Qui est derrière les sanctions contre le M23 et pourquoi des sanctions alors que le M23 demande à négocier ?

By Bojana Coulibaly *

Dans son article «The Forgotten War in Congo : To Stop the Growing Crisis in the Country’s East, the West Must Pressure Rwanda », [La guerre du Congo oubliée, pour stopper la crise grandissante à l’est du pays, l’Occident doit faire pression sur le Rwanda] le 26 juillet dans Foreign Affairs, l’analyste politique Jason K. Stearns, spécialiste de la République Démocratique du Congo, s’implique personnellement dans la crise en RDC, en appelant aux sanctions contre le mouvement du 23 mars, tandis que le M23 demande à dialoguer depuis plusieurs mois, voire des années.

Stearns, qui s’est établi comme référence sur le Congo auprès de chercheurs, journalistes et experts, offre une analyse des faits erronée, manipulant les responsables et représentants de la communauté internationale, les poussant à sanctionner le mouvement, comme cela a été fait le 25 juillet par l’état américain et l’Union européenne, et ce même pendant une trêve demandée par les Etats-Unis. Les analystes de discours ayant une connaissance approfondie du contexte historique et politique du Congo observeront que Stearns jouit de la non-connaissance du contexte par les représentants de la communauté internationale pour faire passer des fausses vérités démontrées par l’inconsistance dans les analyses de Stearns sur le long terme. La manipulation du langage par Stearns entrave la résolution de la crise à l’est du pays, impactant directement la population congolaise, et éloignant toute perspective de paix dans la région.

Comment Stearns fabrique-t-il des fausses vérités sur le M23 : le cas « Kishishe »

Dans son article, Stearns débute ses accusations contre le M23 en faisant référence à un présumé « massacre », étant devenu l’emblème du faux narratif sur le Congo. Il y fait référence en utilisant des éléments de langage employés dans un article dans Le Monde publié le 16 décembre 2022, intitulé « We know the M23 is backed by Rwanda, but France has looked the other way » [Nous savons que le M23 est soutenu par le Rwanda, mais la France a décidé de regarder ailleurs], en référence à ce qui a été appelé « le massacre de Kishishe ». Dans cet article, se basant sur ce que les Nations Unies ont appelé une « enquête préliminaire », Stearns utilise l’expression « [the M23] rounded up and killed villagers around Kishishe » [(le M23) a rassemblé et tué des paysans autour de Kishishe]. De même dans Foreign Affairs, Stearns réemploie cette image d’une présumée exécution sommaire de civils, en incluant notamment « femmes et enfants », au nombre de 131, tout en renvoyant à « l’enquête préliminaire » onusienne.

Il est à noter que cette « enquête préliminaire » est basée sur « des témoignages » non-vérifiés et non-confirmés par une enquête balistique de terrain, enquête non-réalisée « pour des raisons de sécurité », d’après les Nations Unies. Cette enquête s’est donc tenue à sa phase « préliminaire », et il n’existe à ce jour aucun rapport final pouvant corroborer les accusations de Stearns contre le M23. Les accusations de Stearns et sa demande de pression contre le M23 et le Rwanda, reposent donc sur des suppositions.

Il est évident que Stearns connaît la réalité des faits qui se seraient produits à Kishishe les 29 et 30 novembre 2022. Il a en effet dirigé entre 2017 et 2022, la seule base de données de cartographie de la violence dans le Kivu, le Baromètre Sécuritaire du Kivu (Kivu Security Tracker), cocréé avec Human Rights Watch, qui a servi d’unique référence « statistique » sur la violence à l’est de la RDC, jusqu’à sa fermeture pour cause de “violation sérieuse d’éthique de recherche” selon Daniel Fahey, ancien coordinateur du Groupe des Experts des Nations Unies sur la RDC. Selon cette base de données dirigée par Jason Stearns lui-même, il était question de 40 civils tués à « Kishishe et Kilema » dans le territoire du Rutshuru entre 29 et le 30 novembre 2022. Ce chiffre contredit les 131 annoncés par Stearns dans l’article dans Le Monde deux semaines après les faits présumés. De même, dans l’article de Stearns dans Foreign Affairs, il est question de 171 civils, encore un chiffre différent des deux premiers, et Stearns se référerait cette fois-ci à une « ré-evaluation » du nombre de victimes par les Nations Unies, établie une fois de plus, sans enquête balistique.

Amnesty International, partenaire du Baromètre Sécuritaire du Kivu et de Human Rights Watch, avait déclaré en février 2023, que « 20 hommes » auraient été tués à Kishishe, sans indication qu’il s’agissait de civils. Ce chiffre corrobore davantage le rapport de l’évènement donné par le M23, en d’autres termes, qu’il y a eu environ 20 victimes issues des groupes armés que le M23 combattaient à Kishishe, une zone occupée depuis 30 ans par les FDLR, groupe fondé par les génocidaires en fuite depuis le Rwanda après avoir commis le génocide contre les Tutsi en 1994. Il s’agit d’un groupe qui depuis 30 ans persécutait la population à Kishishe, que le M23 avait annoncé être venu défendre.

