Procès de Charles Onana : le ministère public a requis la condamnation pour négationnisme

Par Ruben Morin pour l’association Survie

Le procès de Charles Onana et de son éditeur Damien Serieyx, qui s’est tenu du 7 au 11 octobre 2024 devant la 17e Chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris, a été l’occasion d’illustrer et dévoiler le discours négationniste. Les accusés ont déclaré ne pas nier le génocide des Tutsis, mais leur défense et leurs témoins ont contesté un ensemble d’éléments qui ont pourtant préparé et rendu possible sa commission. Les parties civiles se sont attachées à montrer que l’essayiste s’inscrivait totalement dans l’héritage raciste, conspirationniste et négationniste des génocidaires rwandais. Verdict attendu le 9 décembre 2024.

Lundi 7 octobre 2024, 13 heures, porte de Clichy. Banderoles et tee-shirts de soutien à Charles Onana sur le parvis du tribunal, couloir rempli d’une trentaine de ses partisans devant la salle d’audience, présence de la télévision congolaise et arrivée du prévenu entre ses gardes du corps, l’ouverture de ce procès pour un délit de presse n’est pas passée inaperçue. Le public étant trop nombreux pour la salle d’audience du premier jour, les débats se sont tenus dès le lendemain dans une salle plus grande. Le procès s’est néanmoins déroulé sans incident, en audience comme dans les couloirs, grâce à la présidence extrêmement courtoise mais ferme de Mme Delphine Chauchis qui a favorisé une ambiance de respect réciproque. Le tribunal a fait preuve de bienveillance vis-à-vis des témoins pour qu’ils expriment au mieux les raisons de leur venue à la barre, et les interrogatoires des avocat-es sont toujours restés corrects. Beaucoup moins présent en matinée, le public a largement atteint plus de cent cinquante personnes le vendredi 11 octobre dans l’après-midi, à l’occasion des plaidoiries.

La plainte contre Charles Onana et son éditeur avait été déposée en octobre 2020 par la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH) et Survie. L’association Ibuka France, la Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et la Communauté rwandaise de France (CRF) s’étaient ensuite également constituées parties civiles. M. Onana et M. Serieyx étaient poursuivis pour contestation de crime contre l’humanité, en l’occurrence le génocide perpétré en 1994 contre les Tutsis du Rwanda. En cause des propos publiés dans l’ouvrage Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise, paru en 2019 aux éditions de l’Artilleur, dans lequel M. Onana affirme par exemple que «  la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un « génocide » au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle. » L’éditeur Damien Serieyx était poursuivi comme auteur de l’infraction, Charles Onana comme complice. Ils étaient respectivement conseillés par Me Mbaye Diagne et Me Emmanuel Pire.

A l’ouverture du procès, la présidente a rappelé l’historique de la plainte puis a lu les 20 extraits du livre incriminés et le rapport rédigé par le tribunal. Le public a pu constater que les juges avaient une très bonne connaissance du livre.

« Je ne nie pas du tout le génocide »

L’audience s’est poursuivie par l’interrogatoire des prévenus. Charles Onana, 60 ans, invité à donner son point de vue sur l’accusation, a contextualisé le livre, évoquant son amitié avec Deo Mushayidi, « rescapé du génocide dont toute la famille a été exterminée », avec qui il a écrit en 2002 un livre sur l’attentat du 6 avril 1994, signal de déclenchement du génocide des Tutsis. Il a ensuite décrit son travail sur l’opération Turquoise, sujet de l’ouvrage contesté par les associations parties civiles, jusqu’à ce que la présidente du tribunal l’arrête pour recentrer les débats sur « l’existence du génocide des Tutsis ». M. Onana a alors déclaré : « Je ne nie pas du tout le génocide. Je ne le fais pas et je ne le ferai pas, ayant des amis qui ont survécu au génocide. » Plus tard, interrogé par Me Sabrina Goldman pour la LICRA qui lui a demandé s’il connaissait la définition juridique du mot génocide, Charles Onana a rétorqué qu’il ne répondrait pas à cette question. A l’avocate de Survie, Me Laure Heinich, qui l’a interrogé sur les 160 occurrences de guillemets dans son livre autour des mots génocide et génocidaires, contre 12 occurrences sans guillemets, M. Onana a répondu : « Je mets les guillemets quand il s’agit du terme génocide employé du point de vue du FPR, qui est le premier à avoir utilisé ce mot et je ne les mets pas quand je le reprends à mon compte  ».

