La Ministre française en charge de l’Europe et des affaires étrangères, Mme Catherine Colonna, a fait une intervention ce 21 Novembre 2023 devant l’Assemblée nationale dans le cadre des partenariats renouvelés entre la France et les pays africains, et à propos des relations entre la France et le Rwanda, elle se réjouit du rétablissement des liens entre le Rwanda et la France.
« Et nous pouvons également être fiers du chemin parcouru avec le Rwanda, grâce à un travail de mémoire honnête et à un engagement diplomatique volontariste, qui nous ont permis de relancer nos partenariats bilatéraux », a –t-elle indiqué.
Lire l’intégralité de son intervention à propos des partenariats renouvelés entre la France et les pays africains dans les lignes qui suivent :
Il est important de pouvoir débattre dans cet hémicycle des relations que la France entretient avec les pays d’Afrique. Il s’agit d’une priorité de notre politique étrangère, et il est donc légitime d’y associer pleinement la représentation nationale.
Tout aussi légitimes sont les questionnements qu’ont pu susciter les différentes crises qui se sont succédé au Sahel. Je reviendrai plus en détail tout à l’heure sur notre action depuis dix ans concernant cette zone, mais je veux d’abord insister sur un point essentiel : l’attitude à notre égard de trois juntes militaires ne doit pas occulter les bonnes relations, et je dirais même, les très bonnes relations que nous entretenons avec l’immense majorité des pays africains ; ils sont 54. Ce serait donc une erreur, une grave erreur que de réduire l’Afrique, qui est diverse et vaste, au seul Sahel.
Je commencerai donc par ce qui concerne la grande majorité de nos relations avec les pays africains, et donc par ce qui va bien. Car sous l’impulsion constante du Président de la République, nous avons voulu renouveler notre politique à l’égard du continent africain, et ce renouvellement porte ses fruits.
Vous vous demanderez peut-être, Mesdames et Messieurs les députés, pour quelle raison l’Afrique constitue l’une des grandes priorités de notre diplomatie. La réponse part d’un constat simple : l’Afrique est un continent qui émerge sur le plan économique, sur le plan diplomatique, sur le plan démographique bien sûr, avec une population de plus d’un milliard d’habitants, en passe de doubler d’ici 2050 et de quadrupler d’ici 2100, pour aller jusqu’à représenter le quart environ de la population mondiale. Dans les années à venir, elle va compter de plus en plus dans les grands équilibres du monde, dans la croissance mondiale, dans la création, dans l’innovation. Et c’est aussi en Afrique que se joue l’avenir de la francophonie : l’Afrique, c’est aussi le continent où vivent plus d’un million de Français dans nos régions et départements de Mayotte et de la Réunion, sans oublier nos 130 000 compatriotes qui résident dans des pays d’Afrique subsaharienne.
Parce que nous avons besoin de nos partenaires africains pour résoudre les grands défis qui nous attendent pour la paix, pour la sécurité, pour l’adaptation au changement climatique, il est indispensable que la France noue des relations solides, confiantes, avec les gouvernements et avec les sociétés africaines. Il y a encore quelques années, notre dialogue se limitait trop aux crises régionales qui affectaient l’Afrique. Aujourd’hui, nous entretenons un dialogue étroit, et exigeant aussi, sur l’ensemble de nos sujets d’intérêt commun : la guerre en Ukraine, le climat, les forêts, la réforme de la gouvernance mondiale. Et c’est exactement ce que nous avons fait en juin dernier à Paris lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, auquel ont participé, notamment, vingt chefs d’État africains.
Pour autant, la France est toujours aussi engagée pour aider à résoudre les crises du continent, en soutien aux organisations régionales. Je pense, en particulier, aux terribles conflits dans l’est de la RDC, ou au Soudan, où nous restons en contact avec les deux camps pour faciliter un processus de paix durable. Et je l’ai fait encore, par exemple hier avec mon homologue de RDC, et ce matin avec celui du Rwanda, compte tenu de la remontée des tensions dans l’est de la RDC. La France accompagne également le processus de sortie de crise en Éthiopie, par exemple : je m’y suis rendue en janvier dernier avec mon homologue allemande Annalena Baerbock. Et nous pouvons également être fiers du chemin qui a été parcouru avec le Rwanda, grâce à un travail de mémoire honnête et à un engagement diplomatique volontariste, qui nous ont permis de relancer nos partenariats bilatéraux.
