
+ le village fantôme et la ligne électrique “Kabila”
By Alain DESTEXHE*
Qu’ont apporté aux Congolais leurs présidents successifs ? Rien, si ce n’est la misère des habitants et l’épuisement des ressources naturelles du pays.
Autrefois, sous la colonisation, routes et pistes étaient en bien meilleur état. Monseigneur Faustin Ngabu, évêque de Goma de 1974 à 2000, né en 1935 me raconte qu’il était possible de parcourir les 550 km environ séparant Bunia de Bukavu en deux jours seulement, grâce à une piste bien entretenue, avec un cantonnier affecté à chaque tronçon de cinq kilomètres. Aujourd’hui, ce même trajet prend plus du double de temps, les véhicules bringuebalés en permanence par les nids-de-poule et les crevasses.
Pendant ce temps, chez le voisin rwandais, les routes principales sont impeccables. En RD Congo, dès que l’on s’éloigne de Goma, la vitesse moyenne tombe à 15-20 km/h. Vers le nord, en direction de Rutshuru, la route asphaltée s’arrête brutalement après quelques kilomètres, précisément à l’endroit où l’ancienne Première dame, Marie-Olive Lembe Kabila, avait promis la construction d’une “Nouvelle Cité”. Mais il n’y a rien. Pas une maison, pas un bâtiment, juste un panneau indiquant un projet fantôme (photo).
À partir de là, il ne reste qu’une ancienne route construite par une société italienne, qui aurait posé une couche de base de 10 cm au lieu des 40 prévus ! Une caricature de corruption et d’incompétence : non seulement la route mal conçue s’est rapidement détériorée, mais pour la rénover ou même la transformer en piste praticable, il faudrait d’abord arracher cette base fragile, un travail long, difficile et coûteux. Il aurait mieux valu ne rien construire et simplement entretenir la piste d’origine.
À l’ouest, après Saké, à 26 km de Goma, nous avançons péniblement à 15 km/h vers le village de Ntoro, dans les montagnes. Le long de la route, une ligne électrique attire mon attention : elle ne dessert aucun des villages traversés. Mais au bout du parcours, elle alimente une grande ferme appartenant à Joseph Kabila. Voilà à quoi sert l’infrastructure publique en RDC ! (photo)
Au Rwanda, les routes sont bordées de fossés profonds pour canaliser les eaux de pluie. En RDC, ces fossés n’existent pas. Résultat : à la moindre averse, les routes se transforment en torrents boueux, accélérant leur dégradation. À Goma, les rares routes en bon état ont été financées non par l’État, mais par des entrepreneurs privés, grâce à une taxe sur le carburant instaurée avec l’accord des autorités locales de l’époque.
Vol, prédation, incompétence : voilà les seules compétences de l’État congolais, et ce, sous tous les présidents jusqu’à aujourd’hui. (Fin).
* Alain DESTEXHE est un Sénateur honoraire belge, Ancien secrétaire général de Médecins sans frontières (MSF) international, Initiateur en 1997 de la Commission d’enquête du Sénat belge sur le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.