Charles Onana est resté une heure trente à la barre avant de céder sa place à son éditeur, Damien Serieyx, qui a témoigné de son étonnement d’être là pour répondre d’une accusation de contestation de crime contre l’humanité, alors que ce qui avait retenu son intérêt était de publier un livre sur l’opération Turquoise. Interrogé par la présidente sur « des passages qui ne concernent pas uniquement Turquoise », il a répondu qu’il s’agit « d’éléments nécessaires pour présenter le contexte  ». M. Serieyx justifiant le sérieux du livre par la thèse de doctorat en sciences politiques soutenue par Charles Onana en 2017, la présidente lui a demandé s’il avait noté des différences entre la thèse et le livre. L’éditeur a répondu avoir vu « des passages que Charles [lui] a montrés et qui sont identiques  ». Plus tard, Me Heinich lui a fait remarquer «  qu’aucun des passages visés par la plainte ne figure dans la thèse initiale  ». Cette thèse avait par ailleurs « fait l’objet de controverses » : une lettre d’universitaires puis un rapport commandé par l’université Lyon 3 elle-même, où la thèse a été soutenue. Deux documents contestant catégoriquement sa crédibilité scientifique.

Des officiers français témoignent pour Onana

Pour sa défense, Charles Onana a fait citer seize témoins, dont cinq officiers français venus défendre l’action de la France pendant les années 1990 au Rwanda, ou dénoncer les crimes du Front patriotique rwandais (FPR), le mouvement rebelle majoritairement tutsi dirigé par Paul Kagame.

Ces officiers ont parfois donné l’impression de s’être trompés de procès, tel le général Jean-Claude Lafourcade, qui dirigeait l’opération militaro-humanitaire Turquoise (22 juin – 21 août 1994), répétant combien il est « remonté contre les accusations honteuses » portées contre cette opération. M. Lafourcade a rappelé qu’il avait mentionné le génocide dans son ordre d’opération et que Turquoise a permis de sauver des milliers de Tutsis.

Le général Christian Quesnot, 86 ans, à l’époque chef de l’état-major particulier du président Mitterrand, a déroulé « quatre points » : les raisons de la présence française au Rwanda, les accords d’Arusha, l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, des crimes commis par le FPR. « Souhaitez-vous dire un mot sur l’ouvrage de M. Onana, et sur les passages incriminés ? » lui a demandé la présidente une fois son témoignage terminé. « M. Onana ne nie pas le génocide des Tutsis  » a répondu le témoin, précisant quelques minutes plus tard que « le génocide n’a pas été planifié » puisque « le TPIR ne l’a pas prouvé ».

Avançant une responsabilité du FPR dans le génocide des Tutsis, le témoignage du colonel de gendarmerie Michel Robardey, coopérant au Rwanda entre 1990 et 1993, a duré vingt minutes avant que la présidente ne l’interrompe : « Que souhaitez-vous évoquer par rapport aux accusations contre M. Onana et son éditeur ? » D’après le témoin « c’est incontestable qu’il y a eu des morts hutus, tutsis et twas », ce qu’écrit Charles Onana, mais qu’un « génocide a été planifié et réalisé par « un régime », ça ne veut rien dire. » Interrogé par les avocat-es des parties civiles, M. Robardey a contesté l’importance du discours d’appel au meurtre des Tutsis prononcé par Léon Mugesera en novembre 1992, ainsi que la désignation de tous les Tutsis comme « ennemi » par des officiers rwandais, ou encore l’existence de listes de Tutsis à éliminer.