Mesdames et Messieurs les députés, notre diplomatie a un objectif principal en Afrique : c’est que la France soit un partenaire crédible, compétitif et également attractif, aussi bien pour les acteurs économiques que pour les étudiants, les artistes, les créateurs, et en général pour l’ensemble des sociétés civiles. Car il faut le dire et le répéter : nos entreprises sont compétitives en Afrique, elles le prouvent chaque jour. La France est aujourd’hui le deuxième investisseur étranger en Afrique. En 15 ans, le nombre de filiales d’entreprises françaises en Afrique a doublé, de même que nos investissements. Nous aidons nos start-up, nos PME et les entrepreneurs de la diaspora à investir sur le continent, en finançant leurs projets ou en facilitant leur accès au marché africain. Un exemple et un seul : j’étais il y a deux ou trois semaines au Nigeria, dans cet immense pays de plus de 216 millions d’habitants, qui sera le troisième pays le plus peuplé au monde en 2050, nous avons doublé nos investissements en dix ans.
J’ai bien conscience que ce constat et ces faits vont à rebours de bien des idées reçues. Les réflexes pavloviens, les images d’Épinal ont un point commun : ils voudraient nous faire croire que tout va forcément mal en Afrique et que la France est forcément à la traîne. Et pourtant, il faut bien se rendre compte que nos jeunesses, en particulier, qu’elles soient françaises ou africaines, s’intéressent à tout ce qui permettra de rendre le monde de demain plus juste, plus vivable, plus durable et à tous les partenariats qui peuvent y contribuer. Elles ont raison, et c’est pour elles que nous travaillons.
La réalité de notre politique en Afrique, c’est notre volonté d’investir dans l’avenir, dans les secteurs les plus prometteurs pour l’économie de demain, dans la vitalité de ce continent, qui est le continent le plus jeune du monde, un continent où 60 % de la population a moins de 25 ans. À cet égard, la priorité donnée aux industries culturelles et créatives est exemplaire, depuis la bande dessinée jusqu’au jeu vidéo, en passant par la production audiovisuelle, par l’e-sport ou par les univers immersifs. Ces industries sont porteuses à la fois de croissance économique, d’émancipation individuelle et de renouvellement de nos imaginaires. C’est pourquoi elles ont en Afrique un potentiel considérable, des succès d’ores et déjà impressionnants, et c’est pourquoi la France entend se positionner comme un partenaire de référence en la matière. C’est ce que nous avons fait, avec le premier forum international Création Africa, qui a réuni à Paris, tout début octobre, des centaines d’entrepreneurs français et africains les plus à la pointe. J’ai lancé parallèlement moi-même cette année, avec mon ministère, un fonds de 20 millions d’euros pour que nos ambassades puissent soutenir directement artistes et créateurs du continent qui veulent développer leurs entreprises, sur le marché régional aussi bien que sur le marché international. Et enfin, avec la future Maison des mondes africains, nous voulons que Paris devienne l’un des cœurs battants de la créativité africaine.
Mais c’est aussi par son investissement solidaire que la France est un partenaire crédible de l’émergence du continent. Depuis 2017, notre aide publique au développement est passée, vous le savez, de 10 à 15 milliards d’euros, avec plus de 5 milliards par an pour l’Afrique. Nous sommes désormais le quatrième bailleur mondial – nous avons dépassé le Royaume-Uni -, et surtout, surtout, nous sommes le seul pays à avoir augmenté ses financements en direction du continent l’an dernier.
Notre attractivité reste aussi très importante pour les étudiants africains, c’est-à-dire pour les élites de demain. La France est la première destination des étudiants africains. Ils sont désormais près de 95 000 à faire le choix de nos universités, en augmentation forte, une augmentation de 40 % depuis 2017. Nos ambassades mènent un travail remarquable de promotion des études en France pour les étudiants africains, notamment pour attirer, en complément des étudiants francophones, des étudiants anglophones. Et j’en ai fait moi-même le constat en juin dernier, lors de mon déplacement en Afrique du Sud : oui, nous sommes attractifs pour les étudiants qui sont les élites de demain des pays africains.
Mais la France est aussi résolument du côté des démocrates africains. Cela n’implique nullement de donner des leçons, ni de s’ingérer dans les affaires intérieures des pays africains. Cela consiste à aider les acteurs engagés de la société civile, comme par exemple la Fondation d’innovation pour la démocratie, dirigée par le Professeur Achille Mbembe, mais aussi d’aider tous les influenceurs, tous les journalistes africains qui luttent contre la désinformation, qui luttent pour une information de qualité, condition, on le sait, sine qua non de sociétés ouvertes et démocratiques.
J’ai évidemment en tête les griefs souvent entendus et classiques autour de la délivrance des visas. Je dois vous dire que nous rénovons en ce moment même notre politique de visas, pour mieux tenir compte de nos objectifs d’attractivité, de rayonnement et de prévention des migrations illégales, dans le cadre de la feuille de route dont j’ai fixé les contours avec Gérald Darmanin.
