Le matin ayant été consacré à la seconde partie du réquisitoire des avocats généraux, madame Sophie HAVARD et monsieur Nicolas PERON, c’est au tour des avocats de la défense, maître Florence BOURG et Jean-Yves DUPEUX de présenter leurs plaidoiries.
Il ne nous est pas possible, pour l’instant? de rendre compte des réquisitions de l’accusation. Simplement dire que les avocats généraux, après un réquisitoire implacable, demandent une peine de 30 ans de réclusion criminelle à l’encontre du docteur Sosthène MUNYEMANA.
Plaidoirie de maître Florence BOURG.
A l’heure actuelle, il ne nous a pas été possible de faire un compte-rendu de la plaidoirie de maitre BOURG qui a parlé pendant près de trois heures et demie. Nous essaierons, dans les jours qui viennent d’en rendre compte. Mais il faudra être patients.
Plaidoirie de maître Jean-Yves DUPEUX.
« J’ai la voix tremblante pour beaucoup de raisons » commence maître DUPEUX. Il a été sous le charme de la plaidoirie de sa collègue, maître BOURG. Mais il est surtout en colère, faisant allusion au réquisitoire des avocats généraux, à cause d’une « construction froide, destructrice, par une série d’acrobaties » auxquelles se sont livrés les avocat(e)s généraux. Ces derniers se sont livrés à des « travestissements d’un homme qui s’est très bien comporté » et contre lequel on a requis trente ans de réclusion criminelle. « J’ai la voix brisée, nous nous connaissons depuis 28 ans, 28 ans que nous portons le cas de Sosthène MUNYEMANA. On a eu le temps de se convaincre, de parler. »
Une grande émotion aussi car maître DUPEUX annonce qu’il fera ce soir sa dernière plaidoirie. Il se retire du barreau.
L’avocat de la défense annonce qu’il va développer trois points importants:
1. la construction d’un dossier entièrement tourné vers l’accusation;
2. l’absence totale de volonté de participer au génocide de la part de Sosthène MUNYEMANA.
3. insistance sur le doute qui irrigue ce dossier dans toutes ses dimensions.
1) La construction d’un dossier entièrement tourné vers l’accusation. Ce dossier est mal parti. Et l’avocat d’évoquer le démarrage de la plainte, à Bordeaux, en 1995, alors que l’accusé, ayant retrouvé des compatriotes, va donner deux conférences sur la façon dont il voit le Rwanda nouveau, suite a des contacts qu’un certain James a pris avec des activistes d’un Collectif girondin. Pour Sosthène MUNYEMANA, il faut en revenir aux accord d’Arusha. Dès son retour au Rwanda, d’ailleurs, il veut s’inspirer des idées de démocratie qu’il a vécues en France, avec l’espoir de vivre cette démocratie dans son pays d’origine.
Mais les propos qu’il tient semblent ne pas plaire à ses anciens amis. Une plainte est déposée en novembre 1995: « Ça part très mal! » Et l’avocat de dénoncer le rôle du couple DUPAQUIER dont il va dénoncer l’incompétence dans cette affaire, un journaliste qui va signer une plainte dont il ne connaît pas le contenu.. Et puis, y est joint un « faux » des Nations Unies, sans oublier la présence d’un second document qui émanerait de la gendarmerie, un document qui ne sera jamais authentifié malgré la promesse des plaignants. Sans oublier encore un dernier document qui va donner « une réputation de génocidaire » à son client, celui publié par African Rights, « Sosthène MUNYEMANA Le boucher de Tumba ».
Une plainte saugrenue, donc, qui crée une atmosphère toxique pour toute l’instruction du dossier. En 1996, cette plainte remonte à Paris rejoindre toutes les autres à cause de l’adoption de la loi de compétence universelle dont l’avocat rappelle les principes: des crimes commis à l’étranger, par des étrangers sur des étrangers, à condition, mais je crois que l’avocat oublie de le préciser, que l’accusé se trouve résider sur le territoire français.
