« Si vous permettez à ceux qui ne peuvent pas s’abstenir d’utiliser le préservatif, alors permettez aussi à ceux qui ont faim d’aller voler » se lamente Laurent, habitant du district de Huye.
Ce père de 4 enfants s’oppose à l’usage du préservatif mais tolère cependant un dialogue avec son enfant sur la santé de la reproduction : « je lui dirai peut être comment se manifeste la période d’adolescence mais jamais des préservatif ».
Quant à madame Nyirababiri, « la radio a révélé le secret ». Faisant référence aux fameux spots radio Witegereza, cette mère d’une adolescence pense que son enfant ne devrait pas écouter les sujets de la sexualité à la radio.
Nyirababiri qui a fait sourde oreille aux messages de la campagne Witegereza, pense que le sexe est et reste une affaire des adultes et qu’il n’a rien à voir avec les enfants.
Comme Nyirababiri, des milliers de parents rwandais ne tolèrent jamais que leurs enfants se livrent aux relations sexuelles. Pas même en utilisant des préservatifs. Ils pensent que leurs enfants sont encore petits pour parler ou écouter des sujets sur les relations sexuelles. Ils refusent de dialoguer avec leurs enfants sur la sexualité alors que selon la PSI, au Rwanda, une fille sur 5 et 1 garçon sur 4 ont eu des rapports sexuels avant 18 ans. Et pour ce qui est du préservatif, seulement 3 jeunes sur 10 sexuellement actifs savent comment utiliser le préservatif correctement.
Ces chiffres devraient inquiéter les parents car ces relations sexuelles se font dans un pays où la prévalence est de 3% au niveau national (7,7% en milieu urbain et 2,2% en milieu rural).
De leur côté, les enfants n’osent rien demander aux « adultes », de peur d’être perçus comme des prostitués ou ayant une longue expérience sexuelle. Ils préfèrent demander ces informations à leurs pairs et ces derniers leur donnent souvent une information erronée. Certains jeunes disent par exemple que c’est seulement en ayant des rapports sexuels que les seins et les hanches d’une fille peuvent se développer.
« C’est vraiment honteux. Je ne peux pas demander à ma mère ou à mon père .Que croiraient-t-ils ? » confie Mukamama, 18 ans. Mukamana, comme beaucoup des jeunes de son âge pensent que ce dialogue nuirait à la confiance que leurs parents ont en eux « Moi si ma mère me surprenait, elle serait sans doute déçue, croyant que je suis devenue une prostituée », nous affirme une jeune fille de 20 ans, étudiante à l’Université Nationale du Rwanda.
Witegereza : Un conflit de pouvoir en famille
Baptisée « Witegereza » (Ne perds pas du temps) la campagne était basée sous un proverbe rwandais “Igiti kigororwa kikiri gito”, ou “un arbre est redressé quand il est encore jeune”.
Elle défiait les normes sociales qui constituent une barrière pour une communication ouverte entre les parents et les enfants au sujet du VIH/SIDA et de la sexualité. Cette campagne a utilisé une approche multimédia. Comme pour des panneaux publicitaires, les messages du spot radio ont provoqué un conflit de pouvoir dans certaines familles.
« On ne peut pas tolérer l’enfant de 13 ans qui demande à ses parents de lui dire comment utiliser le préservatif » dit un parent de Nyanza sous couvert d’anonymat.
Les messages de la campagne ont surtout donné la voix aux enfants qui réclamaient leurs droits en matière de sexualité. Un tel message a été dissuasif surtout chez certains parents qui qualifient leurs enfants de « petits qui ne doivent rien savoir sur la sexualité et n’ont rien à imposer sur l’éducation qu’ils doivent bénéficier ».
Aussi, l’usage (dans les spots radio) de la voix des enfants encore petit n’a a pas été productive non plus, certains parents qualifiant ces enfants d’insolents.
A vrai dire, le sujet de la sexualité est un sujet qui englobe les questions de culture, d’âge et des croyances religieuses, et selon Dr Masabo Francois, Professeur a l’Université Nationale du Rwanda « Il ya toujours une différence entre la génération des enfants et celle de leurs parent sur ces questions »
Ainsi donc, en refusant de parler publiquement de la sexualité, surtout en présence des enfants, les parents privent de leurs enfants de l’un des droits fondamentaux de l’homme : le droit à l’information. Selon Dr Masabo, parce que mal informés, ces enfants ne pourront pas prendre une décision avertie plus tard dans la vie.
Nécessité d’une sphère publique
Le Sphère public est un lieu où l’accès est garanti à chaque citoyen et celui-ci peut participer dans le débat, la délibération, l’accord et l’action. Ces individus ne discutent pas des affaires privées mais discutent plutôt des questions d’intérêt général avec une liberté d’expression leur permettant d’exprimer clairement leurs opinions.
Les sociologues disent que l’introduction du dialogue parents enfants est une chose nouvelle dans la société rwandaise et qu’il faut de nouvelles stratégies pour gérer ce changement.
Pour Dr Masabo, il faut un lieu de rencontre et « ce sphère publique regroupera parents et enfants pour discuter sur la sexualité et le VIH/SIDA » .
Ce spécialiste de la sociologie du changement pense qu’« un seul parent peut commencer à dialoguer avec ses enfants mais pour qu’il y ait un changement dans toutes les familles, il faut une sphère publique pour prendre cette nouvelle direction ensemble ».
Docteur Masabo évoque la nécessite d’apprendre aux parents comment se comporter dans ce dialogue car, dit-il, « ils ont eux mêmes des connaissances limitées en matière de sexualité et de VIH/SIDA ». Ils ne comprennent pas comment parler de la sexualité avec les enfants, quel style et quel vocabulaire utiliser, et à quel moment.
Les rencontres mensuelles réunissant toute de la population au niveau d’Umudugudu abordent rarement les sujets de sexualité. Ces rencontres ne devraient-elles pas jouer ce rôle de sphère publique ?