès ont souvent manqué de transparence.
Les abus dans le système judiciaire ont été illustrés par la condamnation début mai d’un ancien député, Fabien Banciryanino, pour des chefs d’accusation liés à la sécurité. Il a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement et une amende de 100 000 francs burundais (51 dollars US). Pendant le procès, deux sources présentes ont affirmé que le ministère public a accusé Fabien Banciryanino d’atteinte à la sûreté de l’État pour avoir prétendument tenu une conférence de presse sans autorisation préalable, et de rébellion pour avoir présumément refusé de remettre son titre foncier à la demande d’un administrateur local. Fabien Banciryanino a plaidé non coupable.
Le 5 mars, un décret présidentiel a annoncé la grâce ou la libération anticipée de plus de 5 000 prisonniers. La moitié environ de ces prisonniers ont été libérés dans le cadre de cette mesure qui pourrait constituer un pas important pour réduire la surpopulation carcérale dramatique. Le décret a aussi exclu de nombreux prisonniers en détention préventive ou accusés de délits liés à la sécurité, dont bon nombre ont été arrêtés au lendemain des manifestations de 2015 contre le troisième mandat brigué par l’ancien président et sont détenus pour des raisons politiques.
À l’occasion de la libération d’un groupe de prisonniers de la prison de Mpimba à Bujumbura, le président Ndayishimiye a réitéré son engagement à mettre fin à l’impunité et à renforcer le système judiciaire, mais il a affirmé à tort que le Burundi n’avait pas de prisonniers politiques. Nestor Nibitanga, défenseur des droits humains arrêté en novembre 2017 et condamné pour des chefs d’accusation liés à la sécurité après avoir subi une détention arbitraire prolongée et d’autres violations graves de la procédure régulière, a été gracié et libéré le 27 avril, mais d’autres détenus sont toujours en prison.
Même si le gouvernement d’Évariste Ndayishmiye a levé certaines restrictions, dont la suspension de l’organisation anti-corruption PARCEM (Parole et action pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités) et d’une station de radio locale, Bonesha FM, les autorités exercent toujours une ingérence abusive dans les activités de la société civile et des médias au Burundi ainsi qu’une surveillance de leur travail, a constaté Human Rights Watch.
Le gouvernement continue de s’appuyer sur deux lois régissant le travail des organisations non gouvernementales nationales et étrangères et sur la loi sur les médias de 2018 pour contrôler les activités. Des journalistes et des membres du personnel d’organisations nationales et internationales ont rapporté avoir demandé une autorisation auprès des autorités provinciales et locales pour effectuer leur travail. Ils ont aussi décrit des menaces et des difficultés les empêchant de travailler sur des questions de droits humains ou de sécurité. Les médias internationaux sont toujours restreints et les opérations de la British Broadcasting Corporation (BBC) et de Voice of America (VOA) au Burundi font toujours l’objet d’une injonction de suspension.
Le 2 février 2021, la publication du verdict de culpabilité de la Cour suprême du Burundi datant du 23 juin 2020, dans l’affaire contre 34 personnes accusées d’avoir participé à une tentative de coup d’État en mai 2015, dont 12 défenseurs des droits humains et journalistes en exil, a révélé les limites de l’agenda de réforme du gouvernement actuel, a indiqué Human Rights Watch. Après un procès lors duquel les accusés étaient absents et ne disposaient pas de représentant légal, une atteinte de plus aux principes fondamentaux d’une procédure régulière, le groupe a été reconnu coupable d’« attentat à l’autorité de l’État », d’« assassinats » et de « destructions ».
Le 24 mars 2021, Radio Publique Africaine (RPA), Radio-Télévision Renaissance et Radio Inzamba, trois médias burundais indépendants qui émettaient depuis Kigali, au Rwanda, après que leurs dirigeants et bon nombre de leurs journalistes ont été contraints à l’exil, ont suspendu leurs diffusions. Les autorités rwandaises ont indiqué à ces trois médias qu’ils ne pouvaient plus opérer depuis le Rwanda en raison d’une demande faite par le gouvernement burundais. RPA et Radio Inzamba ont repris leurs activités en avril, après que leurs directeurs ont quitté le Rwanda. La Radio-Télévision Renaissance a annoncé la reprise de ses programmes le 24 mai.
Le 14 mai, Human Rights Watch a écrit aux ministres burundais des Affaires étrangères et de la Justice, ainsi qu’à la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH), pour leur faire part de ses principales conclusions et demander des informations sur les mesures prises pour redresser les abus documentés dans ce rapport. Human Rights Watch n’a reçu aucune réponse à ce jour.
La Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi, instaurée en septembre 2016 et soutenue par l’Union européenne (UE), est le seul mécanisme d’enquête international qui continue d’opérer au sujet du Burundi, bien que sans accès à ce pays. Tous les ans depuis sa création, la commission documente les violations graves des droits humains, qui, dans certains cas, peuvent constituer des crimes contre l’humanité. Lors d’une intervention en mars 2021, la commission a indiqué que les partenaires du Burundi devraient utiliser des facteurs objectifs concrets pour évaluer les progrès réalisés par le gouvernement burundais dans la gestion de la situation désastreuse des droits humains.
Le 8 décembre 2020, l’UE et le gouvernement burundais ont entamé un dialogue politique visant à élaborer une « feuille de route » pour de telles réformes, alors que le gouvernement fait pression sur l’UE pour qu’elle lève sa suspension d’appui budgétaire direct de 2016. Le gouvernement n’a pas respecté de nombreux engagements sollicités par l’UE en 2016, notamment ceux concernant les médias et la société civile.
Le dialogue continu entre l’UE et le gouvernement burundais devrait s’accompagner d’objectifs clairs pour restaurer l’espace propice à la liberté de réunion, d’association et d’expression, a déclaré Human Rights Watch. L’UE ne devrait pas accepter les gestes symboliques et les promesses de changement au détriment de la responsabilisation et de la résolution des causes profondes de la crise des droits humains dans le pays.
Malgré le manque de progrès substantiels, le 27 avril, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a mis un terme à la mission d’observation des droits humains et a appelé à lever toutes les sanctions internationales contre le Burundi. En décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a mis fin à ses rapports spécifiques concernant le Burundi.
« Les partenaires du Burundi ont un rôle essentiel à jouer pour faire en sorte que le gouvernement aille au-delà des mesures parcellaires pour s’attaquer aux défaillances structurelles et systémiques du système judiciaire », a conclu Lewis Mudge. « La répression du gouvernement à l’encontre de ceux qui ont révélé les abus généralisés est loin d’être terminée. » (Fin)