La prise de Kabgayi a mis à mal le gouvernement Kambanda, lequel a intensifié la mise en œuvre du génocide et ses démarches pour l’acquisition d’armes et de munitions, pour achever une fois pour toutes l’extermination des tutsi

By Dr BIZIMANA Jean Damascène*

Le 4 juin 1994, le Gouvernement de Kambanda a déclaré au Conseil des Ministres que ses forces armées risquaient fortement de perdre la ville de Gitarama après la prise de Kabgayi. Les conseils des Ministres qui se sont réunis le même jour et les jours après, ont décidé d’augmenter la distribution d’armes aux Interahamwe, de superviser avec plus de rigueur la mise en place de l’auto-défense civile, et de continuer les démarches à l’étranger pour l’acquisition d’armes qui leur permettront d’achever le Génocide. Des Agenda  ayant appartenu à Kambanda et à certains Ministres ont pu être récupérés et leur contenu a servi de preuve dans leurs procès devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).

Le contenu de ces Agenda a exposé la manière dont le Génocide a été planifié et sa mise en œuvre accélérée au cours du mois de mai et au début du mois de juin 1994. Les nombreux conseils des Ministres au cours de cette période, ont examiné les modalités qui permettraient  d’acquérir de nouvelles armes, munitions et autre matériel, pour pouvoir affronter le FPR Inkotanyi et achever le Génocide.

1)    LE GOUVERNEMENT DE KAMBANDA A DECIDÉ DE CONTINUER À MASSACRER LES TUTSI, ET LES CONSEILS DES MINISTRES ONT MIS BEAUCOUP D’EFFORTS POUR RÉALISER CETTE PRIORITÉ

NYIRAMASUHUKO a consigné dans son agenda que le conseil des Ministres du 1er juin 1994, a décidé que les Ministres devaient continuer à superviser la mise en œuvre du Génocide à travers le programme auto-défense civile dans les Préfectures. Celle de Gitarama devait continuer à être supervisée par le Ministre Callixte NZABONIMANA, celle de Gisenyi par les Ministres Augustin NGIRABATWARE et Jean de Dieu HABINEZA et les autres Préfectures par les Ministres leurs assignés. Dans le cadre de l’accélération de l’auto-défense civile, NYIRAMASUHUKO était chargée de la supervision de ce programme dans la Préfecture de Butare.

Le 31 mai 1994, NYIRAMASUHUKO a également consigné dans son Agenda qu’elle a organisé des réunions dans les Communes Muyaga, Rusatira, Ruhashya et Nyabisindu. Elle n’a cependant pas identifié qui a participé à ces réunions, mais mentionné qu’y ont été discutés des aspects relatifs à la guerre ; elle a notamment écrit : « approvisionner les troupes au front n’est pas possible… elles doivent prendre leurs provisions sur ce qu’il y a sur place ».

 NYIRAMASUHUKO a écrit sur la manière dont le Génocide devait continuer à être mis en œuvre et l’a exprimé notamment en ces termes : « fouiller toutes les habitations, débroussailler et déboiser partout, fournir à la population des vêtements chauds, acquérir des machettes, intensifier la surveillance, sélectionner deux mille (2,000) jeunes gens de confiance endéans les deux jours et se parer de feuilles de bananier sèches en guise de signe de ralliement de personnes ayant le même objectif ».

NYIRAMASUHUKO a désigné par leurs noms les autorités qui devaient coordonner la sélection de jeunes gens dans Butare, en plus de ceux qui étaient chargés de la mise en œuvre du Génocide dans les Communes, et leur fournir le matériel nécessaire :

 Commune Maraba : MUNYERAGWE, le Directeur de la Prison de Butare, a été chargé de sélectionner trente (30) jeunes gens.

Commune Ruhashya : Mathias BUSHISHI, le Procureur de la République à Butare, a été chargé de sélectionner trente (30) jeunes gens.