Et puis, un nouveau rebondissement avec la plainte du CPCR, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda. Alain et Dafroza GAUTHIER vont prendre l’affaire en mains. Lui a vécu de nombreuses années au Rwanda (NDR. J’ai vécu à Save de septembre 1970 à juillet 1972). Ils ont dans ce pays de nombreuses relations qui leur donnent beaucoup de facilités. Ils reçoivent une aide formidable de la part de la justice rwandaise. Ils vont parcourir le pays à la recherche uniquement des témoins à charge que personne ne connaît. (NDR. Lors de mon audition du 8 décembre, j’avais manifesté mon étonnement auprès de maître DUPEUX qui m’avait interrogé sur le sujet et j’avais cru bon lui préciser que nous n’étions pas des juges d’instruction. Je pensais qu’il avait compris. Mais il revient maladroitement à la charge.)
Pour l’avocat, ce sont des entraves à la manifestation de la vérité. Ce procès est biaisé. On ne peut pas se satisfaire d’une telle situation.
Maître DUPEUX aborde le thème des barrières et des rondes mais sans s’y appesantir dans la mesure où sa collègue a longuement traité le sujet. Il ne peut toutefois s’empêcher sur le témoignage de Laurien NTEZIMANA qui est allé sur les barrières pour protéger les Tutsi cachés chez lui (NDR. Et qui a fait de MUNYEMANA un anti-héros!)
2) L’absence d’élément intentionnel chez Sosthène MYNYEMANA lors du génocide.
« J’ai peine à croire qu’on puisse prêter à MUNYEMANA cette intention criminelle. Il n’y a dans le dossier aucun élément matériel (qui puisse le compromettre). Il est tout, sauf un ethniciste, fréquente aussi bien les Tutsi que les Hutu, ne connaît pas l’ethnie de ses patients à l’hôpital. A l’Université, il va demander l’anonymisation des copies. Il est anti-ethniciste comme on est anti-raciste. » Et de poursuivre: « Il ne peut pas avoir d’intention de destruction, ni dans la tête, ni dans le cœur. »
Non seulement Sosthène MUNYEMANA va accueillir beaucoup de réfugiés chez lui mais encore, il va suivre une de ses patientes et pratiquer une césarienne. « Cette femme est Tutsi et va mettre au monde un enfant Tutsi! (NDR. C’est FAUX! Son mari étant Hutu, son enfant, selon la culture rwandaise, sera lui aussi Hutu).
Entendre dire que tous les génocidaires ont sauvé des Tutsi, argument très souvent avancé, cela l’énerve.: « Je déteste ce raisonnement » tonne-t-il.
3) La notion de doute.
A l’adresse des jurés, il leur rappelle qu’ils ont prêté serment. Ils auront à procéder à un examen scrupuleux des charges, et le doute doit profiter à l’accusé. Or, dans ce procès, il n’y a que des témoignages dont beaucoup sont « biaisés ». Biaisés à l’égard de la mémoire, le génocide ayant été perpétré voici bientôt trente ans; biaisé à l’égard de la culture rwandaise, un pays où le témoignage colle à la rumeur. Biaisé, parce que le témoignage individuel rejoint une version collective, d’où un effet d’entraînement: c’est un piège. Biaisé aussi parce que le témoignage peut être causé par le ressentiment des victimes. Et d’ajouter: « Je me méfie des associations qui vont à la pêche des témoins (NDR. Suivez mon regard) et de cet Etat totalitaire qui maintient une pression sur les témoins! Les associations récolteraient des témoignages qui sont « formatés ».
Ce sont donc autant d’éléments qui mettraient en doute chaque témoignage. Et de rappeler, pour presque s’en gargariser, la réflexion de madame Diana KOLNIKOV: « Les victimes ne sont pas des saints. » (NDR. Qui l’a jamais prétendu?) L’avocat de revenir alors sur le témoignage de cet homme récemment sorti de prison, Alfred MAGEZA, qui ne cesse de se contredire. D’ailleurs, selon l’avocat, la Cour d’appel de Paris a évoqué ces « ces témoignages farfelus » Il évoque aussi le point de vue différent de deux enquêteurs, Patrick GEROLD et Olivier GRIFOUL concernant les rapports de la justice rwandaise et ceux de la justice française, l’un soulignant les différences; l’autres y voyant plutôt de grandes concordances. Et pourtant, soutenant l’avis du premier, » Monsieur GEROLD n’est pas n’importe qui, c’est un directeur d’enquête! » Deux enquêteurs qui n’ont pas le même avis, « c’est l’archétype du doute. C’est ENORME ».
