Séropositive depuis plusieurs années, Dusabimana a commencé à prendre des antirétroviraux (ARV) il y a seulement 4 mois. Pourtant, ces 15 derniers mois, sa santé s’était considérablement détériorée : elle avait perdu 10 kg et son nombre de CD4 (ou lymphocytes T, globules blancs qui organisent la réponse du système immunitaire) avait chuté de 668 à seulement 243 (ce nombre indique si le corps se défend ou non contre le virus). “On m’avait refusé les médicaments sous prétexte que la priorité est donnée aux personnes gravement malades .Quand j’allais mourir à l’hôpital, ils n’avaient plus de prétexte”, témoigne-t-elle.
Depuis 2003, les antirétroviraux sont gratuits au Rwanda grâce aux efforts du gouvernement et à la contribution de plusieurs bailleurs de fonds internationaux, dont le Plan du président américain (PEPFAR), le Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose et le projet MAP de la Banque mondiale. Selon les estimations de l’Institut national de la statistique, 62 000 sidéens sur plus de 250 000 Rwandais séropositifs sont sous traitement
Le Dr Mugabo, responsable du service VIH/sida au sein du Centre rwandais de traitement et de recherche sur les maladies (TRAC Plus), estime que le pays dispose d’assez de médicaments, mais que tous ceux qui en ont besoin n’y ont pas encore accès. Tout d’abord parce que, selon la Commission nationale de lutte contre le sida (CNLS), en 2008, 70 %, des Rwandais ne connaissaient pas leur statut sérologique.
Des kilomètres à pied pour être servis
Les ARV sont attribués en fonction de critères précis. Pour avoir accès au traitement, “le malade doit avoir un nombre de CD4 inférieur à 350 ou être au stade 4 (le stade le plus avancé, Ndlr) de la maladie”, précise le Dr Jules Mugabo.
Mais la plus grande difficulté réside dans l’accès aux centres de santé qui distribuent ces traitements. Avec la gratuité, les centres des ARV sont passés de 4 en 2004 à 194 en 2008, un nombre encore insuffisant. De nombreux malades doivent parcourir des kilomètres pour recevoir leurs médicaments et comme ces centres ne les délivrent que pour un mois maximum, ils sont contraints de se déplacer souvent. Dans le district de Rulindo, dans la province du Nord, les malades s’en plaignent. “Je suis épuisé, je ne suis pas sûr d’avoir la force de retourner ici”, se lamente l’un d’eux, rencontré au centre santé de Kinihira qui soigne 310 malades. Il doit faire 10 km à pied pour rentrer chez lui. Cet éloignement est un problème grave : certains malades, hésitant à parcourir ces longues distances, interrompent le traitement qui n’est efficace que s’il est pris avec la plus grande régularité.
Dusabimana sollicite une intervention des animateurs de santé locaux dans la distribution des ARV “sinon ils veulent notre mort, car il est difficile de résister à un voyage de 3 heures”. Mais la délivrance de ces traitements est délicate et des examens souvent nécessaires pour les doser avec précision, ce que ne peuvent pas faire des animateurs de santé. En effet, ces médicaments ont parfois des effets secondaires. Séraphine Dusabemariya, une des 700 patients sous traitement au Centre hospitalier universitaire de Butare, en témoigne. “J’ai manqué de sommeil pendant plusieurs mois. J’étais quelquefois déformée. Je maigrissais des jambes et des bras alors que des bosses se formaient au niveau du cou”, témoigne-t-elle, ajoutant que le médecin a dû adapter le traitement à plusieurs reprises, pour éviter ces problèmes.
Bien manger pour mieux se soigner
En outre, les ARV ne font pas tout. Le traitement doit être accompagné d’une nourriture adaptée, riche et diversifiée. “On nous dit d’avoir un régime alimentaire équilibré alors qu’il nous est même difficile de manger une fois par jour”, se plaint Francine Nyirangerageze, 31 ans, qui gagne à peine 5 000 Frw (10 $) par mois. Les centres ne distribuent, en effet, aucun aliment. Ce que regrette Francine Uwimana, infirmière au centre de santé de Kinihira, qui souhaite qu’on puisse apporter une aide en nourriture aux personnes sous ARV.
L’accès à ces traitements est un enjeu d’importance, car ceux qui en bénéficient mènent une vie normale et peuvent continuer à travailler. C’est le cas de Séraphine Dusabemariya, une veuve de 47 ans, enseignante à l’école primaire dans la périphérie de Butare qui vit avec le VIH/sida depuis plus de 19 ans. Son état physique lui permet d’enseigner et de s’engager activement dans des associations de lutte contre le sida : “Je suis devenue comme une personne normale : je mange bien, travaille bien et me repose après le travail.”