Kigali: L’étude menée par la Commission Nationale de Lutte Contre le Génocide (CNLG) sur l’histoire du génocide perpétré contre les Tutsi dans l’ancienne préfecture de Kibungo indique qu’après les violences diverses et les massacres commis contre les Tutsi en 1959, des Tutsi des régions de Bufundu, Bunyambiriri et Gitarama ont été emmenés par force vers Rukumberi, Nyarubuye et autres régions de Kibungo, ainsi que dans le Bugesera.
Ceux qui étaient relégués vers le Territoire de Kibungo venaient notamment de Byimana, Mugina, Marangara, Nyanza, Tambwe, Nyakizu, Maraba, Nyaruguru, Bufundu, Bunyambiriri et du Nduga. Sur place, ils étaient mal accueillis dans des camps construits à la hâte et mal équipés.
Selon un témoin de la Commune Sake, des Hutu de Ruhengeri et de Gisenyi furent emmenés vers les années 1970 à Kibungo. Ces derniers ont été installés, non seulement à Rukumberi et à Nyarubuye, mais également dans d’autres régions de Kibungo, à savoir Kiziguro et Mwurire pour réduire le « surnombre » des Tutsi dans cette région.
Les Tutsi étaient conduits vers des régions inhospitalières dans le but de les exterminer par la maladie du sommeil transmise par la mouche Tsé-tsé, le paludisme et par les animaux sauvages. Une partie de Bugesera et de Gisaka était inhabitée, mais regorgeaient d’animaux sauvages dangereux pour l’homme.
Leur déplacement forcé visait également un autre objectif : installer les Hutu et les Tutsi dans des régions différentes. Car en 1960, Grégoire Kayibanda avait écrit à l’ONU, en lui demandant de diviser le Rwanda en deux zones, celle peuplée par les Tutsi et l’autre par les Hutu dans le cadre de ce qu’il appela « Un Etat uni dans une fédération ».
Comme sa requête de diviser le Rwanda pour faire peupler les Rwandais différemment selon les ethnies n’a pas été acceptée, cette idée a été mise en application sous une autre forme lorsque les Tutsi ont été déportés et installés de force dans ces régions inhospitalières pour l’homme. Dans tout le pays, les régions où les Tutsi ont été déportés et installés de force, étaient le Bugesera, l’Umutara et Kibungo.
Durant cette année, les colons belges en collaboration avec les autorités rwandaises décidèrent d’isoler la population tutsie de la société rwandaise en les installant dans cette région du Gisaka. En outre, dans cette région il y avait la mouche Tsé-tsé qui décimait la population qui y vivait ainsi que son bétail.
A l’époque Rukumberi était couverte d’une forêt naturelle impénétrable. Cette région était connue pour élevage bovin, d’où le nom générique de Bwilili, d’après les premiers poèmes dynastiques de l’Ancien Rwanda qui ont vanté la zone comme favorable à l’élevage bovin.
Au mois de novembre 1960, des milliers de Tutsi chassés de leurs biens et séparés de leurs familles arrivèrent à Rukumberi embarqués dans des camions militaires. Le Rwanda a alors accueilli ses premiers déplacés internes. Ces derniers abandonnaient tous leurs biens derrière eux, en laissant leurs enfants et leurs femmes, qui étaient devenus comme des orphelins et des veuves.
Un témoin de la Commune Sake rapporte ceci, concernant leur déportation vers Rukumberi « En 1960, nous habitions à Kayenzi, à Gitarama, et de là nous avons été déplacés par force de Gitarama à Rukumberi. Tout d’abord, ils avaient brûlé nos affaires : maisons et champs, et ma famille s’étant réfugiée à la Paroisse de Kamonyi. Les réfugiés de la paroisse étaient embarqués sur des camions mobilisés par le HCR. Les premiers réfugiés de la paroisse se sont dirigés vers l’Uganda. Les autorités ont alors découvert que ces derniers y étaient bien accueillis. De ce fait, un certain Claver Ndahayo imposa que la prochaine déportation serait orientée vers Rukumberi et Nyarubuye. C’est de cette façon que nous avons été emmenés à Kibungo. Comme la région de Rukumberi était couverte de forêt, nous avons défriché la forêt et construit des écoles, des hôpitaux et préparé les terres à cultiver. A Rukumberi, il y avait d’autres Tutsi de Butare, mais surtout de Bufundu également emmenés par force ».
A Kabarondo, un informateur de la Commune Kabarondo parle lui aussi de la relégation des Tutsi à Kibungo en ces termes « La plupart des Tutsi de Bufundu ont été emmenés par force vers Kibungo à Rukumberi, et ils étaient autour de 2.300. Par exemple, l’abbé Nicodème Nayigiziki qui était Directeur d’Ecole à Butare, et sa famille, ont été emmenés par force de Bufundu et se sont installés au camp de Rukumberi. Ce camp existait encore en 1963. En effet, lorsque nous avons fui les massacres de 1963, nous sommes passés à côté de ce camp. Il est à noter que ce sont les Belges qui préparaient cette relégation en utilisant souvent les camions du HCR »
Cette partie de la région du Gisaka se situait au sud-est du Rwanda dans l’actuelle Province de l’Est, District de Ngoma. C’était un véritable camp de la mort oublié de l’histoire, où les Tutsi qui y étaient déportés décédèrent comme des mouches.
Après la relégation de Tutsi dans des régions inhabitées, il y a eu, vers les années 1970, une autre vague de Rwandais qui furent emmenés dans ces régions de Kibungo. C’était une autre nouvelle politique du gouvernement de déplacer des Hutu de Ruhengeri et Gisenyi pour les installer à Kibungo et à Bugesera, où ils reçurent des terres fertiles à cultiver.
En fait, les services de renseignement du Rwanda, selon le témoignage de Georges Mupenzi, avaient décidé de contrôler le mode de vie et chaque mouvement des Tutsi.
Le gouvernement interdisait à ces derniers de rendre visite à leurs familles qui s’étaient réfugiées en Tanzanie, au Burundi et en Uganda.
Les Hutu étaient installés aux alentours du Lac Nasho et dans d’autres localités. Bien plus, un grand nombre de ces derniers a également été installé dans la Sous-Préfecture de Kirehe. Ces Hutu emmenés de Ruhengeri et de Gisenyi ont été installés à Kibungo pour contrôler les mouvements des Tutsi de Kibungo, notamment lorsqu’ils allaient de temps à temps en Tanzanie ou en Uganda.
Selon un témoin de la Commune Rutonde, à Mwurire, le gouvernement avait installé les Hutu de Gisenyi et de Ruhengeri dans le but de réduire le plus grand nombre de Tutsi qui y habitaient et de les encercler pour que si jamais il y avait d’autres massacres contre des Tutsi, personne ne s’échappe.
La relégation des Tutsi, qu’on a suffisamment développée, d’une région à une autre en laissant tous leurs biens derrière eux, à savoir les terres et parfois séparés de leurs familles dans une autre région inhospitalière pour qu’ils soient y exterminé, cela s’apparente à « Un crime de génocide». En effet, la Convention Internationale pour la Prévention et la Répression du Crime de génocide, stipule dans son article 2, c) que le génocide s’entend notamment de l’acte suivant : la « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devait entraîner sa destruction physique totale ou partielle». (Fin)