Commune Rusatira: Sylvain HARINDINTWALI, le chef du service du renseignement à Butare, a été chargé de sélectionner soixante (60) jeunes gens.

Commune Mugusa; le Colonel Alphonse Nteziryayo, Préfet de Butare, a été chargé de sélectionner soixante (60) jeunes gens.

 Les Communes de Runyina et Gishamvu : le nombre de jeunes gens à sélectionner n’était pas mentionné mais NYIRAMASUHUKO a indiqué que c’était le Sous-préfet Assiel SIMBALIKURE qui devait s’en charger.

 Cette intention d’augmenter le nombre d’Interahamwe dans tout le pays a été confirmée par Jean KAMBANDA qui, en date du 4 juin 1994, a consigné dans son Agenda que pour vaincre l’ennemi il est nécessaire de sélectionner trente (30) jeunes gens dans chaque Commune, c.à.d. 30 × 145 = 4350 jeune gens ; la coordination de cette opération a été assignée à la Ministre NYIRAMASUHUKO.

 A cette période il se disait aussi que les armes qui avaient été commandées en Afrique du Sud devaient arriver au Rwanda le lundi 7 juin 1994 dans l’avant midi.

Dans son Agenda, NYIRAMASUHUKO a également écrit qu’une attention particulière devait être prêtée à la Commune Ngoma (Butare), et qu’il était nécessaire de ratisser les bois pour débusquer les personnes qui s’y étaient cachées, parce que le territoire de cette Commune est couvert aux ¾ par des bois. Elle continue à affirmer qu’a chacun doit être assigné une tâche, et que dans chaque cellule il doit y avoir au minimum cinq (5) responsables ; elle révèle aussi que l’Université Nationale du Rwanda à Butare avait demandé de recevoir des armes dans le cadre de l’auto-défense civile et que l’Université était prête à payer le prix de ces armes.

 Cette intention d’accélérer le Génocide par l’extermination des Tutsi qui avaient jusqu’à cette période survécu, transparait également dans les Agenda de Jean KAMBANDA qui était Premier Ministre, Augustin NGIRABATWARE, Ministre du Plan, et Edouard KAREMERA, Ministre de l’Intérieur. KAMBANDA et KAREMERA ont été condamnés à la prison à perpétuité, tandis que NGIRABATWARE l’a été à trente-cinq (35) ans de prison, par le TPIR.

2)    LES CONSEILS DES MINISTRES ONT MIS LA PRIORITÉ SUR L’ACQUISITION PAR TOUS LES MOYENS D’ARMES ET DE MUNITIONS À L’ÉTRANGER POUR POUVOIR AFFRONTER LE FPR INKOTANYI ET ACHEVER LE GÉNOCIDE

 Le 1er juin 1994, NYIRAMASUHUKO a écrit dans son Agenda qu’un conseil des Ministres s’est tenu à cette date et a discuté de la situation de la guerre, et qu’il a été informé que les militaires du Gouvernement qui faisaient partie du 96ème Bataillon qui était positionné à Muvumba, ont été vaincus, ont abandonné leurs positions et ont fui vers Byumba, pour continuer après à Rwamagana, Kibungo, Bugesera, Nyanza et Rukondo. NYIRAMASUHUKO a écrit que le conseil du Gouvernement a conclu que l’armée avait besoin de matériel, et qu’elle avait le problème d’avoir des complices du FPR Inkotanyi dans ses rangs et un manque d’unité entre ses membres dont certains souhaiteraient avoir des négociations avec l’ennemi.

NYIRAMASUHUKO a consigné dans son Agenda que lors de ce conseil des Ministres du           1er juin 1994, celui-ci a également discuté sur l’achat d’armes, de munitions et autre matériel militaire. Selon NYIRAMASUHUKO, le Gouvernement a libéré un montant de neuf millions  (9.000.000$) de dollars américains pour acheter des armes à l’Egypte. Une autre somme de quatre millions deux cent mille (4.200.000$) dollars américains, destinée à l’achat d’armes, a été transférée par le biais d’un Français du nom de Dominique Lemonnier et sous la supervision du Colonel BAGOSORA et du Lieutenant-colonel Ingénieur Jean Bosco RUHORAHOZA.

