Kamonyi: Siridiyo Harindintwari, 42 ans, marié et père de quatre enfants, a purgé douze ans de prison, soit onze ans dans la maison de Gitararama et une année dans le camp de Travaux d’Intérêt Général (TIG) de Rukoma.
L’infraction qu’il a commise et qui l’a conduit dans les geôles est d’avoir fait partie d’un groupe de miliciens qui ont tué une famille de cinq personnes dans le village de Rugarama, cellule Cyambwe, secteur Musambira, district de Kamonyi en Province du Sud. C’était lors du génocide des Tutsi de 1994.
Aujourd’hui, Harindintwari, d’une voix persuasive, affirme que les ex-bourreaux et les familles des victimes sont réconciliés sur la colline commune qu’ils partagent en tant que voisins. Le village doit cette unité retrouvée aux efforts de l’Association des Volontaires pour la Paix (AVP) qui a regroupé et formé les membres de cette communauté à la reprise d’une vie normale.
« Nous avons d’abord été jugés par les tribunaux Gacaca. Puis l’association AVP nous a formés pendant six jours pour nous convaincre que bourreaux et victimes d’un même village sont exhortés à ressouder leurs liens pour vivre et travailler ensemble, afin de bâtir un avenir commun, viable, prometteur, meilleur aux regards des turpitudes d’un passé pénible », a indiqué Harindintwari.
Il a ajouté qu’AVP a rassemblé soixante (60) personnes issues de six villages. Elles comprenaient des rescapés, des détenus qui ont été jugés et libérés, des condamnés qui n’ont pas exécuté les Travaux d’Intérêt Général (peine alternative), et des juges des juridictions Gacaca.
« Après quelques mois de formation, AVP a octroyé un appui de cent mille Frw à l’Association « Abihuje », c-à-d « ceux qui se sont unis » que nous venions de créer. Nous avons aussi une vache », confie-t-il, en poursuivant :
« Le fait de nous asseoir ensemble avec des voisins dont nous avons exterminé des familles entières était une étape importante. Auparavant, nous n’osions plus nous saluer, ni nous regarder dans les yeux ».
Pour Harindintwari, cet homme de haute taille, teint clair, et d’une voix forte et gutturale, un grand pas a été franchi. Il a été en mesure de vaincre les barrières pour communiquer avec ses victimes. Son premier appui a été un bon leadership du Rwanda qui a instauré les juridictions Gacaca, afin d’encourager les membres de la communauté à faire éclater la vérité sur le génocide de 1994. C’était un préalable obligé à la réconciliation.
« Au sortir de ma prison où je venais de passer onze ans, je me suis rendu chez Madame Mugenzi dont j’avais tué le mari. Je lui demandé pardon pour mon crime d’avoir participé à la mise à mort de son mari. Je faisais partie du contingent qui a tué son mari. Madame Mugenzi avait pu identifier ceux qui ont été à son domicile et qui ont tué son mari », a avoué Harindintwari, qui a poursuivi :
« En toute conscience, j’ai demandé pardon, parce j’étais du groupe. J’ai renforcé ce contingent pour commettre des tueries. Surtout que je n’ai rien fait pour empêcher que des gens soient exterminés. Bien plus, ceux qui ont été massacrés l’ont été devant moi, sous mon regard. Si je n’avais pas été sur le lieu du crime, je n’aurais pas été arrêté, jugé et détenu. Voilà en quoi consiste ma culpabilité devant ma conscience, devant les juges et la communauté », a avoué Harindintwari.
« Nous n’avons plus peur l’un de l’autre. Plus de suspicion entre nous », témoigne Harindintwari, un détenu repenti libéré.
Il a expliqué qu’une fois libre, quand il croisait un rescapé, chacun d’entre eux s’écartait du chemin pour éviter qu’on se retrouve face à face sur la voie. Ou encore, le détenu se cachait derrière une maison ou un arbre pour ne pas croiser du regard un rescapé dont il a tué des membres de famille.
« Est-ce que ce milicien Interahamwe libéré de prison et revenu parmi nous ne va-t-il pas se ruer sur moi et me tuer ?», s’interrogeait un rescapé. Ou encore : « Est-ce que ce rescapé ne va pas me tuer à son tour et se venger puisque c’est moi qui ait exterminé les siens ? », s’inquiétait le bourreau repenti.
Harindintwari affirme que maintenant l’unité et la réconciliation sont vécues en tant que réalité visible. « Nous n’avons plus peur l’un de l’autre. Plus de suspicion entre nous », témoigne-t-il.
Interrogé sur ce qu’il aurait fait pour contribuer à faire éclater la vérité sur le génocide, Harindintwari répond qu’il a pris les devants et a donné l’exemple en dénonçant des criminels qui ont été par la suite appréhendés et jugés.
Il a conseillé et poussé les autres détenus au repentir. « J’ai été le premier dans notre village Rugarama à donner l’exemple pour montrer la vérité et passer au repentir. Mon aveu a été accepté. J’ai dit aux criminels encore libres de passer aux aveux, surtout qu’ils avaient été complices dans le crime », a-t-il confessé, pour continuer :
« Je leur ai dit de passer aux aveux. Sans quoi, j’allais dire toute la vérité sur eux. Et quelques jours après, ils acceptaient d’avouer. Pour ceux qui étaient en prison, je citais le nom du criminel non repenti. Et il venait avouer. Dans les geôles, j’étais chargé des détenus originaires du secteur Musambira pour la sensibilisation au repentir ».
Harindintwari témoigne qu’en sortant de la prison de Gitarama, il était accompagné de six personnes libérées comme lui et qu’il a amenées à avouer le crime. Il avance qu’il les a aidées dans la rédaction d’une lettre d’aveu.
