Le Président Sarkozy et son homologue rwandais Paul Kagame lors du XXVème Sommet Afrique-France. Leurs sourires en disant long sur l’état des relations entre les deux pays (Photo : AP)
Vous venez de prendre poste au Rwanda il y a à peine quatre mois après trois ans de rupture diplomatique. Quelles sont les avancées déjà enregistrées dans les relations franco-rwandaises ?
Tout d’abord, l’ouverture de nos deux ambassades. C’est déjà une concrétisation importante dans l’amélioration de nos relations diplomatiques et politiques. D’autre part, la venue de mon Président le 25 février à Kigali. Ensuite la venue du Président Kagame à Nice. Tout cela se passe au plus haut niveau. Le processus de normalisation continue : politique d’abord, c’est un geste important. Ensuite on travaille sur les dossiers les plus concrets de voir comment la France peut contribuer au développement du Rwanda. On arrive après trois ans d’absence et on a essayé de voir ce que l’on peut faire suivant la nouvelle philosophie de nos relations pour éviter de retomber dans les erreurs du passé.
L’autre facteur important c’est le manque de nos moyens. On est en pleine crise financière internationale et ces plans d’austérité en Europe, etc. Nous sommes en contexte économique qui n’est pas favorable Dans ce contexte un peu restreint qui contraint les dépenses extérieures, cela ne nous empêche pas de voir ce que l’on peut faire ici.
Le premier geste concret, il y a la mission de l’Agence française de développement est arrivée ici et a signé le contrat à durée déterminée (CDD), concernant une petite dette de 3 millions d’euros que l’on a converti en une aide au développement avec évidemment l’accord du gouvernement rwandais. Nous avons déterminé avec le Ministre des finances les modalités de ce contrat de construction de petites lignes hydroélectriques dans le milieu rural.
Le deuxième geste concret c’est l’octroie de lignes de crédits aux banques rwandaises. Nous avons signés de contrats avec la Banque de Kigali en particulier pour l’octroie de ces lignes de crédits.
L’autre domaine dans lequel on travail, c’est le gaz méthane au lac Kivu. On a une entreprise française [ContourGlobal : NDLR] qui travaille depuis trois ans malgré la rupture de nos relations diplomatiques avec un partenaire rwandais pour développer cette richesse. Le projet avance bien et les progrès sont significatifs. L’on est en avance des autres concurrents.
Ces domaines sont très significatifs si l’on voit la stratégie de développement du Rwanda, en particulier dans le domaine de l’énergie. Vous savez qu’il y a déficit énergétique important ici et nous sommes prêts à réduire ce déficit en exploitant les ressources naturelles comme le gaz méthane.
Un autre domaine c’est évidemment la culture. Nous étions présents ici avec le centre culturel et maintenant on a un projet du centre culturel qui va redonner le sens que ce centre avait ou même le développer au plus haut niveau culturel.
Une séance de photos entre le président Kagame et l’ambassadeur Contini après la présentation par ce dernier de ses lettres de créance au mois de janvier
Pour sa deuxième fois en tant que président, Kagame s’est rendu en France pour participer avec ses pairs africains au 25ème sommet de la France-Afrique. Quelle est selon vous la valeur ajoutée des conclusions de ce sommet sur la nouvelle stratégie des relations franco-rwandaises ?
La venue du Président Kagame à Nice est évidemment un souvenir. Ça fait huit ans que le Président Kagame ne c’est pas rendu en France. C’est un geste qui contribue au processus de normalisation de nos relations. Le président Kagame a pu voir et a pu se rendre compte de cette volonté de la France de bâtir de nouvelles relations avec l’Afrique. De faire rupture de ce que l’on appelle l’ancienne françafrique. La France veut bâtir de nouvelles relations avec l’Afrique. Le point fort quand même de ce sommet a été de montrer que la France ne s’intéressait pas qu’à l’Afrique francophone mais aussi à l’Afrique anglophone. Il y avait deux vedettes de l’Afrique anglophone, l’Afrique du Sud et le Nigéria. C’était aussi une surprise de voir la présence de Bouteflika au sommet de Nice. L’on ne s’y attendait pas. Cela montre que la France a ce désir, cette volonté de nouer des relations avec toute l’Afrique.
D’une part, les relations franco-rwandaises sont très chaleureuses. Du moins j’en suis le témoin tous les jours. J’ai de la part des autorités rwandaises une coopération totale, une ouverture, un dialogue quotidien.
D’autre part, la France ne sera plus ce qu’elle a été ici au Rwanda. La France aura des relations cordiales, amicales et à long terme avec le Rwanda. Et dans tous les domaines. Cela correspond tout à fait à ce que le Président Kagame souhaite voir et mon Président l’a dit. La relation franco-rwandaise ou rwando-française sera innovante et fera l’image de ce que l’on veut faire en Afrique. Des relations nouvelles bâties sur d’autres critères différentes de l’ancienne françafrique. Et le Rwanda sera le modèle de nouvelles relations franco-africaines.