NYIRAMASUHUKO a aussi mentionné qu’une autre somme de deux millions deux cent mille (2.200.000$) dollars américains  avait été payée, il y avait déjà sept mois, pour l’acquisition d’armes et qu’il y avait un espoir que ces armes allaient être livrées au Rwanda. Toujours selon NYIRAMASUHUKO, KARAMIRA était en mission à l’étranger pour négocier un achat d’armes mais n’était pas encore rentré.

 Dans l’Agenda de Jean KAMBANDA, il apparait que dans ce conseil des Ministres du            1er juin 1994, le Gouvernement a décidé que la Banque de Kigali devait être contrainte de libérer de la monnaie en devises étrangères pour que ces armes puissent être achetées.

 Dans son Agenda, NGIRABATWARE mentionne cette problématique pour le Gouvernement de la source des sommes nécessaires, et écrit que lors du conseil des Ministres du 6 juin 1994, le Gouvernement a décidé que la monnaie en devises disponible à la SONARWA (Société Nationale d’Assurance du Rwanda) devait être libérée et utilisée.

 Dans le contenu de l’Agenda de Jean KAMBANDA relatif au conseil des Ministres du            4 juin 1994, il est écrit que le conseil a aussi discuté de la recherche de près de mille cinq cent (1500) mercenaires pour appuyer l’armée du Gouvernement.

Dans la réunion du 5 juin 1994 de KAMBANDA avec les commandants de l’armée et de la gendarmerie, comme c’est écrit dans son Agenda, il a été décidé d’aller à la recherche de ces mercenaires aux Etats Unis d’Amérique et en Belgique.

 Le conseil du 4 juin 1994 a également décidé que, parce que la ville de Gitarama avait été prise par le FPR Inkotanyi, un militaire, le Major UKURIKIYEYEZU Jean-Damascène a été nommé Préfet en remplacement de Fidèle UWIZEYE.

 L’Agenda de Jean KAMBANDA mentionne aussi que le conseil des Ministres du 6 juin 1994 a libéré de grosses d’argent destinées à deux contrats de commandes d’armes en Chine. Le premier contrat portait sur un montant de un million six cent mille dollars américains (1.600.000$) tandis que le deuxième portait sur deux millions deux cent mille dollars américains (2.200.000$). Ce conseil a mentionné également l’existence d’un contrat que Jean KAMBANDA avait signé avec un Français dont l’identité n’a alors pas été révélée. Celui-ci a cependant été identifié après le Génocide en la personne de Dominique Yves Lemonnier qui possédait une société commerciale du nom de DYL INVEST qui avait son siège à Annecy en France.

3)    LES CONSEILS DES MINISTRES ONT DECIDÉ DE S’UNIR POUR COMMETTRE LE GÉNOCIDE ET D’AMÉLIORER L’IMAGE DU GOUVERNEMENT GÉNOCIDAIRE

 Dans son Agenda, KAMBANDA écrit que parmi les sujets discutés au cours du conseil des Ministres du 4 juin 1994, il a été constaté que l’image du Gouvernement était exécrable à l’international et qu’il fallait faire tout son possible pour l’améliorer.

 KAMBANDA n’a évidemment pas mentionné que la cause de cette mauvaise image était les massacres commis par son Gouvernement, quoiqu’il est évident que c’en était bien la cause. KAMBANDA écrit également que la France était prête à les soutenir, mais qu’elle a demandé que KAMBANDA et son Gouvernement se mettent rapidement à la recherche de preuves que l’Uganda soutient activement le FPR Inkotanyi, ce qui permettrait à la France à s’en servir pour expliquer l’assistance qu’elle était disposée à apporter au Gouvernement KAMBANDA.