Le général Didier Tauzin, conseiller militaire au Rwanda en 1993 et commandant un détachement des forces spéciales pendant l’opération Turquoise, a dit son regret que la France ait suspendu son aide au régime du président rwandais Habyarimana : stopper la guerre contre le FPR aurait, selon lui, empêché le génocide des Tutsis. Un génocide ? « Je ne peux pas dire qu’il n’y a pas eu un génocide des Tutsis, je n’en ai pas le droit. Mais des massacres j’en ai vu pendant ma carrière, bon là on a décidé que c’était un génocide. »

Jacques Hogard, autre officier supérieur ayant servi lors de Turquoise, n’est resté à la barre que dix minutes. Celui qui a exécuté, en juillet 1994 et dans le cadre de l’opération Turquoise, l’ordre de Paris d’aider le gouvernement génocidaire à fuir au Zaïre semblait sur la défensive. Il a déclaré avoir eu « une impression favorable » du livre de Charles Onana, « bien que certains termes pouvaient être discutés », précisant ne pas l’avoir lu en entier.

Des témoins de la défense hors sujet

Sont aussi venus à la barre pour la défense de Charles Onana le colonel belge Luc Marchal qui dirigeait les casques bleus de la MINUAR dans le secteur de Kigali en 1994, et le général Emmanuel Habyarimana, officier des Forces Armées Rwandaises (FAR) en 1990 puis ministre de la Défense de Paul Kagame de 1997 à 2002. James Gasana, un autre ancien ministre de la Défense (1992-1993), sous Juvénal Habyarimana cette fois, était également présent. Trois représentants d’associations rwandaises des droits de l’Homme sont venus témoigner pour la défense : Joseph Matata, Théoneste Habimana et Théobald Rutihunza. L’ancien ambassadeur belge à Kigali de 1990 à 1994, Johan Swinnen, était aussi cité par la défense, ainsi que Me Rety Hamuli, ancien président des avocats de la défense au tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Ont encore déposé Semus Ntawuhiganayo, journaliste menacé par les extrémistes hutus sous Habyarimana, nommé après le génocide chef de la Sûreté par le premier ministre du gouvernement d’union nationale, Marie-Jeanne Rutahisire, résidant à Kigali en avril 1994, et Nkiko Nsengimana, politologue.

Flavien Lizinde, officier de l’armée du FPR, devait témoigner pour la défense le dernier jour d’audience, mais a été annoncé malade. Me Pire, l’avocat de Charles Onana, a demandé au tribunal l’audition à sa place de Jean-Marie Vianney Ndagijimana, présent dans la salle. Requête refusée au motif qu’elle n’avait pas été faite au moment de la fixation du planning le premier jour, mais aussi parce que cette dernière journée s’annonçait très chargée. Enfin, la défense a indiqué avoir fait la demande d’une audition en distanciel de Carla Del Ponte, ancienne procureure du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), mais le tribunal n’a pu répondre favorablement à cette demande trop tardive. L’éditeur Damien Serieyx n’a fait citer aucun témoin.

Les témoins de la défense sont venus à la barre pour parler d’autre chose que des propos incriminés. Ils ont raconté les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, incontestables, commis par le FPR pendant qu’il mettait fin par les armes au génocide ou après sa prise de pouvoir. A la quasi-totalité des témoins cités par la défense, la présidente a demandé : « Quel rapport faites-vous entre votre témoignage et les propos incriminés que l’on trouve dans le livre ? » Parfois elle leur demandait s’ils l’avaient lu. Et ça n’était pas le cas pour certains. Lors de son réquisitoire, la représentante du ministère public a noté que, comme Charles Onana lors de son audition le premier jour, « tous les témoins ont dit : « je ne nie pas le génocide des Tutsis », et puis ils ont tous, tous – je l’ai noté – ajouté ensuite un « mais». » La plupart des témoins ont ajouté ce « mais » pour nier la planification du génocide. Certains pour contester les condamnations du TPIR ou des juridictions nationales. D’autres pour relativiser l’anti-tutsisme et le rôle des médias de la haine quelques années avant le génocide.