Harindintwari signale qu’il a connu toutefois des menaces de mort parce qu’il était passé aux aveux. Les détenus irréductibles ont vu en lui l’homme qui conduira les autres en prison.
« Puisque Harindintwari s’est engagé à dire la vérité, il va nous dénoncer. La solution est de mettre fin à ses jours », a-t-il appris de ses compagnons de détention qui l’ont conseillé de surveiller ses consommations, même de thé, par peur d’un poison violent.
« Enfin de compte, l’homme qui avait proféré des menaces contre moi a fini par se repentir de ses crimes aussi. Il a été et il est rentré chez lui », signale Harindintwari.
Du côté des rescapés, il y a lieu de noter que Madame Elodie Mujawamariya est une veuve dont le mari a été tué à Kigali lors du génocide. Elle vit avec ses enfants qui étaient jeunes lors de la tragédie. Elle était à Mbari quand ses voisins dont Harindintwari commettaient des horreurs. Elle raconte que les criminels ont emporté ses biens et saccagé sa maison.
« Ils ont tout détruit. Tout pillé. Tout. Pire, ils ont tué mon père, ma mère, et mes frères », déplore-t-elle.
« Les enfants des ex-bourreaux et des victimes se marient maintenant » – Emmanuel Ngambage, promoteur de la réconciliation
Madame Mujawamariya a indiqué que les premiers bourreaux libérés lui ont demandé pardon. Elle avait le sentiment qu’ils seraient portés à rembourser les biens qu’ils ont emportés ou détruits.
« Mais avec trois jours de formations avec ses bourreaux sous la supervision de l’AVP, et surtout avec les leçons dispensées par les juridictions Gacaca, j’ai été persuadée de la nécessité d’accorder le pardon », commence-t-elle par faire remarquer, Et de poursuivre :
« La lecture du livret de poche distribué par AVP m’a transformée. Mon comportement envers les assassins de ma famille a changé. J’ai compris que je dois revivre avec eux. C’est ainsi que maintenant nous partageons la vie, que nous nous donnons de l’eau à boire. Nous nous octroyons des appuis en cas de mariage. Mes enfants vivent et jouent avec les enfants des bourreaux de ma famille ».
Mujawamariya note cependant qu’il y a des criminels du génocide qui ne lui ont pas encore sollicité le pardon. Elle estime que s’ils osent le demander, elle leur accordera ce pardon. Comme elle l’a fait à trois d’entre eux.
Le Secrétaire exécutif du secteur Musambira a établi un document d’octroi de pardon qui a été présenté à qui de droit, comme preuve d’un pardon donné au crime perpétré par les bourreaux.
Il a exhorté les repentis à faire un geste de reconnaissance envers la veuve Mujawamariya qui reconnaît une réconciliation effective.
« Nous nous sommes réconciliés. A mon avis, nos familles peuvent avoir des contrats de mariage entre nos enfants. Je ne sais pas si tel est aussi leur sentiment », confie-t-elle encore.
La veuve Mujawamariya a informé pourtant que dans le secteur Musambira, beaucoup de témoins du génocide détenteurs de vérité ont été assassinés.
Selon le responsable de l’Etat civil, Bienvenue Umugwaneza, des campagnes d’éducation à la paix auprès des populations ont été renforcées. Et depuis quatre ans qu’elle est en poste à Musambira, ces assassinats ont stoppé.
L’unité et la réconciliation atteignent un niveau satisfaisant dans notre secteur. Les ex-bourreaux et les familles de leurs victimes vivent ensemble dans l’entente et la convivialité. Les autorités à tous les niveaux et la Commission Nationale d’Unité et Réconciliation (CNUR) se sont impliquées pour faire habiter la population dans la paix afin qu’elle participe à l’amélioration de son niveau de vie. Ainsi avons-nous œuvré pour briser l’isolement de chaque citoyen en créant l’association « Abihuje » au sein de laquelle tous vaquent aux activités d’agri-élevage. Le café que nous avons planté est sur le point d’atteindre sa maturité », a-t-elle dit.
Elle a ajouté que celui qui a abîmé les biens de l’autre pendant le génocide paye les dégâts. S’il n’a pas d’argent, il consacre quelques jours en cultivant le champ de la victime, en guise de remboursement.
Très peu d’habitants n’approuvent pas le processus de la réconciliation. Mais ils changent avec le temps, selon la chargée d’Etat civil.
Mais c’est surtout le président de l’Association «Abihuje», le prédicateur Emmanuel Ngambage de la cellule Kivumu, village Gitega, secteur Musambira, qui a apporté une appréciable contribuable pour asseoir la réconciliation dans la circonscription.
« Nous avons atteint notre réconciliation. Les enfants des ex-bourreaux et des victimes se marient maintenant. J’ai donné récemment ma fille en mariage à un gendre hutu. Je vais prochainement rééditer le même geste », informe-t-il, en ajoutant :
« Nous portons ensemble au centre de santé tout malade grave de notre village, sans considération ethnique. La cohabitation entre ex-bourreau et rescapé est bonne », se félicite-t-il.
Il réaffirme que cette cohabitation est à la fois sincère et profonde. Le village apporte assistance aux plus vulnérables des rescapés durant la période de la commémoration. Les ex-bourreaux regrettent, en versant des larmes sincères, d’avoir été impliqués dans le crime collectif. Et surtout en maudissant ceux qui les ont manipulés et poussés à l’irréparable.
« La foi en Dieu et la Bible sont notre pilier quand nous devons convaincre les victimes à pardonner et à assumer leur douleur. Mais ce qui les réconforte mieux, c’est être proche d’eux et leur octroyer une assistance matérielle », a-t-il informé. (Fin)