Stearns ainsi dans Foreign Affairs présente le M23 comme un groupe « sanguinaire », se basant sur un chiffre sur lequel non seulement il n’y a pas eu consensus au sein de sa propre base de données ni par ses partenaires, mais sur lequel il n’y a jamais eu de rapport final établi par une enquête de terrain. Stearns démontre ainsi une absence de crédibilité scientifique dans son analyse de la crise à l’est de la RDC.

Pourquoi des sanctions alors que le M23 cherche à négocier ?

La demande de résolution du conflit par le dialogue du M23 ces derniers mois, raison pour laquelle les cadres du mouvement s’étaient rendus à Kampala au mois de mars, ne correspond pas à la perspective unique, la single story sur le Congo, que Stearns met en scène dans ses publications et interventions médiatiques. Il y affirme que la RDC est un pays où « la violence se perpétue elle-même ». La violence représente selon Stearns le fonds de commerce de tous les acteurs de la région. Mais Stearns est un « expert sur la violence », ce qui ainsi en réalité fait de la violence son propre fonds de commerce. En effet, comme indiqué dans la mission du centre de recherche fondé et dirigé par ce dernier, le Congo Research Group, basé à l’université de New York, NYU, le centre « fait de la recherche sur la violence », et non sur une quelconque résolution des conflits en RDC.

Le souhait d’une solution politique du M23, et donc d’une volonté d’auto-détermination du peuple congolais, va à l’encontre du narratif imaginé par Stearns où les Africains, et en l’occurrence les Congolais, ne pourraient exister sans l’aide humanitaire et militaire occidentale. Par conséquent, Stearns demande à la communauté internationale de faire « pression sur le Rwanda » pour combattre le M23, profitant du fait que le Congo est un pays riche en minerais stratégiques. Et étant donné que tous les pays sont dans la salle d’attente pour obtenir leur part de la chaîne d’approvisionnement, aux yeux de Stearns, la pression qu’il met sur la communauté internationale pour sanctionner le M23, bien que le M23 veuille négocier, ne peut que fonctionner.

L’absence de rigueur dans la méthodologie de recherche pratiquée sur le Congo et sur l’Afrique en général par les acteurs occidentaux, dont les Etats-Unis et l’Union européenne ayant « sanctionné » le M23, enhardit Stearns dans son absence d’éthique de recherche. De telles pratiques non-déontologiques seraient sujettes à des sanctions disciplinaires dans les institutions nord-américaines où s’est établi Stearns. Pourquoi alors Stearns et les acteurs de décision de la communauté internationale, qu’il cherche à manipuler, ne pratiquent pas un minimum requis de rigueur de recherche et d’analyse politique sur le Congo ? En réalité, cette malhonnêteté académique de Stearns va encore plus loin.

Pourquoi Stearns n’appelle-t-il pas aux sanctions contre l’État congolais et son président Félix Tshisekedi pour sa collaboration avec les FDLR ?

La présence et l’existence du groupe armé étranger FDLR, responsable du génocide qui a tué 1 million de Rwandais en 1994 et ayant continué à tuer sur le sol congolais depuis 1994, avec pour but déclaré de revenir au Rwanda pour finir « le travail », est la raison principale de l’implication du Rwanda dans la défense de ses frontières avec le Congo. Le chef de bureau de la MONUSCO Daniel Ruiz, avait déclaré dans une interview avec Vice, que les FDLR sont l’acteur d’instabilité principal en RDC. Comme formulé explicitement par l’état congolais, et dont le Groupe des Experts des Nations Unies en fait le rapport depuis 2022, à l’instar même d’un rapport en octobre 2022 de Human Rights Watch, partenaire de Stearns, les FDLR ont été intégrés dans l’armée nationale congolaise et combattent aux cotés de l’état congolais contre le M23, qui au contraire demande à négocier.

La MONUSCO, qui avait promis de neutraliser les FDLR en 2013 après le départ du M23, aujourd’hui soutient en logistique et opérations l’état congolais ayant intégré les FDLR, comme déclaré à de maintes reprises par Bintou Keita, représente spéciale de la MONUSCO. Le président Tshisekedi, dans son intervention au débat en ligne organisé le 24 juillet par Brookings « Challenges and Opportunities in the DRC : A Conversation with President Félix Tshisekedi » [Défis et opportunités en RDC, une conversation avec le président Félix Tshisekedi], a déclaré « quasi mort » le processus de paix de Nairobi, manifestant ainsi aucune volonté de résolution du conflit et de paix.

Stearns a donc toutes les raisons de faire pression sur la communauté internationale contre l’état congolais qui collabore avec les FDLR et contre la MONUSCO qui le soutient. Il demande pourtant à sanctionner le M23 et le Rwanda, manifestant ainsi aucune volonté de trouver une solution à la crise congolaise, et témoignant d’une pratique explicite de manipulation du narratif en RDC. [Source : https://conspiracytrackergl.com/]. (Fin).

* Bojana Coulibaly est responsable du programme de langues africaines à Harvard. Titulaire d’un doctorat en études africaines de l’université d’Orléans-Tours en France, elle est spécialisée dans l’histoire et la pensée politique africaines, les études postcoloniales et interdisciplinaires sur les traumatismes, l’analyse critique du discours, la prévention des atrocités, la paix et la sécurité, les littératures et les langues africaines.