Charles Onana, « un négationniste total »

Les associations parties civiles, quant à elles, ont fait citer cinq témoins et avaient déposé une attestation écrite d’Aurélia Kalisky, docteure et chercheuse en littérature comparée, spécialiste de l’histoire de la mémoire culturelle, de l’historiographie de la Shoah et de l’histoire des savoirs relatifs aux génocides. Bojana Coulibaly, manageure du programme des langues africaines à Harvard, chercheuse en analyse du langage et spécialiste de la région des Grands Lacs, pour la CRF, Thomas Hochmann, professeur de droit public et membre de la « Commission Duclert », pour la LICRA, l’historien Florent Piton, pour Survie, l’avocat belge Bernard Maingain et le journaliste Jean-François Dupaquier, pour Ibuka France, ont proposé au tribunal leurs analyses complémentaires du livre de M. Onana : historique, juridique et sociolinguistique. Ils ont aussi confronté le contenu de l’ouvrage avec leurs propres connaissances de la région des Grands Lacs, témoignant du fossé entre leurs expériences et le livre du prévenu. La LDH, la FIDH et le CPCR n’ont pas fait citer de témoin.

Ceux qui se sont présentés à la barre pour les parties civiles ont expliqué qu’ils retrouvent dans cet ouvrage l’idéologie génocidaire et la rhétorique négationniste des extrémistes hutus. Selon eux, la panoplie est complète : discours conspirationniste et complotiste, inversion des responsabilités et des victimes d’un crime (de génocide) mis en doute ou banalisé, racisme anti-tutsi – clairement marqué à l’endroit des femmes – basé sur l’idéologie d’une origine hamitique. Plusieurs d’entre eux ont relevé des similitudes importantes entre des textes propagandistes des extrémistes hutus et des passages du livre de M. Onana retenus dans la plainte. Mme Coulibaly a cité par exemple un document de 1996 co-signé par Théoneste Bagosora, qui écrivait : « L’utilisation du terme « génocide » pour désigner les massacres interethniques a été adoptée par le FPR pour attirer la sympathie et obtenir le soutien de la communauté internationale. »« Le Conseil de Sécurité de l’ONU induit en erreur sur le prétendu ‘génocide Tutsi’ au Rwanda »,  L’ouvrage de M. Onana a également amené Florent Piton à décrire au tribunal «  la carrière négationniste » du même Bagosora, en partant d’éléments présents dans le livre : une « déhistoricisation » du génocide, banalisé en massacres aux responsabilités et aux victimes multiples et de tous bords. Thomas Hochmann y a lui aussi trouvé « des éléments classiques de tout négationnisme », comme l’usage des guillemets, et la prétention à se placer dans le champ de la recherche historique. Mme Coulibaly a contesté que l’on puisse même y trouver une « démarche scientifique de type révisionniste » » et estimé qu’il s’agissait plutôt de la démarche d’un «  idéologue génocidaire ». Les trois universitaires ont refusé tout caractère scientifique à l’ouvrage de M. Onana, Florent Piton se disant par exemple « décontenancé » par une documentation très partielle et partiale.

Bernard Maingain a témoigné de ses liens professionnels et d’amitié développés au Rwanda à partir de 1989, qui l’ont amené à avoir connaissance « des dérives du régime et de la montée de l’Akazu » (la « petite maison », c’est-à-dire l’entourage extrémiste de la femme du président Habyarimana, dont faisait partie notamment le colonel Bagosora). Puis il a repris la plupart des passages du livre retenus pour la plainte, indiquant qu’ils étaient en totale opposition avec ce qu’il avait observé et les nombreux témoignages rwandais qu’il avait reçus entre 1989 et 1994. Me Pire a demandé au témoin s’il était juste de le qualifier d’avocat de Paul Kagame ou du FPR. M. Maingain a répondu qu’il était libre et pas plus « porteur d’intérêt » de Rwandais que d’autres clients africains qu’il a nommés. Dernier témoin auditionné, Jean-François Dupaquier a expliqué connaître la région des Grands Lacs depuis 1971 et s’y être rendu entre autres pour Amnesty International, Reporters Sans Frontières ou le TPIR. Son témoignage est revenu sur la dimension idéologique présente dans l’ouvrage de Charles Onana, rappelant les outils de propagande utilisés au Rwanda avant le génocide en citant «  les dix commandements du hutu », un document anti-tutsi raciste publié dans le journal Kangura en décembre 1990. Pour Jean-François Dupaquier, M. Onana est « le seul négationniste à avoir épousé les dix commandements du hutu, y compris dans sa dimension misogyne. C’est un négationniste total. »