 Dans l’Agenda de NGIRABATWARE se trouvent des éléments relatifs à la nouvelle stratégie de communication qui devait être adoptée, il écrit en effet que le conseil des Ministres du        6 juin 1994 a décidé de la signature de contrats de communication avec trois sociétés françaises et américaines (USA) spécialisées en la matière et qui devaient aider le Gouvernement à escamoter la mise en œuvre du Génocide ; il a été également décidé que le Président de la République et le Premier ministre devaient entreprendre des voyages à l’étranger pour expliquer la légitimité de la guerre qu’ils menaient ; c’est dans ce cadre que le Président SINDIKUBWABO devait d’abord aller à Addis Abeba, au siège de l’Organisation de l’Union Africaine (OUA), pour y faire du lobbying auprès des Etats africains, et une guerre médiatique devait désormais être menée.

 NGIRABATWARE a également mentionné que le conseil des Ministres a constaté qu’au sein des Interahamwe et des militaires, certains d’entre eux étaient privilégiés par rapport aux autres, d’où des problèmes de mésentente alors qu’ils devraient être unis pour combattre efficacement l’ennemi.

 Ce conseil du 6 juin 1994 a également discuté du problème de la présence de complices du FPR Inkotanyi au sein de l’armée gouvernementale, dont certains étaient des Tutsi, mais que parmi les Hutu du sud du pays il y avait aussi des complices de l’ennemi à cause des problèmes de mésentente basés sur le régionalisme.

 Ce problème a été consigné par KAMBANDA dans son Agenda dans lequel il a écrit qu’il y avait effectivement des problèmes de mésentente au sein de l’armée, et il a ajouté que              « personne ne devrait exagérer le problème de complicités au sein de la gendarmerie ». Mais même si KAMBANDA semblait ne donner aucune valeur à ce problème au sein de la gendarmerie, c’était un mensonge de sa part puisque lors de précédents conseils, comme celui du 4 juin 1994, ce problème au sein de la gendarmerie avait été largement discuté.

Dans son Agenda, KAMBANDA mentionne que ce conseil a discuté du remplacement du General NDINDIRIYIMANA Augustin à la tête de la Gendarmerie et qu’il a examiné une liste de candidats potentiels pour le remplacer mais qu’il n’y pas eu de consensus sur aucun  d’eux.  Parmi ces candidats il y avait : le Colonel NYIRIMANZI, le Colonel RUTAYISIRE, le Colonel NTIWIRAGABO et le Colonel RWARAKABIJE.

NGIRABATWARE a quant à lui écrit que le conseil du 6 juin 1994 a aussi décidé de mettre plus de rigueur dans les modalités de fonctionnement de l’auto-défense civile, que le Gouvernement devait donner à la population les moyens de s’en occuper et que les déplacés de la guerre devaient être exhortés à réintégrer leurs biens. Pour que cela soit possible, NGIRABATWARE écrit que le Gouvernement a décidé de fixer les modalités de  fonctionnement de l’auto-défense civile, au niveau de chaque Commune et de chaque Secteur, et demandé que les Ministres aillent au contact de la population, pour superviser au jour le jour de ce programme  au lieu d’organiser chaque jour des réunions dans leurs bureaux.

CONCLUSION

 Au mois de juin 1994, le Génocide avait déjà emporté de très nombreux Tutsi dans toutes les Préfectures du pays. Comme cela est exposé par le contenu des Agenda du Premier ministre et de certains Ministres, lesquels Agenda ont servis comme éléments de preuve de leur culpabilité lors de leurs procès devant le TPIR, procès qu’ils ont perdu et ont été condamnés pour crime de génocide, c’est le Gouvernement KAMBANDA qui a bel et bien mis en œuvre le plan d’extermination des Tutsi. Ce plan avait été préparé bien avant l’attentat sur l’avion du Président HABYARIMANA, lequel a participé avec son entourage à l’élaboration de ce plan. (End).

* Dr BIZIMANA Jean Damascène, Executive Secretary National Commission for the Fight Against Genocide (CNLG)