Depuis les engagements pris par le Président de la République à Ouagadougou en 2017, engagements réitérés au Sommet de Montpellier en 2021, et encore en février dernier, dans son discours prononcé à l’Élysée, nous réinventons notre manière de travailler avec nos partenaires africains. Nous voulons bâtir, vous le savez, des partenariats qui soient des partenariats respectueux, responsables, où chacun assume ses intérêts réciproques. Un partenariat fait d’écoute et de dialogue. Un partenariat qui implique aussi de briser certains tabous ; nous l’avons fait, comme le tabou de la restitution des œuvres. Un partenariat qui permet de regarder notre passé en face ; nous l’avons fait aussi, avec le Rwanda ou avec le Cameroun, par exemple. Et un partenariat, enfin, qui s’appuie, qui sait s’appuyer sur nos atouts. Je pense notamment au rôle de nos diasporas, mais aussi, je le répète, alors que nous accueillerons en 2024 le Sommet de la Francophonie, à cette langue française que nous avons en partage avec des millions et des millions d’Africains.
Cette méthode est la bonne, Mesdames et Messieurs les Députés. Nous entendons la poursuivre et nous la poursuivrons. J’en suis convaincue, comme l’ensemble du Gouvernement, et comme tous nos agents déployés sur le continent qui mettent en œuvre cette politique avec détermination, conviction et volontarisme.
Mais parce que j’en appelais tout à l’heure au devoir de lucidité, il faut aussi considérer ce qu’il se passe dans trois pays : Burkina Faso, Mali, Niger. Et j’insiste, trois pays sur 54, mais trois pays quand même et trois relations complexes, sur lesquelles j’aimerais maintenant revenir.
Depuis 10 ans, notre pays a consenti de très importants efforts sur le plan militaire, financier, politique, diplomatique, jusqu’au sacrifice de nos soldats. Le ministre des armées en reparlera. Et je veux, avant lui, s’il m’y autorise, saluer, mais avec vous Mesdames et Messieurs les Députés, la mémoire des disparus et le courage de nos forces armées.
Merci pour eux.
En 2013, à la demande des autorités du Mali et des pays de la région, le Président Hollande a pris la décision courageuse d’engager nos forces armées. Nos militaires ont combattu avec bravoure. Ils ont contribué à éviter que le Mali ne devienne un État terroriste, et nous pouvons être fiers de ce qui a été accompli à cet égard.
Alors j’entends parfois que nous aurions trop investi sur le volet militaire, et pas assez investi sur le développement et sur la diplomatie. Je vous le dis clairement: c’est faux. Notre investissement pour le développement au Sahel depuis 2013, période de référence, a été massif. Ce sont 3,5 milliards d’euros d’aide bilatérale en dix ans qui ont été apportés, et à 80 % sous forme de dons. Entre 2012 et 2022, notre aide annuelle pour le Sahel a doublé. Elle n’a pas diminué, elle n’a pas augmenté, elle a doublé. Alors qu’on ne dise pas qu’on a négligé le volet développement.
Et parallèlement, la France a investi un capital diplomatique considérable, à Bruxelles notamment, pour convaincre les Européens de s’impliquer ; tous n’avaient pas la même relation avec les pays africains que nous. Et nous avons eu des résultats concrets, avec de l’aide : plus de 7 milliards d’aide européenne au Sahel sur dix ans, s’ajoutant aux 3,5 milliards d’euros d’aide française au Sahel, en dix ans. Avec aussi l’intervention directe, y compris une intervention militaire, de certains pays européens qui, jusqu’ici, n’étaient pas intervenus fortement en Afrique. Je veux citer par exemple l’Estonie ou la République Tchèque, dans Takuba ; ou encore l’Allemagne, dans la MINUSMA ; ou je vais encore citer l’Alliance Sahel, grâce à laquelle nous avons fédéré 27 bailleurs internationaux, qui ont investi dans la région comme jamais auparavant.
Effort diplomatique européen, effort diplomatique auprès de l’ONU également, pour créer, puis chaque année pour renouveler le mandat de la MINUSMA. Et au moment où, vous le savez, les derniers casques bleus quittent le Mali, dans des conditions extrêmement difficiles et alors que 310 d’entre eux ont perdu la vie depuis 2013 pour cette mission, je veux saluer le travail mené par la Mission des Nations unies.
Et enfin, nous n’avons pas ménagé nos efforts non plus pour convaincre les autorités du Mali d’appliquer l’accord d’Alger, améliorer la gouvernance, rétablir les services de l’État sur l’ensemble du territoire. Nous l’avons dit, nous l’avons répété, nous les avons encouragé. Mais s’il y a bien un enseignement à tirer de la crise au Sahel, c’est que la gouvernance est fondamentale. Les partenaires extérieurs peuvent aider, encourager, inciter, mais ils ne peuvent pas se substituer aux autorités locales, ni ne le doivent.