Ibuka et Survie à la barre

Le dernier jour, vendredi 11 octobre, et avant les plaidoiries, Marcel Kabanda, président d’Ibuka France, puis Raphaël Doridant pour l’association Survie, ont souhaité s’exprimer. Marcel Kabanda est revenu sur son histoire personnelle, témoignage d’une période que trois jours avant son confrère historien Florent Piton avait désigné comme marquée par « un ensemble de discours et de politiques publiques au profit d’un projet  », celui d’exclure les Tutsis de la société rwandaise, y compris par l’extermination. Le président d’Ibuka France a justifié leur présence en tant que partie civile à ce procès : « Nous luttons contre le négationnisme car on survit, on vit en suspens. Nous avons besoin d’une histoire. Nier la vérité c’est nier l’existence des morts et ceux qui ont survécu. » Lorsque la présidente lui a demandé à la fin de sa prise de parole s’il souhaitait dire un dernier mot, M. Kabanda a laissé passer de longues secondes, avant d’ajouter : « Représenter des rescapé-es, des survivants, ça donne le vertige », il a remercié l’avocate d’Ibuka France, Me Rachel Lindon ainsi que les autres associations, pour conclure : «  C’est un procès important, on ne peut pas le porter seul.  »

Après avoir fait une présentation rapide de l’histoire de Survie et des divers et nombreux sujets traités par l’association dans sa lutte contre la Françafrique, Raphaël Doridant a expliqué au tribunal les motivations de Survie à déposer cette plainte avec la LDH et la FIDH : « parce que les propos négationnistes causent des dommages graves au débat public qui est le fondement d’une démocratie, […] par solidarité avec les victimes du génocide perpétré contre les Tutsis, et parce que les propos négationnistes sont le terreau de discours de haine dans les Grands Lacs. » Me Pire, avocat de Charles Onana, a demandé au représentant de Survie si le rapport des organisations pour les droits de l’Homme de mars 1993, auquel avait participé le président de l’association, Jean Carbonare, s’était « préoccupé des crimes du FPR  ». Raphaël Doridant a répondu que c’était le cas. Me Pire lui a ensuite demandé si Jean Carbonare avait des liens avec Paul Kagame. M. Doridant a répondu par l’affirmative en reprenant les éléments très précis sur ce point que l’on peut lire dans un article de l’historienne Chantal Morelle sur le parcours des époux Carbonare. Il a ajouté que quand Jean Carbonare est allé superviser la fabrication de briques au Rwanda, à l’automne 1994 et au printemps 1995, il a démissionné de la présidence de Survie. Me Pire a encore demandé si Survie avait des liens avec le président rwandais Paul Kagame, ce à quoi Raphaël Doridant a répondu : « Aucun ».

« Ne vous laissez pas abuser par M. Onana »

Les avocat-es des parties civiles ont ensuite plaidé pendant deux heures et quart. Me Rachel Lindon est revenue sur la contestation de la planification du génocide par la plupart des témoins de la défense, en rappelant qu’il s’agit pourtant d’un élément constitutif du crime, et que plusieurs tribunaux l’ont validé dans leurs jugements. Commençant par rappeler qu’une très grande partie des victimes du génocide des Tutsis étaient des enfants, Me Goldman a plaidé qu’il est autorisé de « penser et dire ce qu’on veut du FPR, du Congo et de l’armée française » mais pas de « faire croire que l’histoire du génocide des Tutsis n’est pas établie ». Pour le CPCR, Me Noémie Coutrot-Cieslinski a plaidé sur l’absence de similitude avec le procès de Natacha Polony ayant conduit à la relaxe de la prévenue, relevant que le tribunal avait accordé à la journaliste sa non connaissance « des subtilités du génocide, et du contexte ». L’avocate a terminé en soulignant que les témoins de la défense avaient « mis à l’arrière-plan le génocide » durant ce procès : « Ils ne le contestent pas, mais ils le font disparaître. » Me Richard Gisagara, pour la CRF, a appuyé sa plaidoirie sur les universitaires cités par les parties civiles qui, tous les trois, « ont montré que les propos de M. Onana s’inscrivent dans ceux des auteurs du génocide. » Pour Survie, Me Heinich, qui était assistée durant ce procès de Me Alexandre Gonzalez, a plaidé qu’elle représentait « la société civile pour alerter sur un livre dangereux. » Après sa consœur Me Coutrot-Cieslinski, Me Heinich a fait le même constat que le sujet principal du procès, le génocide des Tutsis, a été traité par la défense comme M. Onana dans son livre : « nié ». L’avocate de Survie a terminé en invitant le ministère public à requérir, et non à laisser les parties civiles seules face à la défense.