Ici au Rwanda, on a tous les atouts, les bases, les paramètres que l’on peut utiliser dans nos relations d’égal à égal, de partenaires et non plus des relations post coloniales. Le Rwanda n’a jamais été une colonie mais à l’époque l’on a voulu l’intégrer dans la françafrique. C’est là où le malentendu et les problèmes de la tragédie on commencé à cause du fait de ne pas comprendre la spécificité du Rwanda. Les autorités françaises doivent comprendre la spécificité du Rwanda : sociale, culturelle, politique. Si l’on comprend la spécificité, l’on respecte l’évolution de ce pays. Et on contribue à ce dynamisme.
Nous sommes à moins de deux mois des présidentielles du 9 août prochain. Que pensez-vous du processus démocratique au Rwanda ?
Le processus démocratique au Rwanda est indissociable de l’histoire de ce pays. L’on ne peut pas mesurer le processus démocratique au Rwanda selon des critères qui feraient fi à ce passé du génocide des Tutsis, de ce que l’on appelle l’ensemble de la Tragédie du drame rwandais. Les conditions politiques, sociales et économiques de ce pays ont été évidemment conditionnées par ce génocide. Et on ne peut pas demander au Rwanda la même évolution politique, démocratique et social que dans un pays qui n’a pas connu un génocide. Moi, je respecte l’évolution et les choix politiques ici dans la mesure où l’on a vu quand même une amélioration, on voit une dynamique. Certains peuvent la juger trop lente mais il y a une évolution qui fait que le Rwanda s’ouvre. Toutefois ce que l’on appelle l’ouverture de l’espace politique est-elle trop lente ? Est-elle stagnante ? Je suis encore très réticent. Je veux voir l’évolution en trois ans surtout après les élections. On verra si il y a une ouverture politique qui se fait. Je n’ai pas de leçons à donner au Rwanda. Le Rwanda a connu une expérience et des critères des conditions uniques. Aucun pays n’a connu ce qu’a connu le Rwanda. Et donc on ne peut pas dicter au Rwanda de respecter tout de suite des critères qui sont mal respectés ailleurs. On ne peut pas exiger du Rwanda ce qui n’existe dans pas mal de pays africains qui n’ont pas connu de génocide. La démocratie en Afrique a subi des aléas et des pays qui permettent une démocratie symbolique. Et en général on remarque que ce sont des pays qui ont connu la paix et la stabilité pendant longtemps. Le Sénégal, le Ghana, n’ont pas connu de guerres civiles. Et à mon avis, la démocratie se construit sur la stabilité.
Que dites-vous de la justice, premier contentieux entre le Rwanda et la France ?
L’on a reçu ici une mission des juges qui sont venus enquêter sur les dossiers des présumés réfugiés en France. J’espère aussi que le juge anti-terroriste français Marc Trévidic, qui a repris le dossier du juge Jean Louis Bruguière, va venir ici récemment, pour enquêter sur ce dossier qui était le noyau dur du contentieux franco-rwandais. Je pense qu’au jour où Trévidic vient pour la clôture du dossier, ce contentieux pourrait disparaître.
Les arrestations de présumés génocidaires en France aussi se poursuivent. Ce n’est pas seulement en 2010. Avec l’arrivé du Président Sarkozy à l’Elysée en 2007, on a assisté à pas mal d’arrestations de ses suspects. Qu’ils soient libérés ou pas jugés, cela est dû au fait que certains dossiers sont fragiles ou pas complets.
Le Rwanda s’est doté d’une loi qui criminalise l’idéologie du génocide dont certains souhaitent la voir révisée ou abrogée carrément. Qu’en pensez-vous ?
Que le Rwanda se soit doté d’une loi criminalisant le révisionnisme et le négationnisme me semble tout à fait normal. Le contraire a été bizarre. Donc c’est l’application et l’interprétation de textes d’une loi qui fait souvent problème. Il faut éviter qu’il y ait des distorsions, des dérapages dans l’application de cette loi et être très prudent des accusations et instrumentalisations de la loi pour des intérêts politiques, qu’elle est là pour museler l’opposition. Il faut faire attention car cet argument est très fort. C’est aux autorités rwandaises de voir comment appliquer de cette loi le plus juste possible.
Y-a-t-il un outil juridique et légal similaire dans les lois françaises ?
Le problème français de justice c’est la question d’intégration des lois de la Cour Pénale Internationale dans les lois françaises. Cela nécessité une nouvelle loi condamnant le négationnisme de tous les génocides : arménien, cambodgien, etc. Et encore cela demande un travail énorme. Il faut que la France ce soit doté d’un cadre juridique et légal condamnant le révisionnisme et le négationnisme de tous les génocides. C’est une position que nous défendons au niveau du ministère des affaires étrangères. Malheureusement ça ne se concrétise pas. Mais cela ne nous empêche pas d’arrêter des gens présumés de génocidaires. A l’absence de loi condamnant le négationnisme nous ne pouvons pas grand chose devant ceux qui maintiennent la thèse du double génocide, qui est une aberration pour moi, ou ceux qui trempent dans le négationnisme et révisionnisme.
Il est dit que parmi les ambassades de France partout au monde, seule l’Ambassade de France au Rwanda possède peu de moyens. Qu’en dites-vous ?