Aujourd’hui, les coups d’État survenus au Mali, au Burkina, et tout dernièrement au Niger, fragilisent tous les efforts consentis depuis 2013. La situation sécuritaire s’est dégradée, la crise humanitaire est dramatique, et les violations des libertés se multiplient. Et faire le choix de Wagner, comme l’a fait le Mali, c’est de surcroît faire le choix de la prédation économique et des crimes de guerre. Contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire par leur propagande, ces juntes ne sont pas motivées par une volonté de rupture avec la France : elles sont motivées, en réalité, par une logique de rupture avec l’ensemble de la communauté internationale. Il faudrait le voir clairement. À commencer par la rupture avec leurs voisins, avec les organisations régionales, avec les Nations unies. Ce n’est pas tant la France qui est visé que tout un système international, de coopération et de valeurs, dont ces régimes s’écartent et qui leur sert de bouc émissaire.
Alors oui, Mesdames et Messieurs les députés, face à de tels régimes, nous ne pouvons pas maintenir nos coopérations comme si de rien n’était. Nous ne pouvons pas poursuivre la lutte antiterroriste avec des putschistes. Nous ne pouvons pas financer des projets de développement qui les entretiennent.
Mais bien sûr, nous maintenons notre aide humanitaire pour ne pas faire payer aux populations les comportements de leurs dirigeants du moment. Et contrairement à ce qu’on a pu lire, ici ou là – je le redis, Monsieur le député Lecoq -, nous maintenons nos coopérations avec les sociétés civiles, avec les étudiants, avec les artistes. Et je veux le redire clairement, ils sont toujours les bienvenus en France ; et surtout, au regard de la longue histoire que nous avons avec ces pays, nous tenons à maintenir les liens avec nos sociétés, et ils viennent.
Aujourd’hui, nous devons, et c’est notre responsabilité, prendre de la hauteur pour regarder la situation en face : toute la région est déstabilisée, voilà ce qui se passe. Et alors que notre retrait militaire du Niger marque la fin de dix années de lutte antiterroriste au Sahel, nous devons maintenant complètement repenser l’architecture de sécurité dans cette région. Nous nous y employons, avec les pays africains, avec les partenaires européens, avec le partenaire américain. Mais une chose est sûre, et vous avez entendu le Président de la République, vous entendrez également le ministre des armées : ce n’est plus à la France de porter seule ou presque seule l’action antiterroriste de l’Afrique de l’Ouest. C’est aux pays de la région de fixer le cap, et aux partenaires, dont nous sommes, de les soutenir. La France prendra sa part, mais elle prendra sa part dans un cadre collectif.
Mesdames et Messieurs les députés, avant de conclure, permettez-moi de réaffirmer haut et fort, non seulement l’importance des relations entre la France et les pays africains, mais surtout les moyens que nous mettons au service de ces ambitions.
À la suite des états généraux de la diplomatie, j’ai pris des mesures pour renforcer le nombre de nos personnels sur le continent : dans nos chancelleries, dans nos services de communication, dans nos services d’action culturelle. J’ai également voulu redonner des moyens financiers aux ambassades, via le Fonds Équipe France, et via ce Fonds d’appui à l’entreprenariat culturel, le FAEC, que j’évoquais précédemment ; efficace pour permettre à nos ambassades de mener sur place des projets visibles, rapides, important pour nos publics prioritaires. J’ai également pris des mesures pour valoriser la filière africaniste au Quai d’Orsay, avec désormais un concours dédié et de nouvelles langues proposées à ce concours : le peul, le haoussa, le mandingue, le wolof. Et nous nous efforçons aussi de diversifier davantage le recrutement de mon ministère et d’attirer plus de talents, issus notamment de nos diasporas.
Enfin, permettez-moi de terminer par les agents qui nous servent. C’est avec un sentiment de profonde reconnaissance à leur endroit que je veux conclure. Ils travaillent parfois dans des conditions difficiles, dans des conditions très difficiles. Quand nos ambassades sont attaquées, parfois violemment, comme ce fut le cas à Ouagadougou ou à Niamey. Quand il s’agit d’évacuer les civils, sous le feu, en plein combat, comme nous l’avons fait à Khartoum. Dans ces moments de vérité, dans ces moments de vérité, lorsque l’engagement professionnel implique pour nos agents des questions de vie ou de mort, car c’est le cas, ils ont toujours su faire preuve d’un courage sans faille. Servir, servir leur pays, servir nos compatriotes. Et je rends hommage à leur dévouement, un dévouement à toute épreuve, ce dévouement qui fait honneur à la France. Je vous remercie. (Fin)