Me Patrick Baudouin a ensuite conclu la plaidoirie des parties civiles, rappelant qu’en plus de cinquante années à la FIDH, il avait souvent vu la fédération accusée de manière caricaturale ou mensongère de soutenir divers régimes extrémistes ou dictatoriaux, avant celui de Kigali. Me Baudouin a souligné les similitudes frappantes entre la citation de Charles Onana rappelée au début de cet article et la phrase de Robert Faurisson : « Les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des juifs forment un seul et même mensonge historique, qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière, dont les principaux bénéficiaires sont l’Etat d’Israël et le sionisme international. ». Représentant, avec Me Hugo Delhoume, la LDH et la FIDH, Me Baudouin a souhaité terminer en alertant une partie du public venue protester contre les conséquences humaines désastreuses de l’ingérence rwandaise dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) : « Je comprends la colère contre Paul Kagame, mais ne vous laissez pas abuser par M. Onana. Il est très dangereux. Laisser se développer cette musique est dangereux, après les mots il y a les actes. […] Ce ne sont pas d’autres victimes qui soulageront les victimes déjà existantes.  » L’avocat a rappelé que la FIDH ne néglige pas les droits humains en RDC et au Rwanda, et ne conteste ni le fait que celui-ci participe à la déstabilisation dans le Kivu ni les crimes commis par le FPR. Mais il a exhorté les Congolais à ne pas défendre ces causes justes en se laissant manipuler par le discours simpliste et raciste du prévenu.

C’est un peu après 18 heures, ce vendredi 11 octobre 2024, que la procureure de la République a commencé son réquisitoire. Elle a insisté sur l’impossibilité de contester la planification du génocide, et les jugements qui la mentionnent : « les témoins ont répété « pas de planification », or elle est indéniable pour les juridictions françaises  ». Elle a cité Bernard Maingain : «  On ne tue pas 10 000 personnes par jour pendant cent jours sans préparation. » Pour la représentante du ministère public « M. Onana est dans la contestation abrupte, frontale » et ses propos ont « clairement dépassé la liberté d’expression. » La procureure a requis une condamnation, laissant le tribunal décider le cas échéant de la peine.

Un « malentendu persistant », selon la défense

Me Diagne a ensuite plaidé le premier pour la défense. Voyant dans ce procès une « allégorie de la puissance des autorités rwandaises » il a rappelé que M. Onana a écrit et dit à la barre qu’il ne conteste pas le génocide des Tutsis. Selon l’avocat de l’éditeur, le livre ne porte pas sur ce crime mais sur l’opération militaire Turquoise, ce que sont venus expliquer au tribunal les anciens officiers français. Il a demandé la relaxe. Dernier avocat à prendre la parole, Me Pire a regretté un « malentendu persistant » entre les parties, à propos du livre de Charles Onana qu’il situe dans « une démarche sincère, positive, légitime ». Posant des questions : « Que peut-on écrire sur le Rwanda ? […] Est-ce que les américains se sont souciés des camps d’extermination [nazis] ? », il a plaidé que ça ne doit pas poser de problème d’écrire que le FPR ne se serait pas soucié des Rwandais tutsis. Concédant «  ils sont pénibles ces guillemets », à propos de ceux entourant le mot génocide dans le livre – 160 fois avait précisé Me Heinich en début de semaine – il a plaidé pour des citations dans le cadre d’un travail de politologue essayant de comprendre le processus de qualification du génocide. D’après Me Pire, la disqualification des institutions judiciaires8 est « anecdotique ». Il a également demandé la relaxe.