C’est évidant. On redémarre. Pour que la réouverture de l’ambassade se fasse, c’est un processus. En principe il y a deux solutions. Soit on redémarre avec de gros moyens, soit l’on démarre petit puis on va grandir. On a choisi la deuxième solution. On verra si c’est la meilleure. De toute façon, nous ici, avec ma petite équipe, on est très motivé, très mobilisé. Et je crois que l’on a déjà réussi à pas mal de chose : réouverture de l’ambassade, la venue de pas mal de missions, la venue du président, des juges, des parlementaires, etc. C’est de remettre sur les rails enfin de compte l’ensemble de secteurs de coopération, de dialogue qui existaient avant.
Quelles sont les répercussions de ce peu de moyens sur différents domaines d’intervention en général, et sur la réhabilitation du centre culturel franco-rwandais en particulier?
Il n’y a pas de répercussions. La faiblesse de moyens peut être ça me donne beaucoup de travail. Voilà. La répercussion la première c’est que mon équipe et moi travaillons beaucoup. Mais pour la rénovation du centre culturel, la seule solution possible c’est un partenariat public-privé franco-rwandais. C’est un centre d’échange franco-rwandais. Donc les Rwandais vont aussi participer. Il y a un grand nombre d’investisseurs privés intéressés par ce centre qui vont participer à sa reconstruction. La répercussion sur le centre ça nous donne donc d’être créatifs pour chercher les investissements ici au Rwanda pour la reconstruction du centre.
Dans les deux premiers mois de votre mission au Rwanda, vous avez promis la reprise des émissions de la RFI à Kigali dans un ou deux mois suivants. Selon vous, qu’est ce qui explique ce retard ?
En tout cas cela ne vient pas de nous. Ça ne vient pas de la France ni de la RFI. Il y a eu des missions de la RFI qui sont venus ici et depuis quelque temps je n’ai pas de nouvelles. L’accord technique avait été scellé depuis le mois de Janvier pour la reprise des émissions de la RFI à Kigali. Et il revient au aux autorités rwandaises d’expliquer pourquoi la RFI n’émet toujours pas. La balle est dans le camp rwandais. La RFI est prête à émettre dès demain, il s’agit de tourner un peu un petit bouton. Mais les autorisations ne sont toujours pas là.
Le 27 mai 2010 à Lyon, Daniel Turp, Professeur à la faculté de droit à l’Université de Montréal, a prédit un dangereux déclin de la langue française dans le monde si rien n’est fait pour la protéger. Au Rwanda, elle est n’est plus utilisée comme langue d’enseignement. Que comptez-vous faire pour promouvoir le français au Rwanda ?
Le déclin du Français dans le monde c’est la préoccupation des Français depuis le XVème siècle. A l’époque, ils redoutaient qu’elle fasse place à l’Italien. Le français est une langue internationale et restera une langue internationale.
Au Rwanda, la décision qui a été prise en notre absence bien sûr de rétrograder le français, je trouve que c’est normal. En tant que francophone et connaisseur du Rwanda un petit peu, je sais qu’ici il y a pas mal de francophone que d’anglophone. Et qu’il y a une élite francophone plus importante qu’une élite anglophone.
Pour moi, c’est une décision, encore une fois que je respecte mais simplement elle est à mettre en relation avec l’ambition du Rwanda d’être un pont entre les deux Afriques : Afrique centrale et Afrique de l’est. Je crois que cette ambition là serait mieux défendue par le maintien de tous les atouts du Rwanda. Et le français est un atout ici. Ça permettra de mieux être assis dans l’Afrique, en particulier l’Afrique centrale. Le Rwanda ne pourra pas modifier la géographie. Je crois que l’usage du français dans l’enseignement dépendra des ambitions rwandaises. Et par après il revient au Rwanda de voir comment promouvoir le français avec notre aide.
Maintenant que nous sommes revenus, là, il y a interventions de moyens. C’est à nous de proposer des services : l’enseignement, formation, soutien matériel, etc. Pour la défense du français, c’est un problème de la francophonie. Il faut qu’on réunisse la francophonie pour défendre et promouvoir le français. Et ici on va le faire en offrant des services. C’est au gouvernement de choisir ou ne pas choisir ces services. Je crois, d’après les premiers sondages faites auprès du ministre de l’éducation, de l’inspecteur général, des ministres…sont tous prêts à recevoir ces services. L’enseignement di français et de l’anglais, moitié-moitié, ça demande beaucoup de moyens que nous, francophonie, devons contribuer à offrir au Rwanda. Alors si l’on aura fait cela, le français sera mieux utilisé ici. Et au centre culturel il y aura l’enseignement du français et pas seulement le français. Je compte ouvrir un laboratoire de langue dans ce centre. Il y aura évidemment du français, de l’anglais, du swahili et d’autres langues congolaises. Il faut que l’on donne bien impression, que l’on convainque l’opinion publique rwandaise que la francophonie ici n’est plus ce qu’elle était. Elle n’est pas politique. Elle est là pour contribuer au développement de ce pays en tant que charnière entre les deux Afriques.