Le bureau de secteur, dont on a tant parlé: refuge ou prison? Sosthène MUNYEMANA y enfermer les réfugiés pour les protéger, pour qu’ils ne soient pas assassinés. Maître DUPEUX de rappeler qu’on a pris soin de ne pas leur donner l’adresse de monsieur GEROLD pour ne pas le faire citer (NDR. L’accusation a déjà contesté cette affirmation: ils n’ont pas trouvé la nouvelle adresse du gendarme!)
Il y aurait eu plusieurs clés? Il y a là aussi un doute énorme. Et puis, qu’est-ce qu’on pouvait faire? Que pouvait faire Sosthène MUNYEMANA? C’est un médecin qui a fait le serment d’Hyppocrate. S’il n’avait pas fait ça (enfermer les Tutsi?), les réfugiés auraient été tués. Lui-même ne serait peut-être pas là aujourd’hui.
Aux jurés, de nouveaux. « Vous êtes une cour d’assises ordinaire. Il n’y a rien dans le dossier et vous devez juger avec rien. C’est IMPOSSIBLE. N’oubliez pas votre serment. S’il y a un doute, on ne peut pas condamner. Or, il y a un doute absolu. Je fais appel à vous. Je vous en supplie, prenez cela en considération avant de voter. Votez NON! NON! NON! à chaque fois. C’est ce que vous devez faire » Et surtout ne pas oublier les qualités exceptionnelles de Sosthène MUNYEMANA rapportée par ses deux collègues: « J’ai été convaincu par ses deux chefs de service. On a du mal à imaginer cet homme-là porte-drapeau d’une idéologie génocidaire. C’est INIMAGINABLE! »
Encore deux ou trois choses avant de conclure.
« Je vous rappelle votre serment. On ne peut pas condamner un homme avec de tels doutes. Tout le monde réclame la justice. La justice, ce n’est pas un mot, c’est une valeur morale qui fait partie intégrante de notre pacte social. »
Et pour toucher le cœur des jurés, maître DUPEUX souhaite leur partager trois moments de forte émotion.
Tout d’abord celle qu’il a éprouvée devant le témoignage de Gustave, le fils de l’accusé, un jeune homme sain, intelligent, qui affirme que son père l’a élevé dans le respect des valeurs humanistes: « J’espère que vous vous en souvenez », ajoute l’avocat.
Puis lorsque MUNYEMANA a évoqué, sur l’insistance de ses avocats, de son épouse de de sa fille, l’épisode au cours duquel Liliane a failli être assassinée dans l’enclos même de sa maison alors que les miliciens étaient à la recherche de la jeune employée tutsi. Ce jour-là, l’accusé a rompu l’armure.
Enfin l’émotion ultime et peut-être la plus forte, après le témoignage de madame Dafroza GAUTHIER. Sosthène MUNYEMANA ayant été appelé à réagir dira en substance des choses extraordinaires: » Les mis de madame GAUTHIER étaient aussi les miens. Laurent, KARENZI et autres Tutsi (NDR: dont il ne se souvient plus du nom. Il s’agit de Laurent NKUSI, professeur à l’Université qui se trouvait alors en France mais dont Germaine, son épouse, a été tuée à Tumba avec deux de ses enfants. Seules leurs deux jumelles seront jetées vivantes dans une fosse commune, récupérées par la Croix Rouge et transportées à Bujumbura où une femme les récupèrera et voudra les garde lorsque Laurent reviendra. J’avais retrouvé Laurent sur les bancs de la faculté de Nice, en 1973, où il faisait des études)
« Nous pleurons les mêmes morts, avait ajouté MUNYEMANA. Ce génocide nous a cassés »; (NDR. Maître DUPEUX omet de citer la dernière phrase de l’accusé qui a profondément choqué mon épouse: « Nous devrions nous embrasser! Cela viendra peut-être un jour! » (NDR. Je cite de mémoire.)
Pour conclure, maître DUPEUX adresse ses remerciements aux jurés (NDR. Qui le méritent bien vu leur application à prendre des notes, à poser des questions), au président, ceci dit « sans flagornerie ». Et d’ajouter en direction des jurés: «Nous vous faisons confiance ».
Monsieur le président rappelle à Sosthène MUNYEMANA qu’il sera entendu le lendemain à 9 heures, pour la « dernière parole donnée à l’accusé » , selon la tradition de la cour d’assises. Puis le jury se retirera pour délibérer.
Dossier réalisé par Alain Gauthier, président du CPCR