Enfin, les deux prévenus ont été invités par la présidente à s’exprimer. Damien Serieyx a rappelé qu’il utilise le mot génocide « dès la quatrième de couverture » qu’il a rédigée (bien que son avocat ait plaidé que ce n’était pas le sujet du livre), et a contesté nier ce crime. L’éditeur a clamé d’une voix forte que sa « conviction est faite : on nous a traîné devant le tribunal pour des prétextes car le travail de Charles Onana c’est d’avoir dévoilé la stratégie cynique du FPR, qui ne se souciait pas du sort des Tutsis, et dont l’objectif principal était les richesses du Congo. »

A 19h50, Charles Onana a été le dernier à prendre la parole. Il a souhaité redire qu’il n’a « aucun conflit d’intérêt  », contrairement selon lui aux parties civiles. Comme son éditeur, il a exprimé l’idée qu’il n’est pas au tribunal « pour la négation du génocide des Tutsis, mais parce que Paul Kagame a décidé qu’ [il devait] être ici », et que le président rwandais « a poussé ses alliés pour avoir la peau d’Onana  ».

Le jugement sera rendu le 9 décembre 2024 à 13h30. (Fin).

* Survie est une association créée en 1984 qui dénonce toutes les formes d’intervention néocoloniale française en Afrique et milite pour une refonte réelle de la politique étrangère de la France en Afrique.

ARI-RNA/ Géno./ 23. 11. 24/ 15 : 55 GMT

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Les 20 extraits (mis en gras par nous) du livre de Charles Onana Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise, paru en octobre 2019 aux éditions de l’Artilleur, retenus pour la plainte pour contestation de crime contre l’humanité sont :

Extrait n°1 : « Il est désormais établi que l’actuel régime de Kigali ne supporte pas les universitaires, les journalistes et les auteurs dont les travaux nuancent ou contredisent le dogme ou l’idéologie du « génocide des Tutsis ». L’arme de destruction massive qui a été trouvée pour disqualifier ou pour discréditer le travail des chercheurs américains est de les traiter de « révisionnistes » ou de « négationnistes », un vocabulaire réservé en général aux auteurs qui nient l’Holocauste des Juifs et que certains veulent étendre abusivement et maladroitement à la tragédie rwandaise. Soyons clair, le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs ! Toute tentative de mariage forcé ou de comparaison entre ces deux événements distincts est abusive et déplacée.  » (page 34)

Extrait n°2 : « Ceci démontre, s’il en était encore besoin, que la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un « génocide » au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle. » (page 198)

Extrait n°3 : « Paul Kagame et ses hommes n’ont jamais sauvé les Tutsis d’un quelconque « génocide » et ils n’ont jamais envisagé cela. » (page 456)

Extrait n°4 : « Continuer à pérorer sur un hypothétique « plan de génocide » des Hutus ou une pseudo-opération de sauvetage des Tutsis par le FPR est une escroquerie, une imposture et une falsification de l’histoire. » (page 460)

Extrait n°5 : « Personne ne nie la réalité des millions de victimes tutsies, hutues et twas du Rwanda et du Zaïre, mais faire du « génocide » la principale source d’explication ou même l’unique tentative d’explication est une aberration sur le plan intellectuel et scientifique. » (page 32)

Extrait n°6 : « Les attitudes qui consistent à désigner, sous la pression du sens commun ou du discours officiel, les auteurs et les victimes présumés du « génocide » et qui écartent, dans les mêmes conditions, d’autres auteurs ou victimes présumés de crimes contre l’humanité au Rwanda relèvent soit d’une approche purement discriminatoire, […] » (page 79)

Extrait n°7 : « Les massacres de civils ont effectivement commencé dans la capitale le 7 avril 1994 après l’annonce de l’assassinat du chef de l’État rwandais. Ils vont, par la suite, s’étendre à tout le pays à l’initiative de tous les groupes armés et contre l’ensemble des populations rwandaises. Mais le mode de désignation des victimes ne se fera jamais sur les fondements d’une enquête minutieuse et approfondie mais plutôt à la hâte, dans la précipitation et l’affect du moment. » (page 89)

Extrait n°8 : «  tout ce qui consiste à mettre le « génocide » et pas la conquête du pouvoir au centre de la recherche sème la confusion et entretient inutilement la polémique.  » (page 125)

Extrait n°9 : « Autrement dit, pour ne pas avoir à s’exposer à la moindre réflexion ou à des questions embarrassantes, les États-Unis valident ainsi, sans la moindre réserve, et très officiellement la demande pressante du FPR de retenir le mot « génocide » ou de qualifier comme tel les massacres du Rwanda. Ce terme est donc retenu sans examen ni enquête préalable. Sa validation ne sera jamais soumise à l’avis des magistrats professionnels ni à la consultation d’une quelconque juridiction internationale. C’est la volonté du FPR et la décision d’un secrétaire d’État américain qui ont conduit à parler de « génocide » au sein des Nations unies et principalement au Conseil de sécurité. » (page 190)

Extrait n°10 : «  Est-ce le « génocide » ou la conquête du pouvoir par les armes, qu’est-ce qui est la cause des massacres en 1994 au Rwanda ? […] Autrement dit, le « génocide » n’est pas le cœur du sujet et n’explique finalement rien.  » (page 409)

Extrait n°11 : « Mais, depuis vingt-cinq ans, de nombreux auteurs persistent à regarder la tragédie du Rwanda avec les lunettes du « génocide » au lieu de s’intéresser à la conquête du pouvoir par la lutte armée déclenchée par le FPR dès 1990. C’est elle qui est non seulement la cause de l’horreur qu’a connue ce pays mais c’est elle qui est aussi en partie la cause de l’exode massif des populations vers le Zaïre. » (page 411)

Extrait n°12 : «  L’offensive médiatique régulière des accusations lancées par le régime de Paul Kagamé contre l’opération Turquoise vise simplement à ce que l’on ne regarde pas de plus près les massacres commis par les deux parties et surtout à dissimuler l’obsession d’une conquête du pouvoir par les armes et par la violence.» (page 461)

Extrait n°13 : «  Il faut dire que les rebelles ont profité de la vague d’émotion due à la réalité des massacres de Tutsis, de Twas et de Hutus. » (page 494)

Extrait n°14 : «  Certes les Tutsis sont massacrés, ciblés mais ils ne sont pas les seuls.  » (page 567)

Extrait n°15 : « Au Rwanda, des Tutsis, des Hutus et des Twas ont été sauvagement massacrés. » (page 621)

Extrait n°16 : «  Il s’agit [pour le FPR] de faire passer sa guerre de conquête du pouvoir pour une « guerre de libération » ou pour un « génocide des Tutsis » et dissimuler, en même temps, les crimes contre l’humanité qu’il a commis avec son mouvement et qui sont aujourd’hui très bien documentés.  » (page 649)

Extrait n°17 : «  Ceci démontre, s’il en était encore besoin, que la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un « génocide » au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle. » (page 198)

Extrait n°18 : « lorsque le procureur [du TPIR] s’est trouvé en difficulté de fournir des preuves et de la planification et du génocide, il a préféré recourir à l’artifice du « constat judiciaire » plutôt que de mettre sur la table des pièces à conviction. » (page 195)

Extrait n°19 : « De même, tous ceux qui, dans les milieux universitaires et journalistiques ainsi qu’au TPIR, ne regardent, depuis plus de deux décennies, le conflit rwandais que sous l’angle d’un « génocide planifié  », tantôt sous le régime Habyarimana, tantôt sous le gouvernement intérimaire, quelques fois en 1959 ou à des dates plus ou moins vagues, le réduisent à sa stricte dimension ethnique faussant ainsi la compréhension des faits. De toute manière, une telle approche constitue, du point de vue de l’histoire et des rapports sociopolitiques entre Hutus et Tutsis, une erreur grossière. » (page 412)

Extrait n°20 : « Dans son ouvrage consacré à la guerre d’octobre 1990, l’ancien officier des FAR, Pascal Simbikangwa, condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple, permettant de célébrer l’histoire officielle, livre ainsi son sentiment : « La guerre que nous allons vivre dans les pages qui viennent n’est pas une guerre, c’est une connerie, c’est une connerie, dis-je, car elle manque de sens, elle n’a pas de départ et n’a nullement de fin car elle s’est faite dans les têtes et ne se terminera jamais tant que nous ne serons pas tous devenus des monstres. Ce qui demande un travail d’éducation de longue haleine